… mais la vie continue

Bernard Pivot a écrit un livre sur la vieillesse, sorti il y a deux mois.

Le célèbre journaliste, président de l’Académie Goncourt, est le présentateur d’émissions culte, comme « Apostrophes », « Bouillon de culture », « Dicos d’or », pour n’en citer que quelques-unes.

La vieillesse, « Bof » diront les plus jeunes, on n’y est pas encore ! « Ça ne me concerne pas », diront les octogénaires (et plus), ceux-là même qui, à 90 ans, disent que « les Ehpad*, ce n’est pas pour moi, il n’y a que des vieux « ! En effet qui n’a déjà entendu cela d’un proche, d’un ami, ou même d’un membre de la famille ? C’est vrai, qu’avec la vieillesse, « la vie continue » aussi chez soi, bien entouré de sa famille et de ses amis qui, parfois, ont la mauvaise idée de partir… avant !

A travers un narrateur qui lui ressemble comme un « jumeau », Bernard Pivot écrit un livre lucide.  Il y a eu avant, certes « …Mais la vie continue ».  Pour suivre le chemin, parfois semé d’embûches, il faut trouver quelques recettes. Lui a les siennes, et il les partage.

C’est drôle, curieux, et l’écrivain parle du grand âge avec beaucoup d’humour et d’esprit.  Évidemment, tout n’est pas joyeux, ce serait mentir …. Il ne tergiverse pas, du reste, et va droit au but en citant dès les premières pages des citations éclairées sur le sujet :

Romain Gary : Quand on se fait vieux, on se réveille chaque matin avec l’impression que le chauffage ne marche pas » (La charge d’âme)
Ou encore Laure Adler : « Se mettre en veilleuse de soi, n’est-ce pas cela commencer à accepter de vieillir ? (La voyageuse de nuit)
Quant à la citation qui, à la lecture de l’ouvrage, au fil des pages, s’appliquerait davantage à « l’esprit Pivot », c’est sans doute celle de Marcel Jouhandeau, dans sa réflexion sur la vieillesse et la mort : « La vieillesse apporte une lucidité dont la jeunesse est bien incapable, et une sérénité bien préférable à la passion… »

Bien sûr, notre homme de lettres a sa citation à lui, et elle peut surprendre. Trois petits mots bien choisis qui parlent à tous : « Vieillir, c’est chiant ! » C’est pesé et soupesé. Bernard Pivot ne souhaite pas être impoli. Notre personnage, loin des « peoples » mais néanmoins célèbre, est connu pour sa bonne « éducation ».   C’est le mot le plus approprié qui soit, « chiant ».  Il « claque » énergiquement. D’autres seraient trop doux à l’oreille, tandis que « c’est chiant » pousse à réagir.  On n’abdique pas, on ne baisse pas les bras, corps et esprit se mobilisent !

D’évidence il est beaucoup question de santé dans l’ouvrage, cinq chapitres santé très différents balisent le bouquin, s’immisçant entre d’autres sujets savoureux, qui, eux-mêmes, font parfois   allusion… à la santé. Mais on ne s’en plaint pas, le thème s’y prête bien.

S’agissant de ses amis, on peut lire « Aucun des JOP, (jeunes octogénaires parisiens) ne suit un régime … C’est un club de vieux gourmets amateurs qui ont une conception raisonnable de la diététique alimentaire. » … plus loin : « J’appartiens au clan des Vieux Poucets qui répandent dans leur estomac, tout au long de la journée, des petits cailloux vitaminés. Il y a des semaines B6 et D3, d’autres B9 et C. Cela me rappelle le jeu de bataille navale de mon enfance. » 

Plus loin il dit encore : « Je suis convaincu de vieillir moins vite que mes amis, qui eux ont la certitude de mieux se maintenir que moi ». Pourtant, il n’y a pas de déni chez Bernard Pivot qui l’affirme. « Il faut accepter de vieillir ! Déjà on ne peut pas faire autrement. » 

L’écrivain se définit comme un moraliste qui ne s’occupe pas de la morale, mais du moral !

