1er août, Fête nationale suisse

Une journée d’unité et de fierté, un symbole fort de l’histoire, de la diversité et de l’identité suisses.

 

En 1985 l’écrivain argentin Jorge Luis Borges publiait son dernier livre : Les Conjurés, un recueil de poèmes et de récits en prose.

L’ouverture de ce recueil est à l’honneur de la Suisse :

“En el centro de Europa están conspirando.
El hecho data de 1291.
Se trata de hombres de diversas estirpes, que profesan diversas religiones y que hablan en diversos idiomas.
Han tomado la extraña resolución de ser razonables.
Han resuelto olvidar sus diferencias y acentuar sus afinidades
Fueron soldados de la Confederación y después mercenarios, porque eran pobres y tenían el hábito de la guerra y no ignoraban que todas las empresas del hombre son igualmente vanas.
Fueron Winkelried, que se clava en el pecho las lanzas enemigas para que sus camaradas avancen.
Son un cirujano, un pastor o un procurador, pero también son Paracelso y Amiel y Jung y Paul Klee.
En el centro de Europa, en las tierras altas de Europa, crece una torre de razón y de firme fe.
Los cantones ahora son veintidós. El de Ginebra, el último, es una de mis patrias.
Mañana serán todo el planeta.
Acaso lo que digo no es verdadero, ojalá sea profético.”

Borges, évoque les histoires, les héros et les personnages qu’il connait bien car il a étudié et vécu à Genève avec sa famille entre 1914 et 1918.

“Le fait qui date de 1291” se réfère au Serment du Grütli, conclu par les représentants des trois cantons primitifs : Uri, Schwytz et Unterwald pour lutter contre les baillis des Habsbourg. Ce serment daté du début du mois d’août est reconnu comme le pacte fondateur de la Confédération Helvétique.

Quant aux héros, Borges mentionne le légendaire Arnold de Winkelried, qui se serait jeté sur les lances des piquiers habsbourgeois pour ouvrir une brèche dans les lignes ennemies du duc Léopold III de Habsbourg, lors de la bataille de Sempach en 1386. Par contre il ne mentionne pas le mythique Guillaume Tell, héros légendaire de la même période à peu près que le précèdent, qui incarne les idéaux de lutte pour la liberté et l’indépendance, ainsi que ceux de l’amour paternel et de la lutte pour la justice. De nombreux auteurs, notamment durant le romantisme, ont trouvé dans le personnage de Guillaume Tell leur source d’inspiration. Friedrich Schiller en 1804 écrit un drame en cinq actes qui inspira à Rossini l’opéra qui fut un grand succès à Paris en 1829. L’ouverture de cet opéra est mondialement connue et populaire.

Le texte de Borges mentionne également qu’à partir du moyen âge, les soldats suisses étaient très recherchés comme mercenaires pour leur bravoure et leur loyauté envers ceux qui les employaient, comme les Papes ou les rois de France. Deux évènements historiques en témoignent.

À Rome, le Pape Sixte IV, puis Jules II, signent une alliance avec la confédération suisse pour bénéficier de sa protection. Le 6 mai 1527, cette garde affronte les troupes de l’empereur Charles Ier. Les Suisses se battent devant la basilique de Saint-Pierre et continuent à lutter, tout en reculant jusqu’aux marches du maître-autel, ils forment alors un cercle autour du pape Clément VII et réussissent à le faire s’échapper par il Passetto di Borgo, qui mène au château de San Angelo. Seuls 42 des 189 gardes suisses survécurent.  En leur honneur, la Garde suisse du Vatican a subsisté jusqu’à nos jours, c’est la plus petite armée professionnelle du monde avec 135 soldats. Ses fonctions restent la protection du Pape et de l’État du Vatican.

Les recrues doivent être suisses, catholiques et célibataires, âgés de 19 à 30 ans. Et mesurant au moins 1,74 m. Ils doivent être titulaires d’un diplôme professionnel ou d’un diplôme de fin d’études secondaires, et un certificat de bonne conduite après avoir suivi l’enseignement de base des forces armées suisses. Leur uniforme, pittoresque, a été conçu par le commandant de la garde Jules Répond vers 1914 : celui-ci s’est inspiré de fresques de Raphaël ; c’est l’un des plus anciens uniformes de militaires en activité, au monde. A côté de leur hallebarde et leur épée courte, les gardes suisses ont aussi des armes modernes d’infanterie, des pistolets, des mitrailleuses, et des fusils d’assaut !

Les rois de France ont également eu, à partir du XVIIe siècle, un régiment de gardes suisses pour défendre la maison royale.

De nombreux soldats suisses de la garde de Louis XVI furent massacrés à la suite de l’assaut des Tuileries le 10 août 1792. La sculpture du Lion blessé à Lucerne, conte cette histoire. Actuellement, la Suisse n’a plus de mercenaires mais une armée professionnelle défensive.

