Un temple dédié au “street art” dans Palermo

Comme toutes les grandes villes de ce monde, Buenos Aires est un terrain de jeu apprécié par les graffeurs, et autres artistes urbains.

street art

Au détour des “cuadras”, les pupilles dénichent par hasard, ou sont envahies – cela dépend de l’ampleur des œuvres – par des îlots de couleur. Pour s’en rendre compte, pas besoin d’un musée : il suffit d’ouvrir les yeux. Et pourtant… pas si sûr.

En plein Palermo Viejo, se tient un musée de “street art”, le seul du genre à Buenos Aires. Il est 18 heures lorsque je franchis l’entrée encadrée de personnages peints en noir et blanc, Pablo Fuchs, le propriétaire du Post Street Bar, me lance d’un ton mi-amusé, mi-désespéré: “l’artiste n’est pas encore là, je ne peux pas te faire visiter le musée. Il faut savoir les supporter les artistes, hein!” Je m’installe. L’endroit, les murs, et même ma table, sont envahis de graffitis et dessins au pochoir d’inspirations diverses. Personnages issus de la culture dessins animés, jeux vidéo, icônes de la musique ou du cinéma, ou monstres semblables à du Jérôme Bosch moderne. Superposés les uns sur les autres, à la peinture ou au pochoir, technique appelée “stencil”, chaque mètre carré de mur est une surprise, un détail. Armée de mon appareil photo et occupée à dénicher chacun de ces petits trésors d’inventivité et de réinterprétation, je sursaute presque lorsque Pablo m’invite à le suivre dans la cour -non moins envahie de stencils- qui donne sur le musée “Hollywood in Cambodia”.

L’artiste, allure adolescente et phalanges constellées de taches de peinture, me guide à travers le musée : au rez-de chaussée les artistes entreposent des pièces à vendre -un soldat tout droit sorti de la saga Star Wars remixé à la sauce Lichtenstein, un cochon au groin affublé d’un masque- et à l’étage, deux pièces aux murs parfaitement immaculés sont réservées aux expositions temporaires. L’exposition permanente et sans cesse renouvelée se trouve une volée de marches plus haut, sur la terrasse. Concentrée et tassée sur les murs, une explosion de formes et de couleurs rendent hommage aux divers styles de “street art” : fresques murales, stencils, et même “pixaçãos” (forme particulière de graffiti née à São Paulo dans les années 60 et pratiquée sur les plus hauts immeubles). Venus de tous horizons, Brésil, Espagne, Colombie, Mexique, amis graffeurs, étrangers de passage, tous y ont laissé leur marque.
L’artiste, qui se présente davantage par son “crew” (groupe d´artistes graffeurs), m’explique que le musée est géré par 4 “crews” locaux : BsAs Stencil, Rundontwalk, Malatesta et Stenciland. La plupart des artistes manient leur pinceaux et bombes depuis au moins une dizaine d’années, influencés comme partout ailleurs par les pionniers du graffiti, notamment le Français Blek le Rat et bien évidemment Banksy par la suite. Le concept de ce musée se veut convivial et ouvert à tous, graffeurs confirmés comme novices, à l’image des ateliers de techniques et de la genèse même du projet.

“Comment est né le concept ? Par pur hasard!” s’exclame Pablo. “Le bar a été créé un an avant le musée. Fabio (Roncallo) et moi avons cherché sur Internet des artistes pour décorer l’intérieur du bar. Au final, au lieu de quelques dessins, on en a eu deux mille ! Ils nous ont proposé un échange plutôt intéressant : leur confier l’arrière-cour pour en faire un musée en échange de leurs services de décoration”. Sur un rire sonore, il se plaint faussement de la cohabitation avec des artistes, “toujours un peu fous et évaporés”, mais évoque l’incroyable partage que permet ce bar et me désigne du doigt un pochoir noir aux formes singulières. “C’est la Nouvelle-Zélande. Une jeune néo-zélandaise a travaillé comme serveuse ici pendant un an, elle a appris la technique du stencil, a créé le sien et a apposé sa marque à quelques endroits de Buenos Aires. Ce bar c’est un peu une grande famille, des touristes du monde entier y viennent, et je peux vous dire que les Français sont nos meilleurs clients !” rajoute-t-il amusé.

Un conseil : remontez Thames depuis Plaza Italia, pour découvrir ce monde à part au numéro 1885. Vos yeux s’en souviendront.

Arielle Allouche

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