Quel regard lucide, frétillant et plein d’humour face à la vieillesse.   « J’ai entretenu à plaisir ma réputation d’homme au tempérament enjoué, souvent rieur, qui sait fuir les déprimes et s’évader la mélancolie. »  L’homme compose, et le reconnaît, avec ses crises d’inquiétudes et autres noirceurs. La mort est « sur le qui-vive », il en parle, mais on verra plus tard.  On retient l’essentiel : « Plus tard est là ».

Et on l’entend, qui se reprend avec autorité : « le privilégié que je suis n’a pas le droit de se laisser aller…c’est une affaire de morale ! »

Les petits renoncements, ou ne pas renoncer… « C’est justement parce que j’ai rayé de ma vie d’octogénaire des matières, qu’à tort ou à raison, je juge encombrantes, que je dois veiller à ne pas en écarter les petits riens des passions sauvegardées. Le diable, dit-on, est dans les détails, et j’aime à penser qu’il trouve encore du plaisir à m’accompagner…

C’est vrai que l’on peut dire aussi : « Dieu est dans les détails ». Voilà pour appuyer une vérité : chaque détail compte. On ne doit rien négliger.

Plus tôt, dans le livre, Bernard Pivot parle de « délestages ». Il ne s’agit pas de renoncements, mais d’une sensation de trop-plein qui nécessite de faire des choix. Ne plus se laisser bombarder par toute l’actualité politique, scientifique, culturelle et sportive. Privilégier certains domaines au détriment d’autres. Bien entendu, l’homme se montre toujours aussi curieux, mais plus sélectif dans le choix de ses curiosités.

On suit cette chronique romanesque avec plaisir, même nous, plus jeunes, car nous y serons aussi confrontés (si on a un peu de chance) à cette vieillesse ! Comment garder l’esprit en alerte ?

« Arrière le passéisme ! Vive l’instant présent ! Pourquoi m’égarer dans les brumes du passé, alors que le récit de mes vieux jours s’écrit dans la lumière du présent ? »

Tellement vrai encore, et drôle tout à la fois : « Je me dis chaque matin que je connais mieux mon sujet que la veille, et que, demain, je le connaitrai mieux qu’aujourd’hui… Pour bien faire, pour une plus juste adaptation de la vieillesse au livre qu’elle alimente, il faudrait que le dernier souffle de l’auteur coïncide avec sa dernière phrase. Je n’y suis pas favorable ! ». Comme on le comprend !

Bernard Pivot, raconte avec tellement d’humour ses moments de panique sur le 6ème continent, l’informatique s’installant dans sa vie sur le tard. Les jeunes sont des « habitants naturels » de cette planète.

« Si l’ordinateur ou le smartphone poursuit son refus de collaborer, j’ai deux solutions. Soit appeler une amie, pour qu’elle intervienne par la prière auprès de Saint Eloi, patron des orfèvres et des horlogers. Mais a-t-il étendu ses connaissances et son influence dans l’électronique ? Soit appeler Édouard, douze ans, petit génie de l’informatique comme il y en a tant. En deux ou trois minutes, il remet l’appareil dans le droit chemin…

Mais voilà que Bernard Pivot se frotte aux réseaux sociaux, ce monde « tumultueux dont on fait plus souvent le procès que l’éloge ». Il a ressenti le besoin de s’y manifester. Et nous, avons ressenti le besoin de le suivre, ainsi que plus d’un million d’abonnés ! Il faut dire que « l’homme des mots justes » possède l’art et la manière d’écrire des tweets drôles et profonds. D’ailleurs il annonce dans le livre et ce sera le mot de la fin : « C’est dit, demain, je twitte ».

Écrivez, Bernard Pivot, nous, on partage !

* EHPAD : Etablissements d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes

…mais la vie continue, Bernard Pivot (Ed. Albin Michel)

Pétra Wauters

 

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