Avec l’État fédéral constitué de 26 cantons en 1848, et pour consolider les liens confédéraux entre les cantons, dans le respect de tous les partis et toutes les tendances religieuses, le besoin s’est fait sentir de créer un évènement intégrateur Les confédérés, ont pris tout leur temps pour s’accorder sur une date pour célébrer la fête nationale, un hymne et un drapeau.

La fête nationale, un hymne, le drapeau.

L’actuel hymne national, Schweizerpsalm, le cantique suisse, a été composé en 1841. Le texte de quatre strophes est l’œuvre du Zurichois Leonhard Widmer et la mélodie composée par le moine Alberik Zwyssig. En 1961, le Conseil fédéral décide que ce cantique peut représenter provisoirement la Suisse dans les évènements militaire et diplomatique mais c’est seulement en 1981, qu’il est officiellement déclaré hymne national. Le texte original en allemand, est alors traduit et adapté dans les trois autres langues nationales.

Toutefois, considérant que le Cantique suisse ne reflétait pas aujourd’hui les valeurs de la société Suisse, la SSUP (Société Suisse d’Utilité Publique) a lancé un concours artistique pour ajouter de nouvelles paroles. Plus de 200 propositions de toutes les régions linguistiques ont été reçues. Le texte qui a été retenu en 2015 est d’un économiste, musicologue zurichois, Werner Widmer. C’est une nouvelle strophe qui colle parfaitement à la mélodie du Cantique qui commence et se termine sur l’image du drapeau suisse ; dans le texte apparaît en bonne place une des valeurs centrales de la Confédération : l’équité.

Quant au drapeau national suisse, on ne connaît pas vraiment les origines de la croix suisse (appelée parfois croix fédérale), les historiens sont très divisés sur la question. Ce n’est qu’au XIVe siècle que le drapeau acquiert une certaine importance militaire. Toutefois, pendant plusieurs siècles le fond rouge du drapeau est remplacé par les couleurs du canton d’où est originaire la troupe : chaque canton possédait ses propres régiments, la Suisse n’ayant alors pas d’armée fédérale. Sur la base d’une recherche historique, le Conseil fédéral établit, un projet de loi, le 12 novembre 1889 qui stipule que « les armoiries de la Confédération consisteraient en une croix blanche, verticale et alézée, placée sur fond rouge et dont les branches, égales entre elles, seraient d’un sixième plus longues que larges ».

Carré ou rectangulaire ?

Le pavillon maritime (oui ! la Suisse n’a pas de sortie vers la mer mais a des bateaux qui naviguent sur des lacs et un fleuve internationaux – les lacs Léman, et de Constance et le Rhin) est créé en 1953. Il est rectangulaire contrairement au drapeau. Néanmoins, le pavillon rectangulaire représente souvent la Suisse dans les compétitions sportives et inversement, il est fréquent d’observer un drapeau carré à la poupe des bateaux naviguant sur les lacs internationaux.

Le jour national de la Suisse suscite un sentiment de fierté chez les Suisses. C’est un moment où la population se rassemble pour célébrer les valeurs qui définissent le pays, telles que la neutralité, la démocratie, la tolérance et l’esprit d’innovation. La première fête nationale suisse fut célébrée le 1er août 1891, mais c’était un jour ouvrable. Le 1er août est devenu jour férié officiel dans toute la Suisse depuis 1994, seulement.

Chaque commune suisse organise à la tombée de la nuit un feu de joie, un cortège aux lampions, des discours et éventuellement un feu d’artifice. Les feux de joie évoquent les signaux utilisés autrefois comme signes de transmission de messages dans les Alpes.

La célébration officielle se déroule sur la légendaire prairie du Grütli, d’où le président ou la présidente de la Confédération prononce un discours à l’intention de la nation. L’hymne national suisse, est chanté à cette occasion. Cette année, a cause de la canicule et de la sécheresse nombreux sont les cantons qui ont interdit les feux d’artifice.

La Suisse est un pays qui se distingue par sa diversité culturelle et linguistique.  Ses quatre langues officielles (l’allemand, le français, l’italien et le romanche), reflètent l’harmonie entre les différentes communautés que Borges appréciait tant. Dans Atlas un livre de voyages avec photographies prises par son épouse Maria Kodama, Borges a écrit sur la ville de Genève :

De todas las ciudades del planeta, de las diversas e íntimas patrias que un hombre va buscando y mereciendo en el decurso de los viajes, Ginebra me parece la más propicia a la felicidad […}”

Et c’est bien en Suisse, à Genève, au cimetière de Plainpalais que le grand écrivain repose maintenant.

 

Patricia Pellegrini

 


 

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