Série « Toque m’en 5 ». Dans les cuisines de Jean-Baptiste Pilou

Nantais d’origine mais voyageur dans l’âme, le deuxième invité de notre série culinaire « Toque m’en 5 » aime les sauces à l’ancienne et la « fleur de sel ».

Tombé sous le charme d’une argentine au détour des fourneaux des plus grands étoilés de Paris, il traverse l’océan pour la rejoindre et s’installe à Buenos Aires. Chef reconnu du paysage gastronomique porteño, nous nous sommes entretenus avec Jean Baptiste Pilou.

Il est 15 heures lorsque je pousse les portes du bistrot gastronomique « Fleur de Sel ». Jean-Baptiste Pilou fume tranquillement au comptoir de ce discret restaurant aux lumières tamisées, situé dans le paisible quartier de Belgrano. Ce restaurant familial d’une trentaine de couverts, entretient une ambiance décontractée et élégante. Toutes les tables ne sont pas encore dressées pour le service du soir mais côté cuisine on s’active déjà. Le four ronronne à plus de 400 degrés. De temps à autre, Jean-Baptiste Pilou sprinte jusqu’aux fourneaux pour aller vérifier la cuisson de ses « soccas », une spécialité niçoise à base de farine de pois chiches. C’est que, derrière sa décontraction apparente, le nantais a du pain sur la planche. Ce restaurant, il l’a ouvert avec sa femme, Valentina Avecilla, en 2012. Les deux chefs-propriétaires s’activent selon une gymnastique bien rodée : Valentina vient réaliser les pâtisseries le matin puis c’est au tour de Jean-Baptiste d’enfiler le tablier. Il faut dire que tous deux ont été formés dans les plus grands palaces parisiens. Jean-Baptiste est passé par les cuisines du Ritz puis du restaurant de Guy Savoy (3 *** Michelin). Valentina, de son côté, a fait ses classes à l’école Le Cordon Bleu puis a travaillé pour Hélène Darroze (2**Michelin), Pierre Hermé Pâtisserie y Guy Savoy (3***Michelin). Mais loin de s’enfoncer dans une routine purement classique, Jean Baptiste et Valentina proposent une cuisine innovante et inventive, influencée par leurs nombreux voyages aux quatre coins du globe. Un mélange subtil et tout en contraste.

TDU : Bonjour Jean-Baptiste Pilou, en quelques mots : qui êtes-vous ?

JBP : Je suis un cuisinier originaire de Nantes mais j’ai toujours beaucoup voyagé du fait du travail de mes parents. J’ai notamment vécu au Maroc, en Allemagne, en côte d’Ivoire. J’ai fait une école hôtelière à Bordeaux puis j’ai travaillé 8 ans à Paris. Quand je suis arrivé à Buenos Aires pour suivre ma compagne, qui est originaire de Salta, j’ai travaillé 5 ans au restaurant La Bourgogne comme chef exécutif. 

TDU : Pourquoi ce nom de restaurant ?

JBP : Pour mes racines nantaises en partie, puis parce qu’on trouvait cela joli et parce que ça reflétait bien notre cuisine française.

TDU : Et pourquoi vous être installés à Belgrano ?

JBP : C’est vrai qu’on est un peu décentrés, ce qui est parfois un handicap puisque l’on capte moins les touristes de passage à Buenos Aires. On a envisagé un moment de déménager vers Recoleta, mais pour le moment avec les fluctuations économique on va rester ici. C’est surtout que, quand on a ouvert notre restaurant, économiquement parlant on n’avait personne derrière nous, donc il nous fallait trouver un loyer modéré. La situation et le lieu nous ont bien plu, c’était déjà un restaurant donc c’était facile à réaménager et rééquiper. Et puis on aime bien le quartier : l’école pour les enfants de ma femme n’était pas très loin et c’est calme ce qui fait du bien dans Buenos Aires. Enfin en nombre de tables (une trentaine de couverts) et en dimensions ça correspondait à ce que l’on désirait. On a un public varié qui vient d’un peu partout, de la Zona Norte aussi. Des habitués qui parfois viennent religieusement chaque mois. 

TDU : Votre cuisine est française ou argentine ?

JBP : française avec des produits locaux. Mais on ne s’y restreint pas, on est influencé aussi par le Maroc, etc.  Moi et ma compagne on a eu une formation classique de la cuisine française, même si parfois on s’adapte aux goûts et attentes locales. Par exemple la crème brûlée ou la soupe à l’oignon ce sont des choses un peu « bateau » mais que les gens nous demandent en saison. Alors on les a mises à la carte mais en leur ajoutant une touche personnelle. On fait tout maison, du pain aux desserts, avec des produits de saison frais. Je me rends 2/3 fois par mois au marché central. On importait un peu de vin et de moutarde mais aujourd’hui plus vraiment.

TDU : Vous dites que vous importez moins et que vous n’imaginez plus dans l’immédiat vous installer à Recoleta : la crise a t-elle infléchi votre cuisine ?

