Rentrée littéraire : nouveautés

Premiers prix d’une rentrée littéraire placée sous le signe des liens familiaux

– Adelaïde de Clermont-Tonnerre récompensée par le Prix de la rentrée.

La saison des prix littéraires s’ouvre avec une première distinction remarquée. Adelaïde de Clermont-Tonnerre reçoit le Prix de la rentrée pour son roman Je voulais vivre, une réécriture audacieuse des Trois Mousquetaires. L’autrice redonne vie à Milady de Winter, figure emblématique de la littérature, en en dressant un portrait moderne, libre et puissant. Ce roman de cape et d’épée revisité séduit par son souffle romanesque et sa lecture contemporaine du mythe.

– Prix Méduse décerné à Raphaël Signal pour Géographie de l’oubli.

Cartographier l’oubli, écrire le silence, Géographie de l’oubli, aux éditions R. Laffont.

Avec Géographie de l’oubli, fruit de dix années de réflexion, Raphaël Signal livre un texte hybride entre essai, récit et hommage. L’auteur aborde avec pudeur ce qu’il nomme la “Shoalzheimer”, cette mémoire traumatique qui ne se transmet que par fragments.  En retraçant le destin de sa grand-mère, survivante silencieuse de la Shoah, l’auteur fait le pari de dire l’indicible, signe une œuvre poignante et poétique, portée par une écriture précise, livre une méditation bouleversante sur la mémoire, la perte et la transmission impossible.

– Prix Première plume 2025 attribué à Ramsès Kefi pour son roman Quatre jours sans ma mère*

– Prix littéraire Le Monde 2025 pour La Maison vide de Laurent Mauvignier

Une fresque familiale inoubliable

En 1976, la réouverture par le père du narrateur d’une maison restée close révèle un trésor de souvenirs — piano, commode marquée, photos amputées d’un visage — et lance un roman qui traverse deux guerres, la vie rurale du XXᵉ siècle et plusieurs générations de femmes : Marguerite, Marie-Ernestine et leurs ascendantes. À partir d’objets et d’images, l’auteur recompose les vies effacées pour mesurer leur empreinte sur les vivants.

Mauvignier fait preuve d’une langue précise, pointilliste et parfois obsédante : chaque page fonctionne comme un tableau, où la mise au jour d’une vieille photo devient matière romanesque. On reconnaît chez lui un art du portrait capable d’imprimer une densité rare jusqu’au monologue mémorable de Paulette.

Les silhouettes -Marie-Jeanne, Marie-Ernestine, Jules, Marguerite – prennent chair au fil des fragments, entre espoir et cruauté. Mémoire, transmission, deuil et traces de la guerre structurent la fresque et rappellent, par moments, l’émotion naturaliste de Zola ou la charge humaine d’un Brel.

La Maison vide impose sa puissance évocatrice : un roman ample et profond, qui transforme l’observation minutieuse du passé en un hommage à l’humanité. Sa prose, d’une richesse remarquable, surpasse tout !
« La maison vide est le grand œuvre de Laurent Mauvignier, qui porte tous les thèmes de l’écrivain : la violence des passions, de la guerre – la Première Guerre mondiale, la Deuxième, la guerre d’Algérie -, qui aura défait chaque génération d’hommes jusqu’à son père », écrivait, fin août, le critique Sean Rose.

– L’art de dire l’absence : Au grand jamais de Jakuta Alikavazovic

Avec Au grand jamais (Gallimard), Jakuta Alikavazovic signe un roman intime sur la disparition d’une mère exilée et la quête d’une fille pour combler les vides laissés par l’absence. Ni prénom ni visage : la mère demeure une énigme, renforçant la tension du récit.

Entre autobiographie et fiction, l’écrivaine interroge la transmission, le déracinement et la mémoire des origines. Elle porte la marque d’une écrivaine née à Paris, traductrice trilingue, dont la sensibilité est nourrie par les langues et les héritages. Les références littéraires qui traversent le texte en renforcent la profondeur. Sa langue, à la fois feutrée et intense, prolonge une œuvre déjà couronnée par le Goncourt du premier roman (Corps volatils, 2008) et le prix Médicis (Comme le ciel entre nous, en 2021).

Dans ce nouvel opus, l’auteure poursuit son exploration des liens familiaux et de leurs zones d’ombre, offrant une méditation subtile sur l’exil, l’héritage et le mystère des vies qui nous ont précédés.
Dans mon roman, je ne parlerais pas d’incertitude, je parlerais plutôt d’un espace d’ambiguïté où plusieurs choses en apparence contradictoires sont possibles. Notamment, dans le cas des quelques fantômes qui le traversent. Présence et absence, vie et mort, qu’est-ce que c’est exactement ? C’est cette zone de clair-obscur, entre chien et loup, cet endroit où les choses ne sont pas aussi évidentes que ce que l’on croit que je me situe dans le monde. C’est aussi l’endroit où je me mets pour écrire, parce qu’en fait, c’est à cet endroit-là qu’on peut éclaircir et explorer les non-dits, les zones d’ombre.” Jakuta Alikavazovic.

Autopsie d’un amour impossible, Une drôle de peine de Justine Lévy, Stock

Il existe des deuils plus lourds que la mort elle-même : celui d’une mère absente, déjà lointaine de son vivant, insaisissable comme un rêve obstiné ou une attente sans fin. Dans Une drôle de peine, Justine Lévy ne se contente pas d’évoquer la disparition de sa mère, Isabelle Doutreluigne, décédée en 2004. Elle déplie avec délicatesse l’histoire d’un vide originel, d’un amour fragile et d’une filiation en pointillés.

Romancière et éditrice, Justine Lévy poursuit dans ce récit le travail entamé depuis ses premiers livres : explorer la faille maternelle. Il ne s’agit ni d’un règlement de comptes ni d’un besoin d’apaisement, mais d’un face-à-face pudique avec l’ombre d’une mère fantasque, libre jusqu’à l’éloignement, à peine présente mais toujours marquante. Ce qui demeure, c’est l’empreinte âpre d’un manque impossible à cerner.

Le livre s’ouvre dans un avion, sur le chemin de l’Inde. Là, la narratrice adulte pleure silencieusement, non pas la mère disparue, mais l’enfant qui n’a jamais pu exister pleinement. La force du texte réside dans la façon de conter le deuil d’une enfance entravée.
L’écriture, pudique et fine, mêle l’humour discret à une lucidité acérée. Justine Lévy examine cette blessure maternelle, non pour la refermer, mais pour partager son expérience d’une relation mère-fille incomplète, évoquant le manque, les souvenirs épars et l’amour indéfini.

Ce travail de mémoire irrigue toute l’œuvre de Justine Lévy : de Mauvaise fille à La Gaieté, en passant par Le Rendez-vous. Ici, la voix se fait plus douce, presque murmurée.

*Rappel de l’article précédent publié dans « la rentrée littéraire ».
Quatre jours sans ma mère, Amani, 67 ans, disparaît sans explication de sa cité HLM, laissant juste un mot derrière elle. Son mari Hédi et son fils Salmane, 36 ans, cherchent à comprendre. Salmane, en quête de réponses, découvre des indices liés au passé de ses parents, émigrés de Tunisie, et entame une transformation personnelle.

Elisabeth Devriendt

 

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