Eclipse solaire : mythes et croyances

Tintin sauvé par l’éclipse. Dans le Temple du soleil, alors que Tintin et ses acolytes  sont faits prisonniers dans une cité inca venue tout droit de l’époque précolombienne —une sorte de Machu Picchu habitée de nos jours—, et qu’ils semblent voués à une mort certaine, notre héros tombe presque par hasard sur une feuille de journal abandonnée annonçant l’imminence d’une éclipse solaire à l’endroit même où il est prisonnier.

Ainsi, Tintin, se faisant passer comme l’ordonnateur des mouvements célestes qui se déroulent sous les yeux des Incas incrédules, réussit à sauver sa peau et celle de ses compagnons. En réalité, Tintin a eu une chance inouïe : il a fallu, dans une cité inca perdue au milieu de la jungle, qu’un journal traîne par là, à la bonne page, que le temps soit au beau fixe et que la ville se trouve exactement sur la bande de territoire où l’éclipse était totale ! (si vous n’avez pas compris ce dernier argument, relire l’article précédent de Trait-d’Union). Enfin, last but not least, Hergé fait se dérouler l’éclipse en l’espace d’une planche de BD or, nous l’avons vu aussi, le phénomène dure environ trois heures dans sa totalité. Mais qu’à cela ne tienne : Tintin et toute sa fine équipe sont sains et saufs et c’est bien le principal.

Voici une longue entrée en matière pour vous montrer à quel point un événement astronomique spectaculaire pouvait frapper les cultures et sociétés qui ont habité et habitent notre Terre. Faisons donc un petit tour d’horizon dans les croyances et autres mythes au sujet de l’éclipse solaire.

Dans les civilisations anciennes, ce sont très souvent les animaux que l’on appelle à la rescousse pour tenter de trouver une explication aux éclipses, qu’elles soient lunaires ou solaires d’ailleurs.

Il y a d’abord les gros mangeurs : un dragon céleste en Chine (à ce propos, on ne sera pas surpris d’apprendre que le plus ancien mot chinois pour décrire une éclipse est shih qui signifie « manger »), un loup chez les Vikings, un serpent chez les Egyptiens (le dieu Apophis en personne) et les Mayas (le terme qu’ils utilisent pour désigner l’éclipse est Chibil Chin qu’on traduira par une poétique mais non moins redoutable «morsure du soleil»), le puma chez les Incas, voire même une grenouille pour le peuple Shan originaire d’Asie. Et, si le bestiaire disponible sur place est insuffisant pour trouver le coupable, le monstre, animal autant redoutable qu’indéfini, permet chez les Aztèques de sauver les apparences. On le voit, toutes ces bêtes ont des attitudes franchement sympathiques et pacifiques. Mais en Afrique, on prend les choses de façon un peu différente puisque chez les Mandingues, la disparition progressive du soleil est due à un chat curieux, posant sa patte entre les deux astres…joli !.

Pour faire réapparaître le soleil, beaucoup adoptent une attitude semblable : faire le plus de bruit possible, voire même, chez les Chinois, lancer des flèches vers le ciel pour chasser l’importun. Chez les Mandingues, à nouveau, on adopte un comportement un peu divergent. On fait du bruit, bien sûr, mais en chantant et en dansant. Un peuple pacifique certainement… Parfois, petite variante, chez les Incas on fait aussi du bruit mais il s’agit de réveiller la lune, sortie de sa course habituelle, pour l’empêcher de se diriger droit vers un monstre affamé ; probablement un puma comme nous venons de le voir plus haut.

La communauté Mapuche voit d’un très mauvais œil l’éclipse solaire. Antü, nom donné au soleil est sa divinité principale : source de vie et d’énergie, il est une sorte de régulateur de la nature et du temps. Lorsque survient une éclipse totale Lai Antü (la mort du soleil), le temps est comme suspendu. Pour revenir à l’équilibre, on jette des pierres vers le ciel et les Machis, des femmes, cheffes religieuses, prient jusqu’à la réapparition de l’astre vénéré.

Il faut dire que la disparition du soleil pouvait générer une grande terreur parmi les populations car elle était vue comme une rupture de l’harmonie entre la Terre et le ciel. D’autant qu’il n’était pas possible, comme maintenant, de prévoir une éclipse, ce qui justifiait l’attribution d’un caractère mythique à l’événement. Conséquence, en Chine, on raconte qu’en l’an 2137 av JC, deux astronomes auraient eu la tête tranchée pour avoir mal prédit la date de l’éclipse ! En Grèce, Hérodote, considéré comme le tout premier historien (même si ses méthodes sont considérées comme beaucoup moins scientifiques que celles de Thucydide son successeur), évoque une éclipse prédite par Thalès de Milet (oui, oui, celui du théorème !) en 585. Eclipse qui se déroule au moment même où les Mèdes et les Lydiens sont en train de livrer bataille, chose assez fréquente à l’époque. L’évènement, lu comme un message divin par les belligérants, aboutit à l’arrêt des combats. Ce sont les Assyriens qui, semble-t-il, ont été les premiers à observer une éclipse dont on possède une trace fiable. Consignée sur une tablette, elle eut lieu le 15 juin 767 avant JC. Peu à peu les choses iront se rationalisant. Avec Ptolémée et son traité d’astronomie (IIème siècle), on sait déjà quand une éclipse est susceptible de se dérouler. A l’époque de la Renaissance, ces phénomènes n’ont plus de secrets pour la science. Bref, c’est la fin de l’imaginaire et du fantastique. Dommage !

Terminons sur cette histoire (vraie ou inventée ?) qui a peut-être inspiré notre ami Hergé.

Lors d’un de ses voyages en Amérique, on raconte que Christophe Colomb et son équipage, affaiblis et à court de vivres, étaient la merci des habitants de l’actuelle Jamaïque. Le grand navigateur apprit qu’une éclipse lunaire allait bientôt avoir lieu. Aussi, il dit aux chefs que, s’ils ne lui apportaient pas tout ce qu’il désirait, il allait les priver de la lumière de la lune. Bien sûr, au début, les autochtones ne le crurent pas et se moquèrent de lui. Mais, l’arrivée de l’éclipse les frappa de terreur car la prémonition de Colomb s’avéra être exacte. Ils donnèrent alors au Génois tout ce qu’il désirait le conjurant d’avoir pitié d’eux.

Jérome Guillot

Note : Toutes ces informations sont issues de nombreux sites sur la Toile considérés comme sûrs. Elles ont été recoupées et comparées et, dans le cas contraire, évoquées au conditionnel.

Photo : Vue partielle du zodiaque de Dendéra. L’éclipse solaire du 7 mars 51 est figurée sous l’aspect de la déesse Isis retenant un babouin par la queue, c’est-à-dire empêchant la lune, sous la forme du dieu Thot, de cacher le soleil. Sources : Musée du Louvre

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