Olivia Ruiz, Benjamin Biolay : portraits croisés

ELLE, UNE PETITE TRENTAINE, L’ACCENT CARCASSONNAIS, LE SOURIRE ET LE CARACTERE QUI VONT AVEC. LUI, BIENTOT QUARANTE BOUGIES, APRE, ET LA CONSTANTE IMPRESSION D’ETRE AILLEURS. ELLE, L’ESPAGNE DANS LA PEAU, L’ENERGIE, LA FANTAISIE, ET UNE PETITE VOIX UN BRIN NASILLARDE. LUI, DE L’AUTRE COTE DE LA LUMIERE, TIMIDE ET D’UN DETACHEMENT ASSEZ SOMBRE, UNE VOIX ENFUMEE ET CHAUDE, PARFOIS A PEINE MURMUREE. ON A DIT BENJAMIN BIOLAY LISSE, HAUTAIN, ODIEUX ; ON L’A DEPEINT DANDY PARISIEN A LA VOIX INEXISTANTE. ON A CATALOGUE OLIVIA RUIZ DANS LE RAYON DES ARTISTES FORMATEES, ELLE QUI SORTAIT, PERDANTE, DE LA PREMIERE EDITION DE LA STAR ACADEMY, L’EMISSION ET FABRIQUE DE STARS (EPHEMERES) DE TF1.

bestimage_00234062_000007La femme chocolat et le trash yéyé

Au fil de leur carrière, l’ersatz gainsbourien mégalo et l’arriviste fantasque et ingénue ont pourtant obligé public et critique à reconsidérer leurs vues. Le premier album de la bouillonnante Olivia Ruiz, “J’aime pas l’amour” (2003), s’il est resté assez confidentiel, a eu le mérite de clarifier sa démarche artistique : loin des canons pourtant aguichants de la musique contemporaine prémâchée, elle s’entoure d’artistes moins conformistes, comme Juliette, pour un album où les chansons sont jouées plus qu’elles ne sont chantées, dans un théâtre rock très festif.
En 2003, l’homme aux initiales B.B. en est lui, déjà, à son deuxième album (“Négatif”). Arrangeur, compositeur et musicien, il a déjà écrit pour Julien Clerc, Françoise Hardy, Juliette Greco ou Stephan Eicher, et est surtout l’auteur de “Jardin d’hiver”, le tube d’Henri Salvador. Il continue, avec “À l’origine” (2005), de chanter son spleen ténébreux et de faire connaître ses mélodies et attitudes le rapprochant effectivement de Serge Gainsbourg, mais aussi d’Alain Bashung. Mais c’est avec “Trash Yéyé” (2007) et surtout “La Superbe” (2009) qu’il rencontre le succès, avec des titres envahissant les ondes radio, comme “Dans la Merco Benz”, “La Superbe”, “Padam” ou “Lyon Presqu’île”. Arrangements travaillés (cordes, cuivres, touches électro’ et guitares), trouvailles lexicales, mélancolies désabusées et hyperréalistes que percent des rayons pop euphoriques, Biolay semble enfin convaincre.
Olivia Ruiz surfe quant à elle dès 2005 sur son image de “Femme chocolat”, du titre de son second album. Un univers plus ouvert au grand public, poétiquement entre Roald Dahl et Tim Burton et musicalement “entre Édith Piaf et la Mano Negra”, comme elle aime à le rappeler. Un grand écart qu’elle comble de son crédo “je suis qui je suis”, et de sa double identité franco-espagnole qu’elle “ne conceptualise pas” : “[mes origines], je les trimballe que je le veuille ou non. Je m’assume à 100% comme je suis, avant tout une Française, mais avec des origines et une famille d’exilés, donc des souffrances qui restent présentes de génération en génération”. Pour la deuxième fois en Amérique Latine, après une tournée en 2006, elle est “très speed” et “exténuée”, mais se sent “comme un poisson dans l’eau” dans un continent où elle trouve la spontanéité, la chaleur humaine et les barrières qu’on ne s’embarrasse pas de briser.

biolay-benjamin-508bd63f87f98Talons aiguilles et un homme au bord de la crise de nerf

Le 20 novembre, Biolay se faisait une place lors du Hot Festival, entre, notamment, Stereophonics et Massive Attack. Trois jours plus tard, c’est dans un cadre un peu plus intimiste, au Studio Samsung, qu’il donnait un concert tandis que les garçons continuaient de servir “empanadas”, sushis et verres de vin aux spectateurs pour la plupart attablés.

Sur la scène de “La Trastienda”, la veille, après être passée par Córdoba et avant de connaître le Musée d’art contemporain de Santiago, au Chili, Olivia Ruiz célèbre la ferveur qu’elle vante par ailleurs. Entre claquements de talons et sauts de cabri, Olivia enchaîne ses tubes (“J’traîne les pieds”, en espagnol puis en français, et les succès de son dernier album : “Elle panique”, “Les crêpes aux champignons”, “Belle à en crever”). Elle a sur scène l’énergie fantaisiste, presque enfantine, d’un Mathias Malzieu, son compagnon, leader du groupe Dionysos. Mais elle sait aussi faire taire la salle, lorsqu’elle rend hommage à la défunte chanteuse mexicano-québecoise Lhasa (“La Llorona”), et qu’elle mime solennellement Piaf dans une “Foule” entrainante. Pleine d’autodérision, notamment sur son niveau de langue espagnole, Olivia parle beaucoup avec son public, vit ses chansons et les joue, fait rire et fait mouche.

Biolay, lui, est dans sa bulle. “Tout ça me tourmente” pour commencer, où il lance, l’air de rien, “la mort me tente, mais je vis, faute de mieux”. Le ton est donné : les ballades nostalgiques à la guitare acoustique et les orchestrations grandioses couvrent rapidement les bruits des couverts. Mais les guitares redeviennent électriques, le piano est utilisé frénétiquement, et les mélodies sont longues et progressives jusqu’à explosion. La démarche gauche, Biolay déambule sur la scène, comme perdu, se rattachant au pied de son micro. Une désinvolture résolument dérangeante, qu’accompagne l’émotion palpable du chanteur, qui ne cesse de remercier, presque gêné, son public. Puis viennent huit minutes déchirantes du morceau “A l’origine”, durant lesquelles le chanteur, en transe, s’agenouille, avance dans la salle puis se couche sur scène, criant ses notes. Des cris d’angoisse, animaux, emportant avec lui une salle qui ne s’attendait pas à ça. “J’attendais en vain que le monde entier m’acclame“, ironise-t-il sur la chanson suivante, provocant acclamations. “Hallucinant“, “Spectaculaire” : deux rappels plus loin, à la sortie du concert, les spectateurs sortent médusés et bluffés.

Des styles complètement opposés… mais des univers artistiques assumés, qu’on adore ou qu’on déteste, et si c’était cela, la chanson française contemporaine ?

Pierre Guyot

 

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