JBP : Oui le prix des produits a grimpé en flèche et l’on ne peut pas se permettre de le répercuter sur les tarifs de la carte. Ça veut dire concrètement que nos marges diminuent. La fréquentation, elle aussi, fluctue pas mal. Ça rend difficile toute projection sur le long terme, même à un mois près quand on nous demande de faire du “catering”. C’est très difficile de fixer un prix. Mais on n’est pas à plaindre, on s’en sort bien. On a notamment la chance de pouvoir compter sur des habitués qui viennent religieusement chaque mois. Parfois on voit que certaines tables se limitent sur le vin ou ne se font pas autant plaisir que ce qu’elles aimeraient, mais dans l’ensemble on remplit nos 30 couverts chaque soir. Dans notre public on a de tout : des personnes qui viennent pour la première fois comme des habitués. On a aussi quelques personnes connues qui poussent parfois nos portes, comme des politiques ou le maire de Buenos Aires. Mais ils viennent aussi ici pour chercher la tranquillité

TDU : Comment qualifieriez-vous votre cuisine ?

JBP : Je dirais « d’auteur », « élaborée » et « gastronomique ».

TDU : Y a t-il un produit que vous aimez particulièrement cuisiner ?

JBP : Oh ! je ne sais pas. J’aime surtout que ça fasse plaisir aux gens et puis, nous les cuisiniers, on est un peu égoïstes : on cuisine ce que l’on aime (rire). Mais j’aime bien cuisiner les légumes. De bons légumes, la viande aussi et bien entendu les sauces.

TDU : Y a t-il quelque chose qui vous manque de France ?

JBP : Les légumes. Ici c’est très différent. C’est difficile de pouvoir faire une assiette exclusivement de légumes. Il faut de très bons légumes et puis le client argentin va moyennement apprécier. C’est une question culturelle et de goûts qui diffèrent entre la France et l’Argentine. 

TDU : Pour faire découvrir à quelqu’un la cuisine française que lui proposeriez-vous ?

JBP : Je dirais du foie gras, ou un plat avec un seul produit travaillé de différentes manières. C’est un peu la marque de la gastronomie française. Ou une sauce peut-être : la béarnaise, la sauce grand veneur (réduction de vin rouge), une bonne sauce au poivre. Malheureusement ce sont des savoirs-faire traditionnels qui se perdent car ça prend beaucoup de temps à faire, ça peut réduire pendant 3 jours. Mais une bonne sauce ça vous fait tout un plat !

TDU : Y a t-il une recette que vous ne livreriez jamais ? 

JBP : Non pas vraiment, au contraire je pense qu’une recette est destinée à être perpétuée, ça ne sert pas à grand-chose de la garder secrète au niveau des ingrédients puisque c’est avant tout une question de savoir-faire. Je peux vous donner une recette de sauce, si vous ne l’avez pas faite 500 fois au préalable, c’est sûr que vous n’y arriverez pas. Autrefois, c’est vrai que l’on avait de vieux chefs qui ne voulaient pas donner leurs secrets et ils rajoutaient des ingrédients quand vous aviez le dos tourné, mais pour moi ça n’a plus vraiment lieu d’être. 

TDU : Et on vous retrouve où à part en cuisine ?

JBP : Eh bien étant donné que je suis propriétaire de mon restaurant et que ça me donne pas mal de travail… surtout à mon restaurant. Mais je suis aussi membre de Lucullus. On participe 3 ou 4 fois par an à des marchés. Fut un temps où on donnait des cours de cuisine. C’est toujours compliqué pour nous, et très chronophage, car nous ne sommes pas nombreux. Ça nous demande beaucoup de travail.

TDU : Fleur de sel c’est une petite maison familiale ?

JBP : Oui, on est 6 en tout. Ma femme vient le matin faire les desserts et le soir elle est en salle. Moi je m’occupe de la cuisine l’après-midi avec un aide de cuisine. On a aussi un plongeur et deux personnes en salle.

TDU : Quels sont vos prochains défis ?

JBP : Agrandir un peu, on aimerait faire 40/45 couverts. Mais bon, pour le moment avec la conjoncture économique… le défi pour nous tous c’est surtout de survivre. Et prochainement, culinairement parlant ça va être les coffrets de noël. On fait ça chaque année aux fêtes, on propose aux clients des coffrets à emporter avec des plats cuisinés, des produits.

TDU : Si vous pouviez inviter qui vous désireriez à votre table, vous metteriez qui dans votre top 5 ?

JBP : Hum… Jérôme déjà. Et puis on va dire Bocuse, Robuchon, Ducasse. Les grands. Je pense qu’ils seraient bon public. C’est une erreur de croire que, les cuisiniers, on est très exigeants entre nous. Au contraire on sait qu’une erreur peut vite arriver. Et puis au-delà de leurs réputations culinaires, ça devrait être des personnes très intéressantes à écouter. 

Les bonnes adresses de Jean-Baptiste Pilou 

Une terrasse ?

Les jardins du Palacio Duhau. Le jardin est fantastique.

Un endroit pour déjeuner ?

La Mar à Palermo

Une boulangerie ?

L’épi !

Un quartier que vous appréciez ?

 J’aime bien San Telmo, pas les grands axes mais les petites rues un peu plus écartées. Le vieux quartier.

Il y a de très belles demeures. “Belgrano R” aussi, pour aller se balader. C’est tranquille.

Restaurant « Fleur de sel » : ouvert du mardi au samedi pour le dîner, à partir de 20h30. Sur réservation. La Pampa 3040, CABA

www.fleurdesel.com.ar

Interview réalisée par Louise Le Borgne

Partager sur