Gaël Faye : petit pays, grand succès

Mardi 30 mai, jour de « paro nacional » en Argentine, c’est dans une ville qui semble paralysée que nous retrouvons Gaël Faye, auteur du best-seller Petit pays.

Dans le cadre du salon international du livre de Buenos Aires, l’écrivain a tenu une conférence à “Las Mil y Una Hojas”, la librairie franco-argentine.

Gael Faye est franco-rwandais, né au Burundi en 1982, il vit aujourd’hui à Kigali, la capitale rwandaise. Rappeur, chanteur et interprète depuis de nombreuses années, il publie en 2016 Petit Pays, un véritable succès qui traverse rapidement les frontières. Au cours de sa conférence il revient, dans une librairie pleine à craquer, sur les étapes par lesquelles il est passé pour donner naissance à son livre, son expérience et ses réflexions mais aussi son engagement pour la réhabilitation du peuple rwandais et des survivants du génocide de 1994.

L’histoire de Petit pays, c’est l’histoire du petit Gabriel, dit Gaby, né d’un papa français, d’une maman rwandaise et élevé au Burundi. Il passe ses journées à vagabonder avec ses copains, à chiper des fruits dans les vergers voisins et à rêvasser au bord de la rivière. Mais cette histoire, c’est celle qu’a choisi de raconter Gaël Faye, bien que l’ouvrage ne soit pas autobiographique, le récit que conte Petit pays est indissociable du propre vécu de l’auteur. L’écrivain de 36 ans explique qu’il a très vite voulu s’approprier le personnage de Gaby, afin de faire résonner en lui son histoire, tout en lui donnant une maturité et un regard inédits sur le monde pour un enfant de son âge.

Pour comprendre la genèse de l’écriture, il faut revenir en 2013, lorsque Gaël Faye écrit une chanson chère à son cœur, certainement la plus importante à ses yeux : « L’ennui des après-midi sans fin », extrait de son premier album « Pili Pili sur un croissant au beurre ». Il s’agit là pour lui d’une chanson qui retrace son enfance, une enfance faite d’ennui et d’après-midi interminables, une enfance loin des soucis, qui détonne par rapport aux évènements politiques qui s’ensuivront. Toutefois, le titre n’emballe pas sa maison de disque ; frustré de ne pas être compris, il décide de changer radicalement de procédé et se lance dans l’écriture pour retranscrire son paradis perdu de l’enfance. Il explique avec humour : « si je n’arrive pas à passer par la porte, alors je passe par la fenêtre ». Dans une interview accordée à Trait-d’Union, il avoue avoir toujours été certain d’écrire un livre un jour, pour lui « un roman se cache en chacun de nous ». Passionné de littérature depuis son plus jeune âge, et profondément touché par la poésie haïtienne de René Depestre, il se lance dans le processus d’écriture, sans se douter du succès qui allait suivre. Traduit en plusieurs langues avant même la sortie officielle du livre, les propositions d’adaptions s’enchaînent. Fidèle à lui-même, Gaël Faye reste humble et discret et continue d’évoluer en silence. Lors de l’interview il se dit fier et chanceux d’avoir pu toucher autant de lecteurs, grâce à ce livre, quintessence de son petit paradis. Le succès de son premier roman l’a conforté dans sa vocation d’écrivain, il travaille à l’heure actuelle sur de nouveaux récits. Son écriture a également eu un fort impact sur sa musique, s’alimentant plus que jamais l’une l’autre. Il explique à Trait-d’Union ne pas faire de distinction entre son travail musical et son travail de romancier, les deux s’entremêlent et s’enrichissent.

Petit pays a été un livre que l’on pourrait qualifier de salvateur pour l’auteur, il lui a permis de se réapproprier son enfance, ses origines et ses convictions. Enfant, après avoir fui le Burundi avec sa famille, Gael Faye se souvient avoir eu un parcours difficile par rapport à son métissage, « trop noir pour les uns, trop blanc pour les autres », un entre-deux qui l’a longtemps conduit à renier ses origines. Mais aussi par rapport à son histoire, enfant à l’époque du début du génocide et des violences au Rwanda et au Burundi, ses souvenirs ont longtemps été troublés et brouillés par les histoires d’adultes, étouffant ses mémoires d’après-midi d’ennui. Ses lectures et son ouverture au monde et plus tard Petit pays l’ont fait renouer avec sa culture, et l’ont notamment poussé à militer et à fonder une association qui poursuit les génocidaires présumés, impliqués dans le génocide rwandais. Créée en 2001, cette association a conduit plusieurs génocidaires à être condamnés pour crimes contre l’humanité devant un tribunal à Bruxelles.

 

Elhia Pascal-Heilmann

“Petit pays” Ed. Le livre de poche, 224 pages, traduit en espagnol sous le titre “Pequeño país“, Ed. Salamandra.

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