Quand l’Etat argentin tire sur la corde agricole

Que planteront les agriculteurs argentins l’année prochaine ? Du soja. Et l’année suivante? Du soja. En effet, depuis que l’Etat régule les marchés du blé et du maïs en imposant des quotas à l’export, les agriculteurs se tournent chaque fois plus vers le soja, un marché plus libre car non soumis aux mêmes distorsions.

cosechadesojaContrairement aux idées reçues, le système argentin ne cesse d’agir contre les intérêts des producteurs agricoles : un cadre législatif instable, un marché local pauvre en liquidités et un régime fiscal peu incitatif. Comment les agriculteurs font-ils pour maximiser au mieux la rentabilité de leurs terres dans un environnement aussi atypique?…

Une exploitation agricole, outre l’image d’Epinal que le citadin peut s’en faire, c’est avant tout une entreprise. Au moment d’établir ses plans de semis, autrement dit le choix des cultures, l’agriculteur analyse certains facteurs clés. Ayant pour objectif d’optimiser ses marges, il prend en compte les coûts de production, les rendements agricoles espérés, le climat à venir ainsi que l’historique des prix des différentes cultures qu’il peut planter. En effet, si l’agriculteur ne couvre pas ses coûts lors de la vente du produit de sa ferme, il ne pourra pas, sauf à puiser dans sa trésorerie, replanter l’année d´après. Enfin, outre les contraintes économiques, le producteur doit également respecter une rotation agricole naturelle s’il souhaite conserver la fertilité de sa terre. En clair, il s’agit là des arbitrages classiques d’un agriculteur sur un marché libre. Oui, mais voilà, les agriculteurs argentins n’évoluent pas sur un marché libre.

Piédestal de l’économie argentine, l’agriculture est l’un des rares secteurs dans lequel le pays est réellement compétitif.

Afin de tirer profit de cette manne financière, l’Etat argentin a introduit des taxes à l’exportation sur les matières premières agricoles. Ainsi, le soja est aujourd’hui taxé à 35% (contre 44% en 2008), le blé à 23% et le maïs a 20%. Dans ses arbitrages, le producteur doit donc également prendre en compte ces rétentions économiques auxquelles sont sujettes ses cultures.

Le producteur n’est pas au bout de ses peines. En 2008, avec pour intention d’assurer une offre suffisamment abondante sur le marché local, l’Etat introduit des quotas à l’exportation pour le blé et le maïs : il vient de porter au marché un coup grave de conséquences. Lorsqu’un marché est libre, la formation du prix est soumise au seul jeu de l’offre et de la demande. A partir du moment où l’Etat régule les quantités exportables, les exportateurs se retirent du marché intérieur auquel cas les prix intérieurs s’effondrent. S’il n’y a plus assez d’acheteurs des produits susnommés, le marché devient, de facto, de moins en moins liquide et les échanges se font donc à des prix plus bas. Qui en pâtit ? L’agriculteur bien entendu. Qui en tire le plus de profit ? L’exportateur. Ce dernier profite du manque de liquidité pour acheter à des prix plus faibles les quantités que l’Etat lui a allouées et les revendre ensuite à un prix international beaucoup plus élevé. Pour donner un seul exemple : aujourd´hui, une tonne de maïs à la sortie d’un port argentin vaut 263 dollars, auxquels il faut retirer la taxe et les coûts de transfert, tandis qu’une tonne de maïs sur le marché local vaut 152 dollars. Au final, la marge de l’exportateur est d’environ 30 dollars par tonne.

Alors quelle solution pour les agriculteurs ?

Planter du soja. Ce marché est incomparable en termes de coûts, de rentabilité et de débouchés.

En effet, la Chine achète 90% des graines de soja et 40% de l’huile, tandis que l’Europe achète la majorité de la farine de soja moulue en Argentine. Il y a certes une taxe à l’exportation supérieure à celle du blé et du maïs, mais il n’existe aucune restriction à l´export dans la mesure où la consommation domestique est très faible. Sur ce marché, le prix se forme comme suit : le soja ayant actuellement un prix export de 522US$/tonne auquel on soustrait les taxes à l’exportation de 35% et le coût du fobbing (frais de chargement international) d´environ 10US$/tonne, on aboutit à un prix local de 329US$/tonne. Deux alternatives s’offrent alors à l’agriculteur : exporter son grain ou le vendre à des moulins locaux qui l’exporteront ensuite sous forme de farine ou d’huile.

Quelles sont donc les perspectives ? Le marché du blé n’est plus vraiment rentable et le marché du maïs ne va progressivement plus l’être, en particulier si les rendements ne s’améliorent pas. Avec un tel système, on pousse aussi bien l’agriculteur que l’investisseur à planter du soja sur les terres argentines afin d’obtenir un retour sur investissement intéressant. L’agriculteur cherchera toujours à respecter les rotations pour ne pas compromettre la fertilité de son champ. En revanche, les loueurs de terres n’ayant pas forcément la même logique, ceux-ci contribuent à l’appauvrissement des sols argentins. En choisissant de réguler l’économique, c´est son propre écosystème que l’Etat argentin met en péril.

Clément Le Coz

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