Viedma et Carmen de Patagones

Le Río Negro naît à Neuquén à la jonction des Ríos Limay et Neuquén puis il court d’ouest en est pour se jeter dans l’océan Atlantique. Là, pratiquement à son embouchure, deux villes, Viedma, sur la rive sud et Carmen de Patagones côté nord, se font étrangement face.

L’actuelle Viedma fut fondée en 1779, sous le nom un peu long de Fuerte de Nuestra Señora del Carmen y Pueblo de Nueva Murcia par Antonio Viedma. Le fleuve fait office de frontière entre les provinces de Buenos Aires et du Río Negro dont Viedma est la capitale ; rappelons que Ricardo Alfonsín projeta, en 1986, d’en faire la capitale de l’Argentine mais le projet capota. Pour l’anecdote, il fut enterré définitivement en 2014.

Sauf le fait de présenter toutes deux la particularité de longer les rives du fleuve, les deux villes n’ont, par leur aspect, pas grand chose en commun. Ceci s’explique en grande partie par la topographie des lieux. Du côté de Viedma, tout est désespérément plat. En conséquence, la ville a subi de nombreuses inondations. C’est d’ailleurs l’une d’entre elles qui, dès 1779, dévasta les fragiles et maigres premières installations et obligea la garnison à déplacer le fort du Carmen sur la rive opposée d’où le nom de la future ville. L’inondation de 1899 fut particulièrement grave puisqu’elle faillit mettre fin à l’existence même de la ville. Il ne subsiste que quelques rares édifices antérieurs à cette époque. Sur la rive nord, le bord de fleuve, légèrement surélevé, a protégé Carmen de Patagones qui a pu ainsi conserver des constructions plus anciennes, ce qui lui donne un cachet indéniable accentué par le relief des rues inclinées en raison de la pente qui descend vers le fleuve.

Flâner dans Viedma, c’est d’abord sentir le climat du sud. L’humidité de l’air qui alourdit tant le climat porteño a disparu. Le vent, froid et sec, est omniprésent. Il nous met dans l’ambiance et nous fait dangereusement oublier le soleil. Si l’on sort un peu des quelques rues commerçantes du centre, les maisons individuelles et sans étage, aux jardins souvent soignés, nous rapprochent du ciel immense. Il n’est pas rare, quand on croise des habitants, que ceux-ci vous saluent bien qu’ils ne vous connaissent pas. Viedma est aussi le royaume des chiens : placides, ils s’étalent sur le trottoir inondé de soleil voire même directement au milieu de la chaussée, certains de ne pas être dérangés par l’improbable intensité du trafic.

Le dimanche, et ce n’est pas, selon une habitante, en raison de la crise sanitaire, la ville, déserte, fantomatique, semble totalement vidée de ses habitants. Ce n’est que peu à peu, alors qu’approche la fin de l’après-midi que la vie reprend ses droits surtout le long du fleuve joliment aménagé, où les passants viennent flâner tandis que sur la chaussée, une file interminable de voitures serpente lentement semblant errer sans but.

En levant le regard vers l’autre rive, on peut apprécier une belle vue sur Carmen de Patagones avec sa grande église aux deux tours de style néo-baroque. Là, le tracé ancien aux rues plus étroites a été conservé. La préservation des vieilles demeures dans le centre de la ville permet d’y retrouver un petit parfum colonial suranné qui nous plonge dans une époque révolue. Dans la vaste église sont exposés deux drapeaux militaires pris à une flottille impériale brésilienne qui tenta sans succès de prendre la ville le 7 mars 1827. Pour l’anecdote, des marins français participèrent à cette bataille autant d’ailleurs du côté des vainqueurs que des vaincus. Bien sûr une petite rivalité existe entre les deux villes mais le Río Negro, loin de les séparer, les unit. A elles deux, elles forment d’ailleurs une seule et même agglomération.

C’est à Viedma que, une fois passé le río, les portes de la Patagonie et son immensité s’ouvrent devant nous. La Patagonie attise indéfectiblement notre curiosité, elle nous fascine et nous appelle. Alors, il ne nous reste plus qu’à franchir le pas.

Jérôme Guillot

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