#Je Reste à La Maison

JOUR 17 (suite). Etape 6 : A partir de la fin de matinée jusqu’au début de l’après-midi, se déroule la première vague des appels téléphoniques quotidiens…

Etape 6.

A partir de la fin de matinée jusqu’au début de l’après-midi, se déroule la première vague des appels téléphoniques quotidiens vers ou depuis la France (ou ailleurs lorsque le décalage horaire est trop important). Bien qu’il puisse y avoir quelques variantes, chaque jour qui passe répète le même flot d’inquiétudes, de questions et de réponses sous des travers de blagues et de décontraction. On s’enquiert des proches, des parents âgés, des enfants déjà grands, confinés eux-aussi. Si on a le privilège de les avoir toujours vivants, ce sont les parents qui nous inquiètent surtout. Ils semblent soudain encore plus fragiles ; notre préoccupation est à la mesure du temps qui a passé et dont nous prenons pleinement conscience. Sous le couvert de questions badines, on interroge aussi les enfants, bien sûr. Mais la vigueur de leur jeunesse nous les fait sentir un peu plus à l’abri même si on tremble tout de même un peu pour eux : ce serait vraiment trop injuste s’il leur arrivait quelque chose. Personne n’est à l’abri. On se dit aussi qu’ils doivent se poser la même question pour nous, même si on essaie, bravache, de donner fièrement le change. Je me rends compte que je suis plus inquiet pour mes proches que pour moi. Comme si, inconscient, je considérais que tout cela ne pouvait pas m’arriver. Lourde erreur sur laquelle j’espère ne pas avoir à méditer dans le futur…

Etape 6b.

Un peu avant midi ou un peu après, cela dépend, je sors pour faire quelques courses. Comme je suis respectueux des règles, mes escapades ne se font pas tous les jours. En quittant mon antre protecteur, j’ai un peu l’impression de descendre dans l’arène, la zone de tous les dangers. Mais en même temps, sortir me fait du bien. Marcher dans la rue, est devenu un moment rare dont j’essaie de profiter chaque seconde. Je sais que d’autres n’ont même pas cette chance. J’ai presque envie qu’il y ait un peu trop de gens faisant la queue dehors, devant les magasins, comme cela je pourrai me prélasser un peu plus longtemps au soleil, profiter de sa chaleur automnale trop rare sur mon balcon et regarder ce qui se passe autour de moi. Je traîne et ne suis pas trop pressé de retrouver mon dulce hogar d’autant que ces derniers jours, il fait très beau.

Je remarque qu’il y a un peu plus de monde qu’aux premiers jours. Est-ce que, comme pour moi aujourd’hui, les gens éprouvent un besoin vital de faire une petite escapade hors les murs ou bien est-ce que j’assiste à l’inévitable relâchement du respect des règles d’un confinement qui va bientôt atteindre la troisième semaine ? Un peu des deux. Je remarque aussi que le port du masque et des gants est devenu une vraie tendance. On repère ça et là quelques accoutrements et inventions remarquables. C’est le moment où je regrette de ne pas avoir mon mobile qui m’aurait permis d’immortaliser ces protections éphémères, parfois inutiles. Mais si je sors sans lui c’est pour échapper un peu à son emprise. Pendant un petit moment, je ne serai plus soumis à sa dictature, importuné par les petites sonneries qui s’égrènent presque inlassablement au fur et à mesure de la journée à tel point que parfois je ne regarde même plus les messages. J’ai mis des sonneries distinctes selon les personnes qui se trouvent dans mon agenda de contact : un type de sonnerie pour mes enfants, un autre pour les copains, un autre un peu désagréable pour ceux que j’apprécie moins ; heureusement, il y en a peu. Pour les groupes, j’ai mis le silencieux.

Je perçois aussi que, depuis quelque temps déjà, circulent un plus grand nombre de véhicules. En temps normal, ma rue n’offre aucun espace pour les automobilistes lesquels, peu enclins à pratiquer la marche, cherchent à se garer au plus près des commerces. Et, au tout début, les places vides, impatientes, semblaient s’offrir aux voitures alors que celles-ci, dédaigneuses, étaient trop pressées pour s’y intéresser. Dernièrement, on est revenu à l’époque d’avant. Oins d’espaces libres, comme au bon vieux temps ; certains se garent même à nouveau devant la grille où dort ma voiture (précautionneux, je la fais tourner de temps en temps). Ce n’est qu’en milieu d’après-midi, à l’heure où les commerces se ferment, que l’on revient à la normalité du moment. On ne sait plus, avec tout cela, quelle est cette normalité. C’était avant ou bien c’est maintenant ?  Je me rends compte que tout est chamboulé.

Parfois, dans un petit moment d’abandon, je me demande comment nous sortirons de cette situation.

(A suivre)

Pierre Leheup

Photo : Susana Bravo

 

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