Le collège Crespin

Affable et souriante, Bernadette Crespin a reçu le Trait-d’Union, chez elle. Un de ces appartements porteños, suspendu entre ciel et terre, avec vue sur l’étendue d’immeubles alentour bordés à l’horizon par le Rio de la Plata, où l’on se trouve bien, douillettement protégé, loin du brouhaha de la ville.

Bernadette Crespin, beaucoup de nos lecteurs porteños de naissance ou installés de longue date en Argentine, l’auront deviné, n’est autre que la fille de Monsieur et Madame Crespin, directeurs-fondateurs du Collège Français, ou tout simplement « Collège Crespin ».

Bernadette commença ses études dans le collège de ses parents, jusqu’à la fin de l’école élémentaire et poursuivit sa scolarité dans un collège d’origine anglaise. Plus tard c’est aux « Lenguas vivas », qu’elle obtint le diplôme de professeur de FLE (Français, Langue Etrangère). Elle exerça quelque temps comme professeur au Saint Catherine, puis préféra se consacrer aux cours particuliers, occupation qui offre plus de liberté à une jeune maman.

La grande réussite de ses parents, le collège, a été le résultat de beaucoup de travail et d’une disposition naturelle tant de Gilbert comme de Germaine Crespin à éduquer, organiser, diriger ce petit monde qu’est un établissement éducatif.
Le couple jeune marié, arrivé en 1930 à Buenos Aires, n’était pourtant nullement destiné à l’enseignement. C’est Gilbert, de nationalité belge, violoniste au théâtre d’Arras, qui, préoccupé par la tournure que prenaient les événements politiques en Europe, se laissa tenter par une aventure à l’étranger. Germaine elle, au contraire, n’était guère partante. Le jeune mari l’emporta et au seuil de leur grand départ, Monsieur Richard, le père de Germaine fit promettre à sa fille que quoiqu’il advienne, elle ne se laisserait jamais vaincre par l’adversité et irait jusqu’au bout dans leur entreprise quelle qu’elle soit.  Confiant, le couple s’embarqua, une lettre de recommandation dans la poche du jeune musicien pour une personne influente au teatro Colón…c’était sans compter sur les caprices de la politique argentine. La personne à laquelle Gilbert était recommandé, fut, dans la tourmente politique, remplacée ; la lettre se retrouvait sans destinataire. Commencèrent alors des mois difficiles, Gilbert ne trouvait pas de travail ; heureusement Germaine, elle, entra rapidement comme secrétaire chez « Monsieur Levy », qui se transforma en bienfaiteur pour les jeunes gens et les aida beaucoup. Germaine, sut, fidèle à la promesse faite à son père, affronter avec courage l’adversité et, au besoin même, redonner courage à son mari et le soutenir dans ses recherches. Après plusieurs mois, Gilbert fut enfin recruté comme professeur de français à l’Alliance française, mais dut valider ses diplômes belges. Les Crespin respirèrent…

En 1933, le jeune musicien fut pris comme professeur de musique au collège Pueyrredon, un établissement installé dans le quartier de « Once » enseignant le français comme 1ère langue étrangère. Peu de temps après, les Crespin, tentés par le propriétaire du collège, un français, rachetèrent l’établissement. Une affaire, semble-t-il peu brillante, l’immeuble, surtout se révéla assez délabré. Déçus, Gilbert et Germaine cherchèrent un autre quartier pour installer leur collège et échurent dans une maison en location à Belgrano. Le collège français, c’était désormais son nom, ouvrit en 1934 avec 70 élèves, allant de la maternelle jusqu’en classe de troisième. Au moment de sa fermeture, 34 ans plus tard, l’établissement comptera plus de 1000 élèves, depuis les petites classes jusqu’au baccalauréat.

Les Crespin avaient des idées claires et d’avant-garde pour l’époque ; leur établissement serait mixte –garçons-filles- laïc, avec des professeurs, des programmes et des manuels français. Pendant la guerre, les enseignants français furent remplacés par des canadiens. La recherche de l’excellence fut l’objectif constant, et le collège devint rapidement un établissement de référence, dans lequel régnait discipline et bonne entente.

L’enseignement était entièrement imparti en français, et les élèves, ne parlaient que la langue de Molière, et gare ! même dans la cour de récréation. La population étudiante externe et interne (l’internat fonctionna jusque dans les années 50) était des plus cosmopolite, enfants de familles françaises de Buenos Aires et de province, de familles argentines, de diplomates français et étrangers, de personnels d’entreprises expatriés.

En 1937, se présenta la première promotion au baccalauréat ; c’est également cette année-là que furent octroyées les premières bourses.

Le collège français, dirigé avec fermeté et intelligence, fut également une réussite économique qui ne tarda pas à attirer quelques convoitises et des tracasseries du côté de l’administration française.

On essaya entre autres d’évincer la présence des Crespin et de leurs élèves lors des événements organisés pour la visite du général de Gaulle et de sa femme en 1964.

C’est au cours de cette visite que le Général lança l’idée de la création d’un lycée français ; à partir de cette décision, le collège fut en but à une escalade d’ennuis.

Les Crespin, dont l’âge de la retraite avait sonné, étaient décidés, le collège fermerait le jour où le lycée ouvrirait ses portes : effectivement le collège ferma en 1968 et le lycée ouvrit en 1969. Les élèves, les professeurs et une partie du personnel émigrèrent vers le lycée.

L’établissement à l’angle des rues « Pampa et 3 de Febrero » qui abrita le collège Français depuis sa création fut vendu : il n’existe aujourd’hui plus rien, tout a été démoli pour laisser place, comme c’est si souvent le cas à Buenos Aires, à un immeuble d’une quinzaine d’étages.

Avant de se quitter Bernadette nous annonce la publication en France d’un livre dont elle est l’autrice « Au cœur du Collège Français de Buenos Aires », déjà traduit en espagnol, dans lequel elle raconte les trente et quelques années du collège, si étroitement liées à la vie de ses parents et de la sienne propre.

 

 

Propos recueillis par Marie-Françoise Mounier-Arana et Patricia Pellegrini

 

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