Polo : entre sport élitiste et culture gaucheresque

Le 14 décembre se tiendra la finale du tournoi “Abierto Argentino de Polo”, clôturant la saison du circuit de la “Triple Corona”.

Un évènement à la renommée internationale qui démontre l’étendue de l’engouement argentin pour le polo. Embarquez pour une galopée à travers les usages, règlements, mythes et légendes, du polo argentin..

« El polo el más grande del mundo ». Lorsqu’ils abordent la thématique du polo, les argentins ne sont pas dans la demi-mesure. Et pour cause : 7 des 8 meilleurs joueurs mondiaux sont argentins et la qualité de leur monture n’est plus à démontrer. Si les règles du polo semblent bien obscures à première vue, on est rapidement pris au jeu face aux chevauchées à toute allure des chevaux, la maîtrise du maillet des joueurs, la lutte parfois rugueuse pour la récupération de la balle ou encore l’enchaînement des buts. Néanmoins, pour l’œil néophyte, la passion que vouent les argentin à ce sport équestre peut sembler bien étonnante. 

L’autre sport national argentin

En effet, le polo est parfois présenté comme l’autre sport national argentin, en raison des très bons résultats des équipes argentines dans les compétitions internationales depuis les années 1920 (victoires argentines lors des JO de Paris 1924 et de Berlin 1936, 3 victoires en 8 coupes du monde). L’impact symbolique de ces victoires n’est par ailleurs pas négligeable, puisque les principaux adversaires des équipes argentines sont les nations de la « vieille Europe » (Grande-Bretagne, France…) ou les États-Unis, c’est-à-dire des pays plus ou moins considérés comme des modèles sur les plans économique, politique ou culturel. Aujourd’hui encore, le polo est fortement implanté en  Argentine. Il n’y a qu’à voir l’espace occupé par le “campo de polo” dans Palermo. Une place de choix en plein cœur du poumon vert de la ville. La tribune principale n’a d’ailleurs rien à envier aux “canchas” de football avec ses 30 000 places. 

Tours touristiques à thème dans les estancias, produits dérivés, initiation, le polo est devenu un symbole de l’Argentine au même titre que le maté ou l’obélisque, et est générateur de revenus non négligeables. Et là encore, pour comprendre les ressorts de cette spécificité, il nous faut nous plonger dans l’histoire du pays. 

Un peu d’histoire : un héritage anglais

Le polo arrive sur les rives du Río de la Plata dès les années 1870 suite aux vagues migratoires anglaises. Les anglais l’avaient eux-mêmes découvert en Asie lors de leurs campagnes aux Indes dans les années 1850. Dès la fin du 19e s. plusieurs “estancieros” se prennent au jeu en Argentine et le sport se développe entre les éleveurs gauchos de la pampa et une classe haute organisée en « Clubs » fermés. Encouragés par leur succès en compétitions internationales et relayés par certains organes de la presse argentine, les joueurs et les dirigeants du milieu du polo s’affirment. Les élevages sont peu à peu exportés en Europe et aux Etats-Unis, faisant de l’Argentine la Mecque du polo. 

Mais pendant ces mêmes années l’Argentine est en pleine interrogation autour de son identité nationale. Les jeux traditionnels pratiqués par les gauchos, dont l’un des plus célèbres et des plus violents est le “pato”, une lutte entre cavaliers pour récupérer un canard vivant, furent interdits, au profit de sports britanniques perçus comme plus respectables, plus contrôlés. « Discipliner le gaucho, parmi d’autres mesures politiques, passa par l’incorporation des sports britanniques »

Étant donné cette place privilégiée accordée au gaucho dans la perception du passé et dans l’identité nationale, les membres du milieu du polo ont cherché à réinvestir les traditions gaucheresques. Les “petiseros” par exemple, travailleurs agricoles spécialisés dans le soin et le dressage des chevaux, qui accompagnent les joueurs de polo dans leurs matchs, sont vêtus du costume traditionnel – pantalon bouffant, bottes de cuir, foulard, chapeau. Dans les années 1920-1930, les joueurs de polo cherchent donc à être reconnus comme les héritiers spirituels des gauchos mais aussi comme représentants d’un compromis qui se serait opéré entre des héritages nationaux et une certaine modernité européenne. Mais le polo en Argentine n’est devenu ni un sport véritablement national, ni une pratique populaire. Les raisons ne sont pas seulement économiques (tournées dans l’hémisphère nord très onéreuses) mais également le fruit de la permanence d’une vision du polo associée à une nation argentine blanche, de culture européenne, en étroite relation avec le monde du luxe et de la mode. 

10 infos clé pour comprendre un match de polo

  • La “Triple Corona”, la saison élite du polo argentin, commence en septembre et termine en fin d’année, clôturée par le prix le plus prestigieux : le Campeonato Argentino Abierto de Palermo, dont le terrain principal est surnommé « la Catedral » de par son histoire et sa singularité.
  • Il y a quatre joueurs par équipe : un attaquant, un centre et deux défenseurs. Il y a également deux arbitres, à cheval eux aussi.
  • Pendant la Triple Corona il y a 8 périodes de 7 minutes de jeu : les chukkers.
  • Les joueurs changent plusieurs fois de monture pendant la partie.
  • Si la boule s’échappe du terrain, c’est l’arbitre qui effectue la mise en jeu au centre.
  • Chaque cavalier de polo a un « handicap », c’est à dire un nombre de points associé à son niveau de jeu, afin que chaque équipe puisse gagner. “La Dolfina” a 40 points de handicap, le maximum possible.
  • On ne peut manœuvrer le maillet que de la main droite. Mariano Aguerre, ancien joueur champion de Palermo, est gaucher mais a dû apprendre à jouer avec la main droite.
  • Le terrain en gazon fait 275 m de long sur 145 m de large. Les joueurs doivent marquer des buts entre deux poteaux sans barre transversale et sans gardien, à l’aide de leur maillet
  • Afin d’éviter les risques de collusion entre les chevaux, il est interdit de couper la trajectoire de la balle et de son titulaire, un joueur ne peut intercepter la balle qu’en ligne parallèle.
  • Toutes les races de chevaux sont admises mais les argentins se sont spécialisés, dans l’élevage de croisés entre la race « criolla », un animal petit, docile et endurant et des pur-sangs de course. Les élevages de la pampa sont mondialement reconnus pour la qualité de leurs chevaux : dociles, agiles et rapides.

En selle et à vos maillets !

Louise Le Borgne

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