Ça claque au Jean Mermoz !

Bien que les vacances approchent, l’ambiance n’est pas encore à la détente au CDI du lycée Jean Mermoz ce vendredi 29 novembre.

Dehors l’orage tropical gronde et la pluie cogne aux vitres de la salle. Pourtant, rien ne semble capable de perturber la concentration des élèves de la quatrième « D ». Le moment est plus que sérieux. Ils sont en train de s’affronter dans leur premier tournoi de « Slam ».

Le « Slam », comme son nom ne l’indique pas, n’est pas un nouveau sport de combat qui pourrait être enseigné dans les établissements scolaires afin de canaliser un peu l’excès d’énergie qui imprègne souvent les comportements de nos adolescents. Ici, ce n’est pas à coup de poings ou de clés de bras qu’on s’explique, mais à coups de mots, de rimes et de phrases.

Nouvelle forme d’expression poétique née en 1987, le « Slam », terme anglais provenant du verbe « claquer », fut conçu par le poète américain Marc Smith. Son objectif était de dépoussiérer quelque peu les lectures de poèmes, lesquelles, il faut bien le dire même si l’on pourra ou non s’en plaindre, collent peu au rythme de notre monde frénétique. Le « slam » est un poème énoncé a capella par son propre créateur, en un temps ne dépassant pas trois minutes, devant public et dans un lieu qui pourrait se définir par… « n’importe où ». La performance des poètes est ensuite notée de 1 à 10 par chacun des membres d’un jury composé de cinq personnes. Des cinq notes obtenues, on enlève la meilleure et la plus mauvaise note. Pour ceux qui connaissent le patinage artistique, le système de notation est le même. La ressemblance s’arrêtera probablement là (sauf si l’on fait un slam dans une patinoire et sur patins à glace, pourquoi pas !) d’autant que si l’on patine sur les mots, la note du « slameur » ne risque guère d’être élevée. Au « slam », pas d’apparat : on est là et on se lance à déclamer ce qu’on a dans le ventre et couché à l’écrit. A la fin des performances, on garde les deux meilleures qui seront départagées par le public selon la force de l’applaudimètre et du nombre de personnes qui se lèvent pour féliciter leur champion. Cet exercice démocratique de l’art lyrique est loin d’apparaître comme un phénomène de mode passager puisque de nombreux évènements sont maintenant organisés un peu partout dans le monde. Le « slam » occupe dorénavant sa place en tant qu’événement moderne d’expression orale et scénique.

Il y a quelque dix ans, Anne Gauthey est littéralement tombée dans le slam. Excellente, au demeurant, dans cet exercice, elle écume les lieux de rencontre entre Paris et Buenos Aires. Puis, avec le soutien du Ministère de la culture, elle organise des ateliers dans divers pays d’Amérique du Sud. Anne a bien compris l’intérêt que cette forme d’expression peut avoir dans le système scolaire. Quoi de mieux, en effet, que d’organiser des ateliers « slam » avec des élèves qui se confrontent à une activité jeune comme eux alliant la création artistique, l’art de la diction, le jeu scénique, la motivation et le dépassement de soi-même ? A Buenos Aires, elle obtient le soutien de professeurs de français du lycée Jean Mermoz et lance le projet.

 

Cette année, il fallait créer des textes à partir de termes proposés par « Dis-moi dix mots », une activité littéraire que promeut chaque année le Ministère de la culture. Ces mots tournaient autour du thème de l’eau[1]. Un vrai défi d’écriture : n’oublions pas que nos participants ont entre treize et quatorze ans et que pour certains, le français n’est pas leur langue maternelle.

Et nous revoilà donc au CDI. Ils sont 21, la plupart se présenteront par groupe de deux. Le passage des équipes est tiré au sort au fur et à mesure de leur présentation. On commence par le calibrage d’un « maître-slameur » et membre du jury. Puis, dans un silence de cathédrale, chaque binôme se lance. Le maître du temps, chronomètre en main donne le départ et sera sans pitié si l’un des participants dépassera la limite fatidique. Mais cela n’arrivera pas : réciter un poème pendant trois minutes, c’est long ; beaucoup plus long qu’on pourrait le penser. Au fur et à mesure des présentations, on finit par reconnaître certains mots, onomatopées ou expressions qui défilent : mangrove, oasis, fluide, spitant (que le correcteur de cet article n’insiste pas ; ce mot existe bien !), à vau-l’eau, plouf ! Certains « slameurs » en herbe, timides, craintifs, regardent d’abord leurs chaussures puis peu à peu se lâchent. D’aucuns se déhanchent un peu plus que d’autres dans des petites gestuelles, ébauches de chorégraphie. On entend poindre parfois des variations dans l’intonation, certains jouent sur les mots (plouf ! plaf !) et allient leur corps au texte dans des mouvements suggestifs. Parfois, les vers passent d’un « slameur » à l’autre, un peu comme une balle qu’on se lance et relance sans relâche ; on fixe le public du regard, voire même, on l’apostrophe sur un ton comminatoire. Le message passe. Il faut dire que si l’on écoute parfois quelques poèmes d’amour ou d’introspection, la plupart des petits groupes ont choisi l’écologie ; le champ lexical et l’urgence climatique s’y prêtent. Qui a dit que les enfants n’étaient pas concernés par l’avenir de notre planète ? Greta Thunberg a fait des émules. La diction est fluide, les textes claquent. La professeure de la classe, Elizabeth Devriendt, est aux anges de voir tous ses élèves concernés, concentrés. Elle mesure probablement beaucoup plus que nous la performance qu’ils réalisent ; un chemin parcouru inimaginable, peut-être, par rapport à la réalité du début de l’année. Quant au public, son intérêt ne se relâche pas une seconde : la succession rapide des poètes colle parfaitement aux jeunes générations d’aujourd’hui.

Le jury, composé de deux adultes et de trois enfants d’une classe de cinquième, est impartial. Les notes sont serrées. Pas facile de départager un vainqueur. Finalement c’est « Dueau », composé de Margarita et Paloma qui l’emporte à l’applaudimètre. Le public a eu le dernier mot.

Tout le monde se retire ravi de cette expérience. Le « slam » a de beaux jours devant lui. Dehors, il ne pleut plus. L’orage est passé.

J. Guillot

En bonus, nous vous proposons un slam[2] :

Quatrième_D

[1] Pour en savoir plus, cliquez : http://www.dismoidixmots.culture.fr/

 

[2] Photo et enregistrement de l’audio : Lola Montalant (responsable CDI)

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