En route pour l’éclipse…

Pouvoir enfin sortir de Buenos Aires après huit mois de confinement puis de semi-confinement ! Un sentiment de soulagement mêlé à la sensation d’une liberté de mouvement retrouvée nous envahit.

Peu importe si, au départ, un gros orage d’été s’écrase sur le pare-brise de la voiture ; peu importe si la sortie vers la ruta 3, la route mythique du Sud qui borde la façade atlantique et descend jusqu’à Ushuaïa en Terre de Feu, est longue et chaotique ; peu importe s’il a fallu chercher, trouver, demander des autorisations de voyage qui nous rappellent que la pandémie, bien que moins virulente en ce mois de décembre, est toujours là ; peu importe la petite crainte qui nous a accompagnés jusqu’au moment de recevoir l’acceptation de la demande. Peu importe, puisqu’on peut prendre la route.

Et dès le premier arrêt, alors que peu à peu les constructions urbaines laissent la place à la verdure et aux champs, on sent déjà, en sortant du véhicule, que les odeurs de la ville sont en train de nous quitter. Le long du chemin, quelques indices montrent que certaines choses ont changé depuis que la Covid a envahi notre quotidien : les gens affublés du masque, même si, dans les zones rurales,  leur port semble un peu plus lâche qu’à Buenos Aires ; une circulation routière un peu moins intense que d’habitude ; l’obligation de faire la queue à l’extérieur des zones marchandes des stations-services afin de respecter les règles de distanciation ; les stations de péages qui laissent passer gratuitement les véhicules…

Peu à peu, plus on s’enfonce dans les terres vers la Pampa « sèche », plus on s’éloigne de Buenos Aires, au fur et à mesure des kilomètres, le vert de la végétation pâlit, les espaces s’agrandissent, les zones urbaines se raréfient doucement et puis, à un moment, on ne sait plus très bien lequel, on se rend compte qu’il n’y a plus rien, ou si peu.

Pardo, pause déjeuner

On est déjà loin de la capitale. Pour atteindre le village, depuis la route n°3, il faut bifurquer quelques kilomètres sur la droite pour le retrouver blotti autour d’une gare maintenant désaffectée, comme c’est le lot de tant de gares de campagne en Argentine. Pardo est une zone urbaine qui a vécu à l’époque où le train était le principal moyen de communication autant pour les passagers que pour les marchandises.  Le trafic commercial s’est dorénavant déplacé vers la route et a laissé Pardo hors du temps ; pour le meilleur et pour le pire. Et le panneau vantant les qualités touristiques du village ne fera illusion que quelques secondes. Dans la gare désolée, le bruit des feuilles des arbres battues par le vent est le seul à défier les nombreux et divers pépiements des oiseaux qui règnent en maître sur le silence. La gare, témoin d’une époque révolue, est comme pétrifiée. Subsistent encore quelques marques d’un passé révolu plein de mouvements et de vie : un tourniquet de bois usé jusqu’à la moelle qui permettait l’accès aux voies, des arbres envahissants qui rétrécissent ce qui reste du quai opposé et cachent un dépôt de marchandise en ruine, quelques panneaux d’un autre temps : sala de espera general, sala de señoras . Dans une salle, dont la porte d’accès est fermée à clef, on aperçoit  à travers une vitre un guichet condamné où l’on peut lire Encomiendas y cargas. Pas très loin, devant l’édifice de la station, deux adolescents discutent à voix basse : la jeune fille assise sur le pas de la porte de la maison et le garçon posé sur la selle de sa mobylette. Une famille vient traverser les voies ; unique présence humaine. Après, cette gare perdue n’est plus habitée que par des fantômes.

Olavarría

A un peu moins de cent cinquante kilomètres plus au Sud, on arrive à Olavarría. Dans cette ville qui ressemble à tant d’autres de la Pampa, les rues sont larges, droites et poussiéreuses, les véhicules les parcourent lentement. Ici, rien ne presse. La plupart des maisons anciennes des coins de rue sont en ochava : l’angle droit de la maison qui donne sur le coin de la rue est coupé laissant souvent la place à la porte d’entrée.  La vie tourne autour de la place centrale. Spacieuse, bien ombragée, elle est entourée par les édifices administratifs, religieux et financiers. Plus on s’éloigne du centre, plus les édifices rapetissent. Les maisons patriciennes qui subsistent encore laissent peu à peu la place à des constructions chaque fois plus discrètes, ramassées, chaque fois plus humbles. Puis, l’asphalte qui recouvre les rues disparaît pour laisser la place aux chemins de terre encore traversés parfois par des voies improbables de chemin de fer abandonnées.

Sur la chaîne de télévision locale, même si la covid occupe toujours l’espace médiatique, on s’inquiète parce qu’une chauve-souris infectée par la rage a été repérée dans un quartier. Les autorités sanitaires iront frapper aux portes demain afin de vérifier si les animaux de compagnie ont été touchés. Enfin, pour clore ce petit tour d’horizon partiel et partial, rien n’existe sans la musique omniprésente : le tango et, surtout, le folk règnent sans contestation possible. Ils symbolisent une culture à la fois argentine (pour le tango, issu des milieux urbains) et rurale pour le folk.

À 350 km de Buenos Aires, on est déjà dans un autre monde.   

Jérôme Guillot

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