“Un artiste, ça ne sert qu’à exprimer ce que tu ressens déjà”

Le dessinateur et cinéaste Winshluss, alias Vincent Paronnaud, était présent lors du festival de bandes-dessinées Comicoplis qui s’est tenu à Buenos Aires du 17 au 20 septembre 2015

IMG_1966[1]Co-réalisateur du film d’animation Persépolis avec Marjane Satrapi, auteur d’une version de Pinocchio ayant remporté le prix du meilleur album au festival d’Angoulême en 2009, Winshluss et son humour grinçant sont devenus en quelques années incontournables. Rencontre avec l’un des auteurs les plus corrosifs de la BD francophone.

Trait- d’Union : Vous avez dit au cours du festival que la dualité était présente dans toute votre oeuvre. Comment cette dualité se manifeste, par exemple dans le célèbre Persépolis ?

Winshluss : Persépolis c’est un cas à part. La dualité était plutôt dans mon association avec Marjane Satrapi qui est une humaniste et une idéaliste, avec des propos très positifs. Moi j’ai un fond humaniste, mais je suis surtout un nihiliste blasé qui n’a aucune foi dans l’humanité. Pas de façon négative, mais il faut accepter qu’on est médiocre et on le refuse. On a donc des prétentions qu’on ne pourra jamais réaliser, d’où notre malaise et nos frustrations. Après, de façon plus générale, la dualité va par exemple se retrouver dans mon travail dans le conflit qui oppose la société et l’individu.

TdU : Par exemple ?

W : Par exemple dans les propositions sociales. En allant très vite, on dit aux gamins : “les méchants seront punis” ou “si tu travailles bien à l’école ça ira”. Bon. Arrivé à un certain âge, on se rend compte que tout ce qu’on nous a vendu, c’était de la merde, et que pendant tout le reste de notre vie on doit se trimballer avec ça. Et en plus, on le transmet à nos enfants. Donc c’est sans fin. On vit dans le mensonge permanent, tout en le sachant. C’est une dualité comme une autre.

TdU : Les détournements “grinçants” de l’imaginaire enfantin sont très présents dans vos BD. C’est quoi votre but, montrer que ce qu’on nous raconte enfants c’est du pipeau ?

W : Non, faire tomber les masques, c’est pas mon propos. Je ne vais pas aller dire aux gens comment penser et comment se comporter. Je ne pense pas qu’il y ait quelque chose de bien et autre chose de mal.

TdU : Alors pourquoi vous faites tout ça ?

W : Parce que j’ai rien d’autre à faire et surtout parce que je déteste que les gens parlent à ma place. Si tu ne fais pas les choses toi même, il y a toujours un mec qui viendra parler pour toi. Le meilleur exemple c’est Mai 68. Quinze ans avant, il y avait des gens comme Guy Debord et tout un courant de pensée appelé les situationnistes qui avaient écrit des choses, élaboré des propositions intéressantes. Sauf que Mai 68 s’est résumé à une révolution hippie et s’est terminée avec des mecs aux cheveux longs qui balancent des fleurs. Il a fallu que je lise les bouquins de ces situationnistes pour me rendre compte que 68, c’était pas seulement la révolution bourgeoise de La Sorbonne et de Dany le Rouge… Donc pourquoi je fais tout ça ? C’est que j’ai du temps à passer avant de crever, que j’ai envie de m’exprimer et que je suis pas suicidaire.

TdU : Vous n’avez donc rien à “dénoncer” ?

W : Mais j’annonce rien de nouveau ! Mes “dénonciations” sont des archétypes, des clichés. Quand je parle de ce genre de choses aux journalistes, il y a une sorte de panique qui s’installe. Ils se disent : “mais en fait son oeuvre est vaine, il est en train de dire qu’il ne propose que des clichés”. Mon boulot, c’est juste de trouver le mot, la BD, le film qui va exprimer ce que tu ressens déjà. Un artiste, ça sert à rien d’autre. Juste à formuler un truc que tu avais déjà en toi.

TdU : Votre travail est donc le fruit de l’ennui et composé de clichés. Vous n’éprouvez pas comme une frustration ?

W : Non, il n’y a pas de frustration. Ce n’est pas un mal de penser que tout est vain. Le problème c’est qu’on nous a inculqué qu’il fallait toujours faire quelque chose pour que ça serve. C’est là-dessus qu’on se fait baiser. C’est une mentalité capitaliste, et chrétienne si on remonte à son origine, avec l’idée que nos actes servent à nous élever. Moi, ma vision est horizontale, ce qui libère de beaucoup de choses et permet de faire des trucs gratuitement. Et ça t’éloigne de l’obsession de devenir meilleur. Meilleur on pourra jamais. Le vrai combat, c’est d’être moins con.

TdU : Et comment on devient moins con alors ?

W : Une des façons, c’est de chercher ce qu’il y a au fond de nous. Tout le monde devrait faire ce travail. J’ai 45 balais et je commence à peine à entrevoir de quoi je suis constitué. Je viens d’une famille ouvrière et communiste et j’ai baigné dans la religion chrétienne quand j’étais gamin. C’est ce qui explique pourquoi je suis à mille lieux de l’artiste névrosé et que pour moi il faut souffrir et travailler pour obtenir des choses. Finalement mon travail, on peut dire que c’est ça. Une recherche de mots et d’images pour définir ce qu’il y a en moi, pour avancer et me construire. C’est important de comprendre. On a pas beaucoup de temps à vivre, alors si en plus tu crèves complètement idiot…

TdU : Votre oeuvre est reconnue depuis quelques années : prix du jury du festival de Cannes pour Persépolis en 2007, prix du meilleur album du festival international de la BD à Angoulême en 2009 pour Pinocchio… Qu’est-ce que ça dit de notre société ? Les gens se reconnaissent dans votre nihilisme ?

W : J’en sais rien ! C’est juste parce que je suis pas mort dans un accident de bagnole et qu’à un moment tu m’as dans la face et tu te dis “ah ben oui il est là !”. Après, si des personnes sont sensibles à mon oeuvre, tant mieux. Je suis content quand les gens aiment. Mais s’ils n’aiment pas, je m’en branle et je continue à bosser. Mon but c’est pas de toucher le plus de gens, ce serait absurde. Mon but, c’est de faire mon boulot, et si des gens voient mon truc au bord de la route et se disent “tiens, c’est cool !”, eh bien c’est parfait. Bon, je crois qu’on s’est tout dit…

TdU : Une dernière question de journaliste. Vous travaillez sur quoi en ce moment ?

W : Sur plein de trucs vachement humanistes…Je creuse les questions sur le rapport de l’homme à la nature. J’ai fais beaucoup de choses politiques, et là je m’en détache un peu. J’ai observé la société, ses injustices, et je pense que c’est au quotidien qu’on peut changer les choses. En agissant sur l’individu et pas sur des belles idées et des discours simples du genre sauver la planète où je ne sais quoi. Ces trucs c’est juste pour nous détourner de notre médiocrité et faire semblant de participer à quelque chose de grand. Parce que finalement, l’humain n’est pas plus qu’une bactérie qui finira par dégager comme les dinosaures. Et voilà.

Propos recueillis par Bastien Artignan et Simon Fontvieille.

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