“Camino a Valcheta”

Depuis Viedma, la fameuse ruta 3 continue de s’enfoncer vers le sud. La végétation ne cesse de se raréfier. Les arbres disparaissent assez vite, remplacés par des arbustes épineux dont la hauteur rapetisse au fil des kilomètres.

La steppe, telle une beauté sauvage balayée par le vent, ennuie et fascine à la fois. Elle donne au paysage un ton gris vert qui s’étend à l’infini. La route semble déserte à tel point qu’un sentiment de solitude nous envahit. Malgré tout, de loin en loin, on avise des arbres dont la cime, ce sont souvent des peupliers, est visible de loin. Ils signifient qu’une présence humaine est proche. Il peut s’agir d’un centre urbain ou bien de quelques fermes isolées et plantées là au milieu du désert, probablement près d’un cours d’eau ou d’une source. A l’approche de San Antonio Oeste, la route, désespérément droite, commence à présenter de légères dénivellations donnant au paysage un début de relief et à l’œil une petite et heureuse diversion.

Valcheta

En bifurquant sur la route 23 menant à Valcheta, la voie ferrée du train patagonique reliant Viedma à Bariloche nous accompagne fidèlement. Il s’agit d’une ligne qui fonctionne encore de nos jours. Vue l’état des voies, on doit avoir vraiment le temps de profiter du paysage. Au loin, on avise les premières et immenses mesetas (plateaux en français). Elles ressemblent à des montagnes dont le sommet aurait été parfaitement découpé horizontalement par une scie géante. Elles semblent posées là, placides et indifférentes aux petites fourmis motorisées qui les contournent en cheminant sur un ruban gris.  

Valcheta est un village très ancien puisque sa création date du temps où les Tehuelches étaient les seuls occupants de ces terres arides, bien avant l’arrivée des Blancs. Cette origine précolombienne n’étonne guère à la vue des traits physiques de nombreux de ses habitants. Le nom originel de ce village, homonyme de la rivière qui le traverse, était probablement Balcheta, d’origine Puelche. Le « b » se transposa ensuite en un « v », sans doute par erreur. On donne au terme Valcheta plusieurs significations : « vallée étroite », « murmure de l’eau », « ruisseau qui se remplit » ; cette dernière assertion serait la plus probable. Elle s’explique par l’afflux d’alluvions provoquant parfois un débordement de la rivière. En plus de ses rares attraits touristiques, cette grosse bourgade était, le 14 décembre dernier, un des lieux où il était possible d’assister à l’éclipse solaire totale dont il a déjà été question lors d’un article précédent.

Bois pétrifié

Difficile, au jour d’aujourd’hui, d’imaginer la Patagonie autre que celle que nous connaissons actuellement. Et pourtant, il y a environ cent cinquante millions d’années, la région était arrosée par des vents humides provenant du Pacifique si bien que de vastes forêts la recouvraient . L’apparition de la cordillère des Andes bloqua cette arrivée d’air transformant drastiquement le climat. L’intensification de l’activité volcanique et des nuages de cendre qui s’ensuivirent eut pour conséquence de recouvrir les forêts, fossilisant les arbres. A la sortie du village, en se perdant sur un terrain d’apparence anodine, çà et là, gisent d’énormes troncs d’arbres écroulés –il est possible de voir la base de certains d’entre eux encore debout− transformés en pierre et pouvant dépasser facilement les vingt mètres de long.

Indifférent, un renard brun et haut sur pattes traverse un chemin, langue pendante.

Meseta de Somuncura

Un autre attrait est de s’enfoncer dans la meseta de Somuncura (la pierre qui rêve ou parle en langage mapuche, en raison du son émis par les roches sous l’effet du vent). Une route de terre part depuis Valcheta et monte vers le plateau. Dans ces contrées arides et désertiques qui se sont formées à l’époque précambrienne, se trouvent encore des espèces animales endémiques telle que la mojarra desnuda . Ce petit poisson, qui ne dépasse pas les huit centimètres de longueur, a la particularité de ne plus posséder d’écailles lorsqu’il atteint l’âge adulte. Menacé d’extinction en raison de l’introduction de truites par l’homme, il ne se trouve dorénavant qu’à un point très précis de la meseta dans les eaux du Valcheta. La grenouille de Somuncura qui ne survit elle aussi que dans ce petit cours d’eau est également en grave danger d’extinction. Se perdre dans cette région semi désertique a quelque chose de fascinant et pourtant il faut monter longtemps, très longtemps car, le long de la petite rivière, de nombreuses installations agricoles profitent de chaque centimètre carré irrigué par ses eaux. Après, la route de ripio –sorte de route de terre consolidée par du gravier- donne l’impression de monter à l’infini. Le sommet de la route, semblant atteindre l’horizon, paraît inaccessible. Une fois celui-ci atteint, un autre sommet se profile toujours aussi loin, toujours aussi inaccessible.  Et ainsi de suite.  Jusqu’au moment où, autant déçu que découragé, il faut prendre la décision de faire demi-tour pour rentrer au village.

C’est le début du retour définitif.

Valcheta marque la fin du voyage ; de ce voyage…

Jérôme Guillot

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