France 24: une exigence politique, un parcours laborieux

Le Président de la République française François Hollande a annoncé lors de sa visite d’Etat en Argentine, le mercredi 24 février 2016, que France 24 lancerait courant 2017 une version en langue espagnole. L’occasion pour le Trait-d’Union de revenir sur le parcours de cette chaîne publique française d’information internationale, suivie par une audience cumulée hebdomadaire de plus de 50 millions de téléspectateurs.

france24grandeLa création de France 24, c’est avant tout un dessein politique, formulé par Jacques Chirac dés 1987. Premier ministre, à l’époque, il exprime la volonté de mettre en place une chaîne française internationale capable de concurrencer l’américaine CNN, incontestable leader dans le domaine. Dans ce but, il demande un rapport sur l’audiovisuel extérieur français, dont les conclusions se révèlent déplorables : le secteur est bien trop fragmenté (entre RFI, TV5, mais aussi RFO), mal organisé, et génère peu d’audience.

En 1990, la guerre du Golfe éclate. Les informations à ce sujet sont notamment relayées par la CNN, ce qui révèle l’opportunité que peuvent représenter les chaînes d’information internationales tant en terme d’audience que via leur rôle dans la formation de l’opinion publique. La nécessité d’un équivalent français se fait à nouveau sentir, d’autant plus que la culture de l’hexagone perd du terrain face à “l’American way of life”. Autant de raisons qui amènent les politiques à se pencher encore un peu plus sur la question, sans pour autant générer d’importantes initiatives…

Il faut en effet attendre 1997 pour qu’un véritable projet télévisuel à émission internationale voit le jour. L’idée est simple : réunir les trois chaînes françaises émettant à l’internationale en une seule –Téléfi-. Le projet, à l’initiative d’Alain Juppé, et conçu par Jean Paul Cluzet, est adopté. Cependant, le retour au gouvernement de la gauche en 1997 suite à la nomination de Lionel Jospin comme premier ministre change la donne. Hubert Védrine, désigné ministre des Affaires Etrangères, choisit de favoriser plutôt le développement des instruments existants et en particulier TV5, via un système qui se révèlera très vite complexe, fragmenté et coûteux.

Est-il compréhensible qu’année après année, nous en soyons encore à déplorer les insuffisances persistantes de l’information et de l’audiovisuel francophone sur la scène mondiale ?”. Ainsi s’exprime Jacques Chirac en 2002, lors d’une réception en l’honneur du Haut Conseil de la Francophonie. Face à cette ambition présidentielle de rayonnement télévisuel à l’internationale, plusieurs groupes de travail voient le jour: l’un conduit par Dominique de Villepin, alors ministre des affaires étrangères, un second mandaté par le premier ministre Jean Pierre Raffarin, et enfin un troisième sous la forme d’une commission parlementaire.

C’est finalement le projet de Matignon qui aboutit,  sous la forme d’un rapprochement entre le groupe TF1 et France Télévision. Cette alliance public/privé, partenariat inédit, suscite néanmoins beaucoup de protestations. Malgré cela, conforté dans ses intentions par son bras de fer avec George Bush durant la crise irakienne de 2003, Jacques Chirac ne renonce pas à son entreprise de se transformer en porte-parole d’un monde multipolaire, via une chaîne de télévision. C’est pourquoi le 9 décembre 2004, Jean-Pierre Raffarin annonce le maintien du projet qui “bénéficiera des atouts des grands groupes français, public et privé, de télévision et favorisera l’expression d’une vision française plus que jamais nécessaire dans le monde d’aujourd’hui.”. L’amendement est voté le jour même.

Ayant obtenu l’aval de l’Union Européenne et des autorités de la concurrence, France 24  commence à émettre le 6 décembre 2006 à 20 h 29, malgré la continuité des protestations. Cependant, dés 2008, et par décision de Nicolas Sarkozy, cette collaboration inédite public/privé prend fin. France 24 devient alors une entité propre, propriété à 100% de l’Etat.

L’histoire de France 24 est donc bien née d’une volonté officielle, une volonté politique forte, que l’on peut pour beaucoup attribuer à Jacques Chirac. Le parcours de la chaîne fut difficile, mais cette  persévérance à vouloir faire rayonner la France sur la scène internationale, à travers un “regard français” sur l’actualité, porte aujourd’hui ses fruits: pour preuve, la chaîne est à présent visible dans environ 250 millions de foyers, émettant simultanément via le câble, le satellite, et le Web. Elle a notamment été un pilier informatif influent lors du printemps arabe, comme alternative à Al-Arabiya, la chaîne saoudienne, Al Jazeera, téléguidée par le Qatar, et CNN, jugée trop américaine. La chaîne française reste néanmoins toujours distancée par les historiques du World Service. CNN International affirme en effet être accessible dans 375 millions de foyers, tandis que BBC World News en revendique 350 millions. Le lancement de la chaîne française en espagnol, et son ouverture aux téléspectateurs d’Amérique latine notamment, particulièrement francophiles, sera peut être l’occasion pour France 24 de s’imposer enfin comme un acteur majeur du paysage audiovisuel mondial.

Alyssa Normant

 

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