Récit d’un retour en France

Une brève présentation s’impose. Je m’appelle Perrine, j’ai 24 ans, je suis étudiante à Sciences Po Rennes et j’aspire à devenir journaliste.

Dans le cadre de mes études, j’ai eu la chance d’obtenir un stage de six mois au Trait-d’Union, à Buenos Aires. Mon séjour devait s’étendre du 19 février au 22 août 2020. J’ai toujours été attirée par la langue espagnole et la culture d’Amérique latine, c’est pourquoi cette expérience m’enthousiasmait. C’est donc assoiffée de découvertes que je me suis retrouvée en territoire argentin.

Ce que je ne savais pas, c’est que la crise sanitaire qui allait frapper la planète remettrait en question tout mon projet. Comme journaliste stagiaire, j’ai suivi l’avancée de l’épidémie de près. J’ai pu constater les proportions surréalistes que celle-ci a rapidement pris en Europe. Ce n’est pas pour autant que les événements sont plus faciles à comprendre, et les décisions plus simples à prendre. Il ne fallut que quelques jours après les annonces de confinement total (17 mars en France, 20 mars en Argentine) pour que mon école me conseille de rentrer.

J’ai d’abord rejeté cette éventualité, me considérant plus en sécurité en Argentine qu’en France, où les nombres de contaminés et de morts doublaient chaque jour. L’idée de me déplacer à travers plusieurs aéroports internationaux me faisait aussi particulièrement peur, le risque de contamination me semblait trop important.

Cependant, l’annonce par l’Ambassade de France en Argentine du dernier vol confirmé pour un retour en France, me pousse à revoir ma décision. L’idée de ne pas pouvoir être présente pour ma rentrée en master au mois de septembre m’effraie.

C’est donc avec beaucoup de déception que j’entreprends ce long voyage le 8 avril dernier. La première problématique qui se pose alors : comment rejoindre l’aéroport ? Avec mes colocataires, également françaises, nous réussissons à commander deux taxis. Ils nous récupèrent devant notre casa, munis de gants, masques et gel hydro-alcoolique, ce qui est rassurant. Nous étions nous-mêmes parties à la quête de protections la veille, arpentant les rues de Palermo à la recherche d’une pharmacie ouverte. En échangeant avec mon chauffeur, j’apprends qu’il n’effectue que de rares courses depuis le début du confinement, la dernière remontant à une semaine. Il se pose alors beaucoup de questions sur l’évolution de la situation et sa situation économique. Sur la route de l’aéroport, nous sommes confrontés à deux barrages de police ; nos véhicules sont dispensés des contrôles car il s’agit de taxis officiels. Nous avons pourtant sur nous les justificatifs nécessaires à notre déplacement.

Une fois à l’aéroport d’Ezeiza, notre température est contrôlée à l’entrée par un homme aux allures d’apiculteur. Il porte une combinaison intégrale blanche, des gants, des lunettes et un masque. C’est une bonne entrée en matière qui annonce l’ambiance spéciale qui règne à l’intérieur. Seuls trois vols internationaux sont annoncés pour la journée, un pour Madrid, un pour Milan et le nôtre. Le hall est anormalement vide, les boutiques et cafés fermés, les voyageurs craintifs et masqués pour la plupart. Aucun masque n’est distribué, il est tout de même possible d’en acheter dans une pharmacie ouverte dans un autre hall. Nous enregistrons rapidement nos bagages et allons profiter de nos derniers rayons de soleil argentins sur les terrasses extérieures, restées ouvertes malgré le service inexistant. À chacune de nos entrées dans l’aéroport, notre température est prise, quelques fois affichant un ou 2 degrés au-dessus de la norme, après une trop longue exposition au soleil. Il faut alors attendre cinq minutes pour que la température redescende et que nous puissions rentrer à nouveau.

