Et pendant ce temps le confinement…

Le Trait d’Union vous propose une nouvelle série de cours entretiens auprès de Français ou d’Argentins très proches de la communauté française vivant en Argentine et confrontés au confinement. Patricia Pellegrini (Buenos Aires)

Une façon de comprendre que, malgré la période difficile que nous traversons, où tout semble arrêté, la vie continue, et que, au-delà de l’adaptation à ces contraintes temporaires, les projets, pour mieux aborder l’ « après », sont déjà en route. Une façon aussi d’apprécier la variété et la richesse de notre communauté.

Patricia Pellegrini (Buenos Aires)

Patricia Pellegrini, a bien voulu répondre à nos questions et nous parler de son vécu pendant le confinement. Ancienne élève du lycée franco-argentin Jean Mermoz, Patricia a été présidente de l’association des Anciens élèves du lycée de 2010 à 2020. Elle est également co-autrice, avec Sofia Pomar, du livre Le Petit Mermoz Illustré écrit à l’occasion du cinquantenaire du lycée. Directrice de la PME CRECIENDO Mega Baby Store, Patricia préside actuellement Marianne, une association de femmes franco-argentines professionnelles qui fait référence en Argentine.

Pouvez-vous nous dire comment vous vivez votre confinement ?

Avec le confinement, mes nuits sont chaque fois plus désordonnées. Je porte presque toujours au quotidien la même tenue, les mêmes chaussures et les cheveux chaque fois plus longs. Pas de voiture, plus de voyages. Je deviens de plus en plus frugale et minimaliste dans mes habitudes, dans mes achats. Mes rythmes ressemblent à des électrocardiogrammes fous : je passe de zoom en zoom, constamment interrompus par des appels téléphoniques, des messages électroniques. Parfois, je me déconnecte volontairement pendant des heures voire des jours.

Le confinement qui, en Argentine, bat tous les records du monde de longévité, a pour effet de me rendre à la fois triste, mélancolique, en colère, impatiente ou désespérée. Malgré tout, je suis enthousiasmée par certains projets qui me procurent des joies inattendues …

Je suis passée de la prévention et la peur (au point de tout laver avec de l’eau de javel), au courage inconcevable d’aller marcher dans la rue avec un masque (et ce n’est pas le N-95 !), rendre visite à une amie et trouver que, distraite, j’ai oublié mes lunettes qui me protègent les yeux. Face aux réponses scientifiques sur la pandémie empreintes de confusion permanente, je suis passée du respect à l’incrédulité.
J’apprends à me détendre comme si je flottais dans une espèce d’espace-temps où tout serait en mode « pause » … Je laisse couler mes pensées, mes désirs, j’apprends à attendre et à faire confiance à mon instinct entre ce qui m’apaise, me renforce et ce que je ressens comme une contrainte à laquelle je dois résister. Je garde un minimum d’ordre à la maison, dans mes affaires et dans mon esprit tout en rejetant autant que possible les rythmes qui me sont imposés et les urgences externes. J’ai désactivé les notifications des applications et le son aigu des alertes téléphoniques … même si je les vérifie de temps en temps …
L’entreprise familiale que je dirige s’est, elle aussi, adaptée à la situation. Nous avons survécu en augmentant les ventes par téléphone et internet, en réaffectant les ressources humaines et en profitant de l’aide gouvernementale pour soutenir tout le personnel. L’association Marianne, que je préside, a su elle aussi s’adapter grâce au zoom. Nous avons monté plusieurs projets intéressants, notamment le réseau « Networking » sur notre site web. Les activités virtuelles, étendues sur tout le territoire argentin, qui n’oublient aucun membre de notre communauté, y compris celles qui sont en France, se sont développées. Ce qui nous procure beaucoup de satisfaction.
Mais s’adapter ce n’est pas grandir. Endurer, résister, c’est parfois gérer ce qui reste possible, en quelque sorte c’est s’appauvrir …

Il faut accepter le peu d’espace dont nous disposons puisque nous sommes enfermés. Mais il y a un lien entre le mouvement corporel et celui de l’esprit. Les rêves et l’imagination ne fleurissent pas dans des espaces réduits. Ils se fanent quelque peu. Le confinement m’a fait comprendre que je n’ai vraiment pas à me plaindre. J’ai un travail, pas de soucis financiers, je vis dans une maison avec jardin. Le partage de la vie commune avec mon partenaire m’est très agréable et rassurante. Nous n’avons pas à nous préoccuper du soin de personnes âgées, mes enfants sont indépendants, autonomes et en bonne santé.

Alors, cet enfermement nous permet de réfléchir. Ce qui était auparavant impératif, urgent ne l’est peut-être plus tout à fait maintenant.

J’ai conscience des réalités des autres personnes qui, comme dans un miroir, représentent l’antagonisme exact de ce que je vis. Et de cela, j’en suis profondément consciente.

Nous finirons bien, un jour où l’autre, par sortir de chez nous. Quels sont vos projets une fois que la crise actuelle sera passée ?

Parcourir la “ruta 40” et assister au mariage de mon fils aîné qui vit dans le sud en Patagonie.

A n’en pas douter, cette période que nous vivons est hors du commun.  Beaucoup considèrent que le monde d’ « avant » ne pourra plus être le même lorsque cette crise sera passée. Qu’espérez-vous de ce monde de l’ « après » ?

Mes sentiments me paraissent à tel point ambivalents que j’ai l’impression de devenir cyclothymique. Parfois, envahie de pessimisme, je n’attends aucune amélioration future du monde dans lequel nous vivons surtout quand j’observe la dégradation économique, sociale et politique de mon pays. Tout ceci me rend profondément triste. Mais, quand je rencontre des jeunes et des membres de Marianne qui s’impliquent avec énergie dans des projets de solidarité pour modifier certaines réalités inacceptables, alors ma vision optimiste des choses reprend le dessus. Ce sont des personnes essentielles avec qui j’apprends à collaborer. Cela me redonne de l’espérance.

Propos recueillis par Jérôme Guillot

Partager sur