Présentation du livre “Retour à Reims” de Didier Eribon

En 2009, Didier Eribon publiait ‘’Retour à Reims’’. Lundi 29 juin nous l’avons retrouvé à l’Alliance Française de Buenos Aires pour la présentation de son livre, traduit en espagnol.

Didier Eribon conférenceÀ travers cet essai sociologique, il nous raconte son parcours personnel, notamment la nécessité de fuir sa famille et l’homophobie du monde ouvrier, vers un univers littéraire, plus cultivé, où il pourra vivre son homosexualité. Étaient présents pour l’occasion Sergio Coronado, député des Français d’Amérique Latine- Caraïbes et Ariel Wilkis, sociologue argentin.

C’est lors d’une conférence qu’il donne à l’université américaine de Yale, que Didier Eribon a eu, dit-il, ‘‘un déclic’’. Il se demande alors comment, lui, fils d’un ouvrier et d’une femme de ménage, s’est-il retrouvé devant cet auditoire. Il reprend alors l’écriture de l’ouvrage, qu’il avait abandonné quelques années plus tôt.

Il analyse alors avec son bagage de sociologue, le parcours qui a été le sien dans ses jeunes années. Il reprend contact avec sa mère et ses frères, pour comprendre ce qui a été différent entre lui et eux. Pourquoi avait-il le goût de la lecture, de l’apprentissage intellectuel, alors qu’eux non. Avec une démarche bourdieusienne, il explique le rôle de l’institution scolaire dans la reproduction sociale. Les enfants d’ouvriers arrêtent l’école plus tôt avec l’illusion de faire un choix. Or, le milieu scolaire exerce une forte pression symbolique, et, ce qui pourrait s’apparenter à un choix, n’est que le syndrome d’une appartenance de classe, soutient Eribon. Les enfants d’ouvriers ne peuvent aimer l’école, alors que les enfants des classes supérieures ne peuvent envisager l’abandon de leurs études.

Il cherche donc à comprendre pourquoi, lui, contrairement à ses frères, a pu échapper à son sort. Selon lui, c’est son homosexualité qui l’a déterminé. Pour échapper à l’homophobie violente du monde ouvrier, il s’est investi dans l’apprentissage scolaire. Et plus il cherchait à s’échapper par la lecture, plus il s’éloignait de sa famille et de son milieu. Il explique que dans ce dernier, l’affinité à l’apprentissage scolaire est une chose réservée aux filles, ou au ‘’pédés’’. Guillaume Boccara, qui a participé à la traduction de l’ouvrage, explique d’ailleurs qu’il a été difficile de retranscrire en espagnol le panel d’insultes à l’égard des homosexuels que l’on trouve dans la langue française.

En réponse à une question commentée d’ Ariel Wilkis, Didier Eribon évoque également la mutation politique du milieu dans lequel il a grandi. Ses parents votaient systématiquement pour le Parti Communiste dans les années 1970, alors que ses frères ne se cachent pas de soutenir aujourd’hui le Front National. Sergio Coronado explique ce phénomène à travers la transformation de la gauche française, qui ne défend plus spécifiquement la généralité de la masse sociétale, mais les causes des minorités. Il nous dit que la défense de ces dernières, à l’image de celle des homosexuels, est une nécessité, mais qu’elle ne doit pas entraîner l’abandon du grand nombre. Le député des Français d’Amérique Latine-Caraïbes, de passage à Buenos Aires, en a profité pour évoquer son amitié avec Didier Eribon, et comparer leurs parcours. Lui dont ses parents ont fui la dictature chilienne (1973-1990), pour grandir en Argentine, est finalement arrivé en France à l’âge de douze ans. Il découvre alors l’institution scolaire française, et parvient à intégrer des filières d’études prestigieuses. Il a aussi rendu hommage à Noël Mamère, pour son combat dans l’avancée de la cause homosexuelle.

Au cours des expositions, aucune solution n’a été trouvée à cet enfermement social mais nous pouvons remercier et saluer l’honnêteté de tels témoignages et se procurer la version en espagnol de ‘‘Retour à Reims’’.

Propos recueillis par Laura Detrie et Jules Laguilhaume

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