#Je reste à la maison

NUIT 31. Ce qui tente de rentrer au plus profond de mon oreille droite sans mon autorisation expresse ressemblerait presque au bruit d’une scie circulaire coupant du bois…

Mais une scie minuscule, au son très aigu, lancinant. Je me retourne pour tenter d’échapper à cette nuisance sonore mais c’est peine perdue : cette fois-ci, c’est mon tympan gauche qui est attaqué. A l’issue d’un certain effort accompagné d’un profond soupir, je commence à mettre en marche mon cerveau retardant le plus possible l’annonce de la mauvaise nouvelle. J’ouvre un œil. Il fait encore noir. Je me maudis de ne pas avoir pensé à brancher mon ventilateur (ils n’aiment pas le mouvement de l’air provoqué par les pales des hélices, ça les agace ; leur plan de vol s’en trouve perturbé), ou mis la petite pastille bleue (il existe une version b sous forme liquide, moins odorante) bien placée dans son habitacle branché sur une prise de courant.

Dans un espoir vain, j’essaie d’oublier l’importun dans le but de retourner là où j’étais. Peine perdue : à peine commençais-je à m’enfoncer dans un second sommeil ouateux que le petit sifflement revient à la charge. Rien à faire. Quelle heure est-il ? Je tapote mon réveil tactile qui m’indique un 4:47 déprimant. Je sais déjà que ma nuit est fichue. J’analyse les différentes stratégies qui s’offrent à moi. Mettre un produit ? Entre le moment où je le mets en route et qu’il produira son efficacité, je serai victime d’un intense bombardement. Le ventilateur ? Je me rappelle que, l’été s’éloignant, je l’ai remisé dans la buanderie.

Trois solutions, alors, s’offrent à moi.

Plan A

Etape 1 :

Il faut allumer la lumière, se lever, chausser les lunettes, scruter dans le vide, à l’écoute du moindre bruit révélateur, voir apparaître un point noir virevoltant et moqueur (Tu m’attrap’ras pas !), les fesses à l’air, en équilibre précaire sur le matelas et attendre sans même être certain que l’entreprise soit remplie de succès d’autant que dans ces cas-là, le bruit tant honni disparait comme par enchantement pour revenir juste au moment où, recouché, on s’enfonce dans un nouveau sommeil.

Tension extrême. On attend, immobile, aux aguets. Les yeux balaient, pas trop vite, leur champ visuel à la faible lueur de la lampe de chevet.

Etape 2 :

Si, avec un peu de chance, l’engin est repéré, on essaie de ne plus le perdre de vue ce qui nous fait bêtement dodeliner de la tête dans tous les sens. En règle générale, cela ne marche pas du premier coup si bien qu’il faut reprendre la recherche vous obligeant à revenir au commencement de ce paragraphe.

La répétition de ces actions est accompagnée par un inexorable amenuisement de l’espoir d’une solution rapide lui-même peu à peu supplanté par un agacement grandissant.

Ҫa y est, cette fois, l’ennemi est dans la ligne de mire. Deux solutions s’offrent alors à vous pour la mise à mort.

Etape 3a : la prise en vol

Les chances de succès sont faibles. Le mouvement de nos deux mains qui s’approchent l’une de l’autre provoque inévitablement un mouvement d’air qui profite à l’ennemi. A cela s’ajoute notre équilibre précaire vu qu’on est debout sur un élément instable. Imaginez la scène d’un Goliath (c’est vous) s’écroulant lourdement, dans un grognement sourd, sur la moquette devant un David (c’est lui) virevoltant et réalisant loopings sur loopings au-dessus de votre tête. Cette stratégie est à déconseiller.

Etape 3b : le mur (Blanc de préférence parce que, dans ce cas, le duel a plus de chance de tourner à votre avantage. Si vous avez à repeindre votre chambre, un conseil : évitez les surfaces sombres ; ceci dit en souvenir d’une chambre d’hôtel aux murs recouverts de plaques de bois foncé…)

Ô joie ! L’ennemi est repéré et vient juste de se poser devant vous ! Plus un geste, plus un bruit, ne respirez plus ! Approchez douuucement, touuuut douuuucement, par l’arrière de préférence (technique qui est le fruit d’années d’apprentissage) et frappez d’un coup sec ! A s’en faire mal votre main que vous entendez claquer contre le mur. Malheureusement, le succès n’est pas forcément au bout. L’angle de tir n’était pas le bon, la main pas assez étalée, bref, plein de petits détails qui font la différence… La bête peut repartir avec son crissement moqueur dans un lieu de la chambre hors de votre portée visuelle ou de celle de votre bras ou bien, comble de la fourberie, elle vous a attaqué par derrière alors que vous, obnubilé, regardiez de l’autre côté. Si, par bonheur, vous réussissez votre coup, il est possible qu’une grosse tache rouge sur la paroi indique que vous avez déjà été touché et que la piqûre ne tardera pas à faire sentir son effet si ce n’est déjà fait. Il faudra donc dans ce cas, nettoyer avant que cela ne sèche. Si le monstre gît lamentablement, écrasé, pattes et trompe pendantes, le succès est assuré à condition qu’il soit seul ! Rien de pire, après ce combat épique que, alors qu’on se recouche, satisfait, un second sifflement vienne déjà écrouler votre sentiment de victoire. Il vous reste à revenir à la case départ… ou renoncer définitivement.

Plan B

Après avoir étudié toutes les hypothèses, j’opte alors pour la solution la plus facile mais pas forcément la plus efficace : je me coule sous les draps. Là, au moins, mon p’tit gars, tu ne m’auras pas ! Le problème est que le bruit est toujours là, têtu, insistant. Il veut sa pitance de sang le bougre ! L’autre problème est que, très vite, je commence à avoir chaud, je transpire, je manque d’air et rien ne garantit qu’un bout de peau, ne serait-ce que l’extrémité de l’auriculaire de ma main droite, ne dépasse quelque peu du tissu protecteur pour que le festin commence. Je réussis miraculeusement à m’endormir pour quelques minutes peut-être lorsque soudain je sens comme une protubérance s’insinuer insidieusement sur mon front. Touché. Peut-être sera-t-il rassasié ? Non. L’attaque en piqué façon Stuka continue…

Plan C

Je suis vaincu. J’allume la lumière en me maudissant et, tout en considérant que je devrais faire un peu plus attention en me couchant le soir, je me prépare un premier café espérant que la sieste de l’après-midi ne sera pas, comme cela fut le cas la veille, perturbée par un marteau-piqueur. Vrombissement beaucoup plus puissant mais tout aussi lancinant. L’avantage c’est que ces engins ne volent pas et qu’après, on ne se gratte pas.

(A suivre)

Pierre Leheup

Photo : Susana Bravo

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