« Je suis tombé amoureux de Cannes »

Thierry Frémaux, l’homme du festival de Cannes, donnait mardi 28 novembre dernier,  une conférence à l’Alliance Française pour présenter son livre « Sélection Officielle. Journal » qui sort en espagnol aux Ediciones 36.

« Je suis tombé amoureux de Cannes» : ce sont les paroles de Thierry Frémaux lorsqu’il évoque le festival de Cannes, cette institution qu’il a rejointe il y a maintenant dix-sept ans. Il y a assisté pour la première fois en 1979, alors qu’il ne connaissait rien de l’événement et jeune et désargenté allait jusqu’à dormir dans sa voiture. Pourtant, aujourd’hui, le voilà devenu l’organisateur principal. Directeur artistique de l’institut Lumière de Lyon et président de l’association frères Lumière, Thierry Frémaux est par-dessus tout connu pour être l’une des figures maîtresses du festival de Cannes. Après avoir été appelé au poste de délégué artistique par Gilles Jacob en 2001, il est officiellement chargé de la programmation des films à partir de la 57ème édition (2004) puis promu délégué général du festival en 2007, fonction qu’il occupe toujours actuellement. Il est chargé à la fois du contenu artistique mais aussi de l’intendance et de la gestion administrative et logistique du festival. Passionné de cinéma, il a été tenté de partager cette passion au travers de l’écriture d’un ouvrage sur cette institution, nombril du monde du septième art. De passage dans la capitale argentine, il est venu présenter son récit « Sélection Officielle. Journal », qui sort en espagnol aux Ediciones 36 (« Selección Oficial. Diarios »), dans la bibliothèque de l’Alliance Française, mardi 28 novembre. Interviewé par Pablo Scholz, -et non Daniel Burman, l’interlocuteur qui avait d’abord était pressenti-, il s’est exprimé dans la langue de Cervantes tout au long de la rencontre. Il conserve une bonne connaissance de l’espagnol qu’il avait appris lors d’une année passée à Buenos Aires dans sa jeunesse.

« Je ne voulais pas faire un livre de méthode »

Dans cet ouvrage, qui commence à la clôture de Cannes 2015, en mai, et se termine à la clôture de Cannes 2016, un an plus tard, Thierry Frémaux retrace une année de sa vie en tant qu’organisateur du festival. Elaboré à partir d’un journal qu’il a rigoureusement tenu tout au long de l’année, le livre expose le fonctionnement du festival de Cannes du point de vue de l’auteur, tout en y ajoutant des anecdotes, des portraits et des éléments de sa vie personnelle, pour ne pas en faire un ouvrage technique de méthode. Il aborde en particulier le processus de sélection des films, dans lequel interviennent les relations avec les médias, artistes et producteurs, jusqu’à l’élection de ceux qui composeront la sélection officielle et parmi lesquels devront trancher les comités du jury.

« On regarde 1800 films par an. »

Thierry Frémaux explique que cette sélection officielle est précédée d’une présélection indispensable, en raison du nombre de films proposés pour la compétition, qui commence dès la clôture de l’édition du précédent festival. De mai 2015 à mai 2016, l’équipe de sélection a donc vu environ 1800 films, avec une moyenne de deux par jour, alternant entre courts et longs-métrages. Contraint souvent de faire de longs voyages rien que pour visionner une œuvre parfois inachevée ; Frémaux s’était par exemple rendu en 2003 à Los Angeles sur la demande de Clint Eastwood pour découvrir « Mystic River ». Un travail de première sélection qu’il juge difficile, car il est fondamental de ne pas s’arrêter à ses goûts personnels mais de prendre en compte une multitude d’autres critères (film d’auteur, réputation des acteurs et réalisateurs, nationalité…), le premier objectif étant d’obtenir un choix officiel reflétant la production cinématographique mondiale et révélant des œuvres singulières. Certaines célébrités, comme Pénélope Cruz ou Nicole Kidman, refusent d’ailleurs de faire partie d’un comité jury, se sentant illégitimes ou incapables d’assumer ce rôle.

« On ne sait jamais à l’avance si un film sera un succès ou non. »

La subjectivité reste néanmoins un facteur influent, en effet, d’après Thierry Frémaux, « on ne sait jamais à l’avance si un film sera un succès ou non ». Il mentionne comme exemple le cas du film allemand « Toni Erdmann », l’un des favoris en 2016 parce qu’adoré par les journalistes, mais qui n’a pourtant remporté aucun Prix, boudé par le jury.  Un dîner est organisé avant le début de la sélection officielle pour que les jurés fassent connaissance et pour remettre les clés au président du festival, il est, toutefois, de règle de ne pas parler de la sélection pour ne pas influencer le jury.

« Participer au Festival de Cannes peut ‘tuer’ un film. »

Thierry Frémaux fait mention d’un effet « à double tranchant » du festival de Cannes puisque la proposition d’une œuvre à la sélection n’est pas sans danger, pour le film lui-même et pour les acteurs et réalisateurs, qui peuvent tout aussi bien voir enfler de façon phénoménale leur succès et notoriété que les voir s’effondrer du jour au lendemain. Le film « Stavisky » d’Alain Renais avait été un échec cuisant par exemple. Les projections de presse – deux par jour, le matin et le soir – en sont d’autant plus décisives car les critiques sont d’une importance capitale auprès du public. Frémaux, chargé de la programmation des films, doit réaliser un travail de logistique important : en effet certains jours et heures de passage (fin du festival, nuit…) sont considérés comme désavantageux quant à l’état d’esprit du public et du jury. Il donne comme exemple “Vice-Versa”, un film d’animation programmé un lundi, jour qui ne plaisait pas au réalisateur. Finalement, étant passé après une série de films tristes, peut-être lassante pour le jury, cela a joué en sa faveur.

Thierry Frémaux a terminé sa conférence en abordant un nouveau défi auquel est confronté aujourd’hui le festival de Cannes : la modernisation technologique du monde cinématographique. L’intégration au festival de Netflix : cette plateforme qui a les fonds pour produire des films et acheter l’exclusivité de leur diffusion, est maintenant envisagée… un pas vers la modernité selon le cinéphile.

La conférence, s’est terminée abruptement sans donner lieu au traditionnel moment de questions de la part du public, -alors qu’elle avait commencé avec 45 minutes de retard- !. A la place, une séance de dédicace a eu lieu pour les lecteurs qui avaient amené leur exemplaire du livre.

 

Faustine Luneau

Crédit photos : Faustine Luneau

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