Beate Klarsfeld : une vie dédiée à la lutte contre le nazisme

Beate Klarsfeld et son fils Arno étaient invités à venir s’exprimer à l’Alliance Française à l’occasion de la sortie en librairie des Mémoires du célèbre couple « chasseur de nazis ».

L’occasion d’aborder, en miroir, la situation politique contemporaine de l’Allemagne.  L’auditorium de l’Alliance Française est comble. Nombreux sont ceux qui ont bravé le froid pour venir écouter Beate et Arno. Si le public s’est déplacé en nombre, c’est que la réputation des Klarsfeld les précède. Depuis les années 60, Beate et son mari Serge traquent, arrêtent et font juger inlassablement d’anciens nazis, responsables de la déportation de milliers de juifs pendant la seconde guerre mondiale. A leur actif : l’arrestation de Klaus Barbie et de Herbert Hagen mais également une participation active aux procès Touvier et Papon. Pourtant, rien ne prédestinait Beate, fille d’un soldat de la wehrmacht, à rencontrer Serge, étudiant parisien fils d’un déporté à Auschwitz. D’une rencontre impromptue dans le métro découlera une histoire extraordinaire. Celle d’un couple s’étant donné pour tâche de rendre justice aux disparus de la Shoah.

Une baffe à Kiesinger

Si on les désigne sous le terme de « chasseurs de nazis », eux préfèrent celui de justiciers. Incarnant une cause à laquelle ils dévouent leur vie, ils seront taxés tantôt de héros, tantôt de provocateurs. Beate accède au statut de symbole à la suite du congrès annuel de la CDU à Berlin en 1968 où elle assena une baffe mémorable à Kurt Kiesinger, alors chancelier allemand et ancien fonctionnaire du régime nazi, « un geste qui a médiatisé notre lutte » témoigne Beate.

Par la suite, Beate devient une personnalité sulfureuse sur l’échiquier politique allemand. Elle décide même de se présenter aux élections présidentielles de septembre 1969 contre Kiesinger. C’est finalement Willy Brandt qui est élu chancelier mais elle obtient de ce dernier la signature d’une convention permettant à la justice allemande de juger les anciens nazis condamnés par contumace en France. L’histoire personnelle des Klarsfeld est intrinsèquement liée à l’Histoire et à bien des égards, leurs mémoires sont celles de témoins privilégiés des évolutions de notre époque.

« Une vie dédiée à la lutte »

A 80 ans, Beate est de ces personnages que l’on rencontre dans les manuels d’histoire. Dans un français parfait elle témoigne sans présomption de sa vie. « Trouver les nazis n’était pas très compliqué. Il suffisait d’ouvrir un annuaire. Les emmener devant les juges puis les faire condamner, cela en revanche n’était pas une mince affaire. Ce qui me marquait pendant les procès, c’est leur absence de regrets ». Le manque de témoins, de preuves, la latence de la justice et le manque d’arsenal législatif rendaient les procès complexes.

La sérénité grave de Beate contraste avec la nervosité de son fils, Arno, qui l’accompagne. L’histoire des Klarsfeld, c’est aussi la sienne. Celle d’une enfance entre la France et Israël, celle d’une formation intellectuelle rythmée par ses voyages, ponctuée d’un goût certain pour l’irrévérence. Devenu avocat, il reprendra le combat de ses parents en représentant, lors du procès Paul Touvier, les parties civiles.

Le combat contre les injustices se joue au quotidien pour les Klarsfeld, et ce dernier ne se limite pas au nazisme. Le couple se rend sur les théâtres de guerre les plus sanglants du siècle et y défend les droits de l’homme. En 1977, Beate se rend en Argentine pour dénoncer la junte militaire en place.

« Une vie de famille normale dans la mesure du possible »

Les mémoires des Klarsfeld, sont un roman fleuve d’une justesse méticuleuse. A mesure que l’on se plonge dans l’ouvrage, on découvre la complexité d’une vie menée sous le signe de l’engagement. « On avait peur de se retrouver à tout moment en prison ou d’être l’objet d’attentat au colis piégé, explique Beate. Pourtant on vivait une vie de famille normale, dans la mesure du possible. Ce n’était pas facile tous les jours. Avant que notre combat soit reconnu, avant les distinctions et la légion d’honneur, on m’a tout de même appelé la « sorcière » dans les journaux, ou la « folle » ».

La percée de l’extrême droite en Allemagne de l’est.

Cinq ans après la parution de ces mémoires en France, l’urgence de témoigner n’a jamais été aussi grande. « Nous avons tous deux plus de 80 ans, nous poursuivons néanmoins notre combat. L’avenir est dans les mains des jeunes et dans leur nécessaire engagement ». Les derniers mots de Beate Klarsfeld, furent d’une justesse froide et implacable, faisant écho à l’actualité politique de l’Allemagne, aux prises avec la résurgence du néo-nazisme et de l’extrême droite. L’AfD (alternative pour l’Allemagne), parti d’extrême droite fondé il y a 6 ans, enregistre des scores historiques aux élections régionales de ce mois de septembre en Allemagne de l’Est, à raison d’un score de 27,55 % en Saxe. C’est désormais le second groupe à l’assemblée. Dans la commune de Waldsiedlung, près de Francfort, c’est même un néo-nazi du NPD, parti ultranationaliste, qui a été élu à la majorité.

« La situation actuelle m’attriste au plus haut point. Je veux dire aux jeunes qu’il faut agir, et vite. Je sais ce qu’est la guerre, elle est le fruit de la latence, de l’oubli, de l’indifférence. L’engagement est nécessaire et je ne peux qu’être attristée de voir l’extrême droite obtenir de tels résultats en Allemagne de l’Est. Il faut agir et rapidement. Nous sommes inondés d’informations, et pourtant par cette profusion, nous vivons dans une grande passivité. Cela fait le jeu de l’extrême droite. L’extrême droite au pouvoir, cela signifie moins de budget pour les musées dédiés à l’holocauste, moins de budget pour que les étudiants puissent se rendre à Auschwitz. Les élections européennes sont trop importantes pour la paix, pour la démocratie. On ne peut accepter de tels résultats. »

Louise Le Borgne

Partager sur