Après les contrôles de sécurité et les démarches de Migraciones habituels, nous patientons dans la salle d’embarquement avec tous les autres passagers. Je suis alors surprise de remarquer que plus de la moitié des voyageurs semblent être des étudiants, sûrement alertés comme nous par l’annonce de cette supposée dernière chance.

Après de longues dizaines de minutes d’attente, nous embarquons dans l’avion qui nous ramènera chez nous, après la vérification de nos autorisations de déplacement sur le territoire français. Malgré les cent-cinquante places libres, nous sommes assises côte à côte avec mes amies, comme de nombreuses autres personnes. Pourtant, des annonces nous indiquent de bien vouloir respecter des distances sociales de précaution. Un steward entame la conversation avec le groupe d’étudiants dans lequel je me trouve. Nous lui faisons alors part de toutes nos interrogations. Il nous explique que le personnel d’Air France travaille sur une base de volontariat, que l’avion a fait le trajet aller jusqu’à Buenos Aires avec comme seuls passagers le personnel de bord et que l’État français a payé pour celui-ci. Enfin, il nous confirme que ce vol est le dernier prévu comme l’avait annoncé l’Ambassade. Il est surprenant et satisfaisant de voir la bienveillance et la bonne ambiance qui règne dans l’avion. À plusieurs reprises, des chants de « Joyeux anniversaire » sont entonnés à l’intention de passagers ou de membres de l’équipage. Le service est cependant réduit au strict minimum.

Arrivée à Paris, la fatigue me rattrape. Je me sépare rapidement de mes camarades de vol, et me retrouve avec une seule de mes colocataires qui va comme moi effectuer une correspondance aérienne pour rejoindre le sud de la France.  Il nous faut patienter un moment qui me semble interminable, pour passer de nouveaux contrôles de sécurité, plus poussés qu’en quittant l’Argentine. Hormis ces contrôles de sécurité et douaniers, je suis surprise de constater qu’aucun contrôle spécifique à la pandémie du Covid-19 n’a été mis en place. Pas de prise de température, aucun questionnement sur nos dernières semaines et notre possible contamination. Une fois installées en salle d’embarquement, je note que plusieurs vols internes sont programmés. Le mien allant jusqu’à Toulouse, celui de ma colocataire la ramenant à Nice, ainsi qu’un pour Marseille à quelques minutes d’intervalle. Nous sommes nombreux à attendre. Contrairement à notre première attente à Ezeiza, beaucoup de passagers ici ne portent pas de masques, ni de gants, ni aucune forme de protection. L’heure des au revoir a sonné, je quitte ma dernière amie. Quelle tristesse ces séparations, sans même une accolade. Cela me fait penser que je ne pourrais également pas avoir le droit à de chaleureuses embrassades en retrouvant ma famille quelques heures plus tard.

L’embarquement s’effectue sans contrôle particulier. L’avion est complet, c’est le seul vol quotidien vers cette destination. Aucune annonce pour le respect de distances sociales cette fois. Je suis rassurée par les précautions prises par mes voisins, qui portent des masques et se lavent régulièrement les mains. Je me retrouve une heure et demie plus tard dans ma ville natale, la Ville rose, et retrouve mon père avec soulagement.

Nous prenons la route pour une trentaine de minutes, croisant très peu de véhicules et aucun barrage policier. Je me rends d’autant plus compte de la singularité de cette période en empruntant les chemins familiers, normalement bondés, presque déserts aujourd’hui.  L’arrivée dans la maison familiale marque la fin de mon périple. Malgré la fatigue et les émotions qui m’assaillent, entre joie, soulagement et frustration, je me rends bien compte que mon expérience m’aura profondément marquée. Effectivement, malgré plusieurs jours de recul, je me souviens encore parfaitement, de tous les détails, de tous les instants. J’ai pris conscience de certaines réalités en sortant de mon lieu de confinement pour en rejoindre un autre à des milliers de kilomètres. Je fais désormais partie de ces rares personnes qui auront voyagé durant le confinement mondial de l’année 2020.

Perrine Bontemps

Crédit photo : Perrine Bontemps

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