La Nuit des Idées : Ostende, Jour 2

Voici le récit de la deuxième journée à Ostende : un résumé détaillé, dynamique et attrapant

15h00

Deuxième jour. L’effervescence de la veille s’est transformée en une douce quiétude où chacun, déjà, semble avoir trouvé ses marques. Comme le temps est au beau fixe, beaucoup ont voulu profiter du soleil à la plage rendant l’ambiance plus tranquille, plus feutrée.

Nous retrouvons Florent Guénard au bar qui nous parlera de la notion d’une catastrophe écologique annoncée non pas cette fois-ci par des millénaristes illuminés mais par des groupes scientifiques internationaux reconnus comme le peut être le GIEC, par exemple. Il y a déjà de nettes annonces de la débâcle ce qui, pour Guénard, va nous demander de changer nos modes de vie, de perdre des libertés, de faire des sacrifices mais faut-il encore en être convaincu ce qui est encore loin d’être le cas.

Comment expliquer cela ?

Le philosophe avance une hypothèse conjoncturelle caractérisée par un retard de l’écologie politique dans les gouvernements des grands pays industrialisés en place, lesquels, en fait, malgré quelques déclarations péremptoires, ne se sentent pas concernés. Mais, et c’est semble-t-il plus fondamental, il faut s’interroger sur notre impuissance actuelle qui se caractérise par notre inaction, notre manque de motivation bien que nous sachions déjà le danger qui guette notre planète.

Pour expliquer ce manque de prise de conscience, Florent Guénard avance trois hypothèses.

  • Nous ne croyons pas à la catastrophe donc nous n’agissons pas. Il s’agit de la posture des climato sceptiques qui adoptent une attitude irrationnelle alors qu’il est difficile de nier ce qui se passe.
  • Nous sommes conscients de ce qui se passe mais nous pensons qu’il n’y a pas d’actions à mener. Nous considérons que l’homme intègrera cet élément comme une obligation supplémentaire qu’il finira par résoudre. Notre passivité s’explique dans une croyance au progrès. Mais cette attitude cache une réalité où on voit, à travers la multiplication des catastrophes que le temps du monde est dorénavant dicté par la nature. Il s’agit d’un changement radical de la pensée : la technique ne peut plus dominer le temps face à la nature et nous refusons de voir que la nature nous échappe.
  • Nous sommes persuadés que la catastrophe arrive, qu’il faut procéder à des transformations mais nous restons passifs. Nous n’arrivons pas à nous représenter la catastrophe qui s’annonce, en avoir peur et être motivé pour agir n’est pas suffisant Il nous est impossible de nous représenter la fin de notre vie, mais aussi celle de la vie car nous nions que la fin est prochaine. On se sent invulnérable et on s’en remet à un Etat pour nous protéger, ce que l’ètat peut de moins en moins faire. Les derniers exemples des incendies en Australie sont un exemple parfait. L’Homme était spectateur devant la catastrophe et s’en remettait à l’arrivée de la pluie pour éteindre les feux.

Selon Guénard, nous sommes confrontés à un blocage psychique selon lequel il faut à nouveau porter en nous l’idée de notre mort et de celle de la vie en général, raison pour laquelle, la représentation mentale de la catastrophe est nécessaire. Guénard termine en citant Nietzsche : « Une des pensées les plus lourdes est une des pensées les plus nécessaires. »

16h00

Après cette introduction qui ne peut que nous mettre plein d’entrain, place au théâtre où Michel Didym et Alejandro Tantanian nous emmènent dans une lecture à deux voix endiablée. Dans une espèce de faux dialogue alternant l’espagnol et le français, ils tentent de définir le théâtre et le rôle de l’acteur en s’appuyant très souvent sur Louis de Funès, le célèbre acteur comique français. Le verbe s’allie au geste, les voix modulent, l’intonation varie. Un plaisir d’oreille.

17h00

Daniel del Percio, professeur et chercheur dans le domaine littéraire, nous attend près de la piscine, non pas pour nous jeter à l’eau mais pour nous amener à réfléchir sur la construction par l’humain de sa propre image. L’homme cherchant toujours à construire une sorte de copie de lui-même afin de pouvoir peut-être se regarder vraiment ? Masques, automates, machines, tout y passe. Jusqu’au moment où, aspect perturbateur s’il en est, prenons l’exemple du jeu d’échecs, la copie surpasse nettement l’original. Ne manque plus que le clonage, aboutissement final.

18h00

Toujours près de la piscine, l’universitaire Christophe Giudicelli, spécialiste en anthropologie historique nous emmène dans une profonde réflexion sur les racines d’une certaine Argentine où le colon blanc envahisseur et dominateur issu principalement du courant migratoire espagnol va clairement tâcher de faire disparaître du territoire toute trace des natifs qui occupaient le pays à l’époque précolombienne menant des guerres d’extermination, comme la tristement célèbre Campagne du désert dirigée par Roca entre 1879 et 1881, justifiée, entre autres choses, par l’infériorité raciale. Mais, paradoxalement, les campagnes de fouille aboutissent à la découverte de traces archéologiques de civilisations prétendument supérieures et disparues qui ne pouvaient être représentées par les autochtones présents sur le territoire à l’arrivée du colon blanc. Il s’agira donc de faire disparaître les vivants, la lecture de textes de certains « próceres » argentins du XIXème siècle font absolument froid dans le dos, ce, tout en magnifiant une civilisation du passé dont il ne reste plus que des ruines archéologiques.

19h00

Enfin, cette seconde journée se termine, pour nous, par un stand up mené avec talent par Enzo Maqueira. Del Homo sapiens al homo I Phone. Une réflexion sur un ton enlevé, souvent drôle, de ce que nous sommes devenus, pétrifiés, fascinés, enchantés, esclaves de ce petit rectangle noir qui est à la fois notre ange et notre démon mais dont on ne peut plus se séparer.  Une réflexion qui vient bien en contrepoint de tout ce que nous avons pu entendre depuis deux jours, qui nous fait rire (jaune ?) mais qui n’a guère de chance de changer nos attitudes. A moins que vienne le temps d’une certaine réflexion nous permettant d’entrevoir l’aliénation que nous proposent tous ces objets électroniques dans lesquels nous tombons souvent avec délice mais qui, au fond, ne nous apportent rien de plus de ce que nous avions déjà auparavant et nous rendent chaque fois plus insatisfaits.

Comme le dit Bernard Lavilliers dans une de ses récentes chansons : Tu crois qu’t’es libre mais t’es cerné : le blues !

On en revient à ce que nous laissait entrevoir Florent Guénard : il est temps d’arrêter de nier et de faire quelque chose.

Jérôme Guillot
Photo : S. Bravo

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