Démocratisation de l´art

L’ŒUVRE D’ART DEVIENT-ELLE UN PRODUIT DE CONSOMMATION (PRESQUE) COURANTE ? ON PEUT SE POSER CETTE QUESTION EN APPARENCE ICONOCLASTE QUAND ON VOIT LES “GROSSES MACHINES” QUE SONT DEVENUES LES EXPOSITIONS ORGANISÉES PAR LES MUSEES ET AUTRES INSTITUTIONS CULTURELLES.

Picasso (en 2010) et Monet (jusqu’au 24 janvier 2011) au Grand-Palais, Giacometti à Beaubourg, l’inauguration du Centre Pompidou qui ouvre une antenne à Metz et attire les foules à son exposition inaugurale “Chefs d’œuvre ?”, rivalisent pour attirer toujours plus de public et deviennent prétexte à tous les superlatifs. Soulages, artiste contemporain, a attiré un demi-million de visiteurs en six mois à Beaubourg. On devrait frôler le million de visiteurs pour l’actuelle exposition Monet.

L’organisation et la communication de ces expositions-évènements est parfaitement agencée de façon à drainer le flot des amateurs d’art comme des néophytes, et des touristes de tous horizons. Les expositions ouvrent désormais la nuit, voire vingt-quatre heures sur vingt-quatre pendant quelques jours privilégiés, créant ainsi un micro-évènement au sein même de l’évènement. Parfois elles essaiment sur des lieux secondaires, qui bénéficient ainsi de l’effet d’aubaine. Les publications comme les produits dérivés inondent les étals des libraires et les boutiques des musées. La couverture média tourne comme une mécanique bien huilée. Quand en plus, l’exposition provoque le scandale, et que des associations (comme à Versailles, lorsque Jeff Koons ou Takashi Murakami s’exposent sous les stucs dorés des plafonds du château royal) s’insurgent contre un mélange des genres qu’elle jugent sacrilège pour l’esprit des lieux, c’est pain-bénit pour les organisateurs, la contestation alimentant le “buzz” autour de l’exposition.

Certes, ces grandes expositions populaires (on remarquera qu’elles prennent rarement de risque dans le choix des artistes exposés : Van Gogh, Basquiat, Turner ou Renoir sont tous des valeurs sûres) contribuent au mouvement de démocratisation de l’art, et au retour d’une fréquentation des musées : aujourd’hui, près d’un tiers des français se rend chaque année dans un musée, ce qui en fait la deuxième sortie culturelle après le cinéma. Mais on peut regretter que ce mouvement se concentre sur ces manifestations-phares, où les conditions d’exposition deviennent contestables, en raison même de leur succès : trop d’affluence, des heures d’attente, un public inattentif mitraillant des flashs des téléphones portables des œuvres qu’il n’aura finalement pas regardées.

Ainsi, j’aime à me promener à contre-courant. L’engouement pour les arts dits premiers retombé, une fois passée l’inauguration du musée du quai Branly, il fait aujourd’hui bon converser avec les œuvres exposées dans l’aile qui leur est consacrée au Louvre. Les nymphéas de Monet, exposés en permanence à l’Orangerie des Tuileries, y sont visibles en toute sérénité 365 jours par an. Pendant que le public s’impatiente au Grand Palais, je suis dernièrement allée voir Giuseppe De Nittis au Petit Palais. Ce peintre d’origine italienne, contemporain de Monet, Manet et Renoir, partage avec le groupe des impressionnistes le goût de la peinture de plein-air, la recherche de la lumière et la proximité avec des sujets et des modèles familiers ou intimes. Le Petit Palais expose jusqu’au 16 janvier 2011, 110 œuvres, essentiellement des huiles et des pastels, dans une belle scénographie. Je ne suis pas allée voir Monet, mais au Petit Palais j’ai fait une belle rencontre avec un artiste que je ne connaissais pas.

Silvia Cauquil

 

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