Pierre Rosanvallon et le bon gouvernement

Invité le 2 décembre dernier par le Centre Franco-Argentin de la UBA et l’Alliance française, l’historien et politologue Pierre Rosanvallon (titulaire de la chaire d’histoire moderne et contemporaine du politique au Collége de France et directeur d’études á l’EHESS) a livré sa vision du gouvernement démocratique à travers la présentation de son dernier ouvrage, « Le Bon gouvernement », récemment traduit en espagnol « El buen Gobierno ». Une réflexion bienvenue en ces années électorales, tant pour la France que pour l’Argentine

rosanvallon« Le gouvernement n’a pas été questionné par la démocratie ». Tout de go, Pierre Rosanvallon pose le problème, et il est de taille. Vivons-nous, nous qui sommes si fiers de nos droits de l’homme et de nos institutions, dans des régimes où la démocratie n’est qu’une façade ? Selon l’historien, si le pouvoir législatif peut se targuer de s’exercer démocratiquement, le pouvoir exécutif ne peut pas en dire autant. En effet, les efforts intellectuels de la pensée démocratique se sont essentiellement portés sur le Parlement et la loi, « ce doux maître qui ordonne mais n’oppresse pas ». « Dans toute la littérature politique du XIXème siècle, seuls deux ouvrages traitent du gouvernement : un de Necker et l’autre de Guizot », détaille Pierre Rosanvallon. C’est assurément bien maigre. Le problème devient d’autant plus important que depuis la Première guerre mondiale, et plus encore à partir de la deuxième moitié du XXème siècle, le pouvoir exécutif s’est imposé comme le maître de nos institutions. « Le mouvement de présidentialisation et de personnalisation du pouvoir s’explique par deux facteurs principaux : d’une part, la nécessité de prendre rapidement des décisions, de l’autre celle d’imputer plus simplement la responsabilité politique. Si, avec le vote, la démocratie est bien présente dans le choix de nos gouvernements, elle ne l’est pas dans l’exercice du pouvoir.»

Parler vrai

Très bien, mais alors dans ce cas, comment faire passer le pouvoir exécutif sous le joug démocratique ? Pierre Rosanvallon a quelques idées. Premièrement, créer un « code de gouvernement » mettant l’accent sur la transparence et la responsabilité tout en le déclinant dans les institutions : garantie d’un droit d’accès aux informations publiques, peines d’indignité nationale ou d’inéligibilité dans les cas de corruption. Deuxièmement, développer les institutions de surveillance de l’action gouvernementale. Le Parlement bien sûr, mais également des autorités indépendantes, la Cour des Comptes et les associations de citoyens. « Dans ce domaine, la création de la Haute autorité de contrôle de la transparence de la vie publique est un bon début », estime le politologue. Troisièmement, et il s’agit sans doute de la mesure la plus difficile, créer une culture politique du « parler vrai ». « L’idée n’est pas nouvelle, pendant la Révolution française, Condorcet avait rédigé un lexique politique démocratique afin d’employer toujours le mot juste. Sans aller jusque-là, les organisations citoyennes et les médias doivent traquer le mensonge dans la vie publique. »

Etat d’urgence

Un ensemble de propositions qui s’inscrivent dans un monde politique en profonde mutation : les partis politiques traditionnels sont rejetés par un nombre chaque jour plus grand d’électeurs, des mouvements citoyens tels que « Podemos », en Espagne, bousculent les jeux de pouvoirs tandis que le développement fulgurant d’Internet a conduit á une sorte de matérialisation de l’opinion publique. Mais il est plus que temps de se mettre au travail. « L’application de l’état d’urgence en France suite aux attentats du 13 novembre montre que le gouvernement est appelé á occuper une place plus forte avec les crises. Face á ce pouvoir plus fort, il faut un contrôle plus fort ». En Amérique du sud le besoin de structurer l’exercice du pouvoir se fait également sentir. « Dans notre continent, le présidentialisme est à la fois fort et faible », estime Enrique Peruzzotti, professeur de sciences politiques á l’université Torcuato Di Tella. « Fort dans les moments de crise, quand il s’agit de sauver la patrie, mais á mesure que l’état d’exception disparaît, ce pouvoir s’affaiblit ».

Alors, comment parvenir au « bon gouvernement » ? Au Moyen-Age, c’est la vertu qui était considérée comme la condition d’un pouvoir juste. Au fond, voici sans doute la solution.

Simon Fontvieille

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