Immigration française en Argentine

Le Béarn, petite région du sud-ouest de la France située sur la frontière espagnole fut, comme sa voisine basque, une grande terre d’émigration française en Argentine – Alicia Sempé, une histoire béarnaise

Pendant la seconde moitié du XXème siècle, de nombreux Béarnais tentèrent leur chance vers les deux rives du Rio de la Plata. Les raisons évoquées sont toujours les mêmes : fuir la misère aggravée par la surpopulation, prêter l’oreille aux arguments des agents argentins venus vanter les richesses de leur pays, et savoir que la langue parlée là-bas, très proche du béarnais, ne peut que faciliter l’intégration. En terme démographique, l’immigration béarnaise est loin d’être anecdotique. Citons le professeur Alberto Sarramone, auteur de nombreux livres traitant de l’émigration française : « de 1870 à 1900, 80 émigrants quittèrent Aste-Béon pour La Plata, la sixième partie de sa population (…). Bilhères de 470 habitants en 1870 perdit une vingtaine de familles, (…) Louvie-Juzon peuplée de 1679 habitants vit 118 personnes partir en 1888. En 8 ans, Laruns perdit deux cents de ses habitants. » A l’égal des Basques, des associations béarnaises virent le jour en Argentine telle que l’Association franco-argentine des Béarnais.

Alicia Sempé est descendante de Béarnais. L’histoire qu’elle nous raconte commence par un article du quotidien régional « La Dépêche » daté du 12 août 2017. Son titre : « Une Argentine revient au pays ». Nous sommes à Pontacq, en plein Béarn, une petite ville située dans le département des Pyrénées Atlantiques qui n’atteint pas les 3000 habitants. Alicia est en France car elle est partie à la recherche de ses lointains cousins français. Un an après sa première visite chez les Pontaquais, elle est venue remercier toutes celles et tous ceux qui l’avaient accueillie lors de ses recherches afin de retrouver les traces de ses aïeux.

Pour cela, il faut revenir près de 150 ans en arrière. En 1887, Jacques Sempé quitte Pontacq pour l’Argentine. Il a 22 ans. Il est le cadet d’une fratrie de cinq enfants. Selon les sources familiales, il migre avec un de ses cousins, Jean Léon Sacley. La vie de Jacques est probablement une vie sans histoire faite de labeur, de sueur et d’abnégation comme le fut celle de la grande majorité des migrants de cette époque. Dans un premier temps, il s’installe à Mar del Plata où il retrouve, des membres de sa famille déjà installés dans cette ville. C’est là également qu’il rencontre et se marie avec Angela Castro originaire de Balcarce. Le couple aura huit enfants. Après un détour par Coronel Pringles, dans le sud de la province de Buenos Aires, puis dans une ferme tout près de Carmen de Patagones, le couple s’installera définitivement à Lamarque, en plein centre de la Patagonie, probablement dans les toutes premières années du XXème siècle. A cette époque, tout est à construire dans ces contrées où s’installent Jacques et sa famille. S’implanter dans ces régions, c’est tenter l’aventure dans des terres encore pratiquement vierges, c’est un véritable saut vers l’inconnu. Coronel Pringles et Lamarque, fondées respectivement en 1882 et en 1900, ne sont encore que des embryons d’agglomérations qui se créent au fur et à mesure de l’avancée sur les territoires occupés auparavant par les peuples originaires et peu à peu chassés de leur terre. Lamarque est une petite ville située dans la province du Rio Negro à mi-chemin entre Bahia Blanca et Neuquén dans l’ile fluviale de Choele Choel ; une oasis fertile dont les terres, bercée par le Rio Negro, sont favorables à la culture maraîchère et fruitière. Lorsqu’on emprunte ces régions arides et désertiques où les pierres et les maigres arbustes dominent le paysage à perte de vue, on est soudain frappé de découvrir une terre à la végétation verdoyante et travaillée par les hommes. Rodolfo Walsh, célèbre écrivain et journaliste, auteur de « Operación masacre » disparu tragiquement le 25 mars 1977 victime de la dictature militaire, y a vu le jour en 1927. Ce n’est qu’en 1930 que la commune sera dénommée Lamarque en honneur à Facundo Lamarque, un juge qui, après l’inondation et la casi destruction de Viedma, capitale de la province, en 1898, assuma la direction du tout nouveau tribumal de Choele-Choel. Ce nom, Lamarque, est lui aussi d’origine béarnaise. Par un hasard surprenant, la commune de Pontacq-Lamarque est distante de moins d’un kilomètre de Pontacq…

Jacques ne quitta plus Lamarque. Il y mourut en 1944 à l’âge de 79 ans. Le père d’Alicia, Domingo, naquit en octobre 1910. Il se maria avec Ana Delia Ormeño Cufré dont il eut deux enfants : Alicia, née en 1954 et Graciela en 1959.

Mariée en 1978 avec Rafael Lousada, Alicia eut une enfant, Marianela, née l’année suivante. Enseignante, puis directrice d’école, maintenant retraitée, elle est l’autrice d’un recueil d’écrits tiré de ses élèves et des collègues de travail sous le titre de « Andando caminos » que l’on pourrait traduire par « En parcourant les chemins ».

Nous avons demandé à Alicia les raisons pour lesquelles elle était partie à la recherche de ses ancêtres : « Comme je n’ai connu que ma grand-mère maternelle, Narcisa Serviliana Cufré, que j’aimais infiniment, j’ai toujours eu le souci d’en savoir plus sur l’histoire de mes grands-parents. Grâce à elle, j’ai appris ce que signifiait avoir l’amour inconditionnel d’une grand-mère. Elle vivait à Bahía Blanca et c’était une joie pour elle de nous recevoir lorsque nous partions en vacances avec mes parents. Chaque rencontre était une série de moments uniques, pleins de joie, de rires et de longs échanges. Avec ma cousine María Sempé, j’étais inscrite dans un groupe Facebook concernant mon nom de famille : Sempé de France en Argentine et environs. Un jour, je suis tombée sur la page de Christiane Bidot Naude, spécialiste en généalogie. Je l’ai immédiatement contactée et lui ai dit que mon grand-père Jacques Paul Sempé était originaire de Pontacq. Sa réponse, lorsqu’elle me dit que sa famille était elle aussi originaire de cette ville, fut très émouvante pour moi ».

C’est à partir de ce moment qu’Alice décida de remonter dans le temps. Après des recherches et des prises de contact, elle se rendit en 2016 dans le village natal de son grand-père, lequel, un jour de 1887, en était parti pour ne plus jamais revenir. Un retour aux origines. Une boucle se fermait.

Que fut l’histoire du cousin de Jacques qui lui aussi partit pour l’Argentine ? Ici, les informations sont des plus rares. Contrairement à Jacques, il se rendit à Buenos Aires où il vivait encore en 1914. Il eut une fille, Susana, qui naquit en 1896. On retrouve des descendants vivant à Mar del Plata et aux alentours.

Tout comme de nombreux descendants du Béarn, Alicia est totalement insérée dans la société argentine. Mais elle n’a pas oublié que du sang béarnais continue de couler dans ses veines.

Propos recueillis par Jérôme Guillot

 

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