“Nous sommes tous des Juifs Allemands”

Les “Trente Glorieuses” (les années qui ont suivi la fin de la seconde guerre mondiale) assistent à un essor économique explosif, une croissance exceptionnelle et régulière de 5% par an.

Durant ces années, grâce au Plan Marshall, et aux accords de Bretton Woods (IMF, World Bank), nous entrons, en France, et mondialement, dans l’ère de la “société de consommation”. Voitures, télévisions, machines à laver font désormais partie du mode de vie. En Europe, en Australie, au Japon, au Canada, presque tous les pays atteignent la prospérité Nord-Américaine. L’augmentation de l’espérance de vie (+10 ans), la diminution de la mortalité infantile provoquent une explosion de la population.

Pourtant dans les années 60, après les décades du “miracle économique” la croissance se tasse, les limites de productivité sont atteintes ce qui amoindrit la rentabilité des entreprises, le chômage augmente (plus de 50.000 chômeurs en 1968). Les étudiants, trop nombreux sont entassés dans une Université (l’Université de Paris) excellente certes, mais bien trop petite pour les accueillir tous, et surtout, créée en 1896, son fonctionnement fortement hiérarchisé et sclérosé ne correspond plus aux attentes des étudiants. Les guerres d’Algérie et du Viet Nam révoltent beaucoup d’intellectuels opposés à la “colonisation”. Enfin les conditions de travail des ouvriers sont lamentables, entre 48 et 52 heures de travail par semaine, travail à la chaîne, etc… Les femmes – 37,9% de la population active- perçoivent deux tiers des salaires masculins. Elles sont encore peu nombreuses à l’Université, et les écoles ne sont pas mixtes, ce qui implique une éducation différente pour elles. En 1967 la loi Neuwirth autorise la contraception, mais c’est toujours la puissance paternelle qui est considérée. L’avortement est bien sûr interdit et criminel. Quant au divorce, il est toujours accordé sur une base de culpabilité de l’un des époux.

La croissance économique ne profite pas à toute la population.

Daniel Cohn Bendit prend la tête du mouvement étudiant du 22 mars 68 qui occupe la tour administrative de Nanterre. Il s’agit d’une protestation contre l’arrestation de contestataires opposés à la guerre au Viet Nam. Lorsque le recteur décide de fermer Nanterre, les protestataires occupent la Sorbonne, des manifestations éclatent au Quartier Latin, on élève des barricades.

Le 2 mai, “Minute”, journal d’extrême droite précise: “ Ce Cohn-Bendit parce qu’il est juif et allemand, se prend pour un nouveau Karl Marx”.

Le 3 mai, Georges Marchais, secrétaire général du parti Communiste, condamne “ces groupuscules dirigés par l’anarchiste allemand Cohn Bendit”.

Les jours suivants le slogan “nous sommes tous des Juifs Allemands” apparaît sur une affiche montrant Cohn Bendit souriant, face à une ligne de CRS. Bien sûr, traiter Cohn Bendit de Juif Allemand était une insulte, une honte. On se souvient de l’affaire Dreyfus, “les Boches” n’étaient pas les bienvenus en France dans l’après-guerre, en résumé, un étranger, un Boche s’attaquant au gouvernement, à la moralité bourgeoise, aux entreprises, cela aurait dû refroidir les esprits frondeurs des étudiants.

Pourtant ce slogan est devenu celui de la solidarité, celui de l’inclusion.

…pour moi, qui avais 20 ans en 1968, c’est ce que je veux me rappeler de “mai 68”.

Bien sûr “mai 68” c’est cet élan de protestation lancé par les étudiants, par les ouvriers, puis par les femmes contre une société autoritaire, paternaliste, bourgeoise, traditionnelle qui a bouleversé la France, qui l’a paralysée pendant plusieurs semaines. Une grève générale, la plus importante du XXème siècle. Ce sont aussi les derniers jours du Général de Gaulle, et plus tard la quasi-extinction du parti communiste. Ce sont les accords de Grenelle avec une augmentation du SMIG de 35%, l’augmentation du salaire réel de 10% et les syndicats sur les lieux du travail. Plus tard viendront les lois qui modifieront nos moeurs et les conditions de travail seront plus humaines.

…mais pour moi qui avais 20 ans, ce que je souhaite me rappeler de mai 68, c’est cette révolte puissante et optimiste en faveur des exclus du système.

Bianca McMaster

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