Immigration française en Argentine

Dans sa quête de témoignages de descendants d’immigrés Français en Argentine, Trait-d’Union a rencontré cette fois-ci, une petite fille de Béarnais, María Cazalé.

Née à Lomas de Zamora, dès le berceau María écoute parler français par ses grand-mère et grand-tante : « C’était leur façon de communiquer entre elles ». Des études à l’école de l’Immaculée Concepción (congrégation religieuse, fondée par Émilie de Villeneuve venue de Castres au début du XIXe siècle) puis devenue professeure, elle enseigne à l’Alliance de Buenos Aires.

En 1978, Maria part pour un stage de trois mois à Paris, elle y restera 10 ans ! Tout en travaillant comme jeune fille au pair, elle obtient une maîtrise de linguistique hispanique à la Sorbonne ; elle enseigne le français et l’espagnol.
En août 1982, son fils Jean-Paul naît. María donne des cours aux cadres d’Alcatel ce qui lui permettra, à la fin des années 80, de retour à Buenos Aires, d’enseigner les deux langues dans la filiale locale (Telecom). Décidée de revenir en Argentine avec son fils, María n’avait pas prévu la situation économique délicate qu’elle allait trouver… « J’avais idéalisé mon pays, dit-elle et je me suis retrouvée dans un pays en pleine hyper inflation… ». Ses arrières grands-parents maternels et paternels étaient Béarnais et venaient les uns de Loubieng, les autres de petits villages de la région d’Orthez.

Du côté maternel, une remarquable réussite économique et sociale,

Brice Lourtet, arrière-grand-père maternel de María, troisième fils d’un couple de meuniers, naît en 1856. Invité en Argentine par un oncle, il arrive en 1873 à Benito Juarez (au centre-sud de la province de Buenos Aires). D’abord « peón », ce travailleur acharné, achète en quelques années  une « pulperia » (magasin et débit de boissons), puis un « campito », et enfin du bétail. Devenu grand propriétaire de plus de 3000 ha, à Irene, il est membre de la « Sociedad Rural », et monte une affaire de commerce de bétail (consignatario de hacienda). Brice, rebaptisé par son oncle Luciano, se marie avec Catherine Boulain.

 

Catherine Boulain, née en 1865, dans un hameau pyrénéen, près de Maslacq, est la quatrième enfant d’un ménage de laboureurs. La petite Catherine, « curieuse » apprend à lire et à écrire, grâce à une tante, venue de Pau ; apprendre à compter se fait naturellement. Lorsque son frère Jean reçoit une invitation d’un parent qui lui propose de le rejoindre au bout du monde, en Argentine pour faire fortune, rien ni personne ne peuvent empêcher la jeune fille de le suivre. Ils quittent Bordeaux, entassés dans un bateau, en troisième classe, voyage long et éprouvant pendant lequel l’intrépide acquiert vite les rudiments de sa nouvelle langue avec sa compagne de voyage, espagnole.

Deux surprises à l’arrivée, la découverte d’une capitale en pleine modernisation et un excellent accueil dans la maison de l’oncle à San Telmo, où la femme, une Gasconne souriante, comprend le désir de la jeune fille et l’inscrit à l’école. Très vite Catherine complète son éducation primaire, prépare l’École Normale de Jeunes Filles, récemment créée par Sarmiento, devient institutrice, tout en aidant sa tante à la maison et dans le magasin. Au cours d’une visite à Benito Juarez, elle rencontre Luciano (Brice), l’ami de son frère, un jeune Béarnais qu’elle avait déjà rencontré sur le bateau.
Elle l’épouse en 1885, le jeune ménage s’installe à la campagne.  Des enfants naissent, néanmoins Catherine prend vite un poste à l’école du village. Vers 1890, ses affaires réclamant sa présence à Buenos Aires, l’ « hacendado »  et sa famille emménagent à San Telmo. Catherine, revenue dans son quartier,  reprend son poste d’institutrice et 9 ans plus tard est promue directrice de l’école, poste qu’elle assurera jusqu’à sa mort en 1917. La grand-mère de María, Amelia née en 1892, est la cinquième des neuf enfants Lourtet.

A la mort de sa femme et sa situation économique florissante le lui permettant, Luciano (Brice), prend une revanche sur ses dures premières années de travail à la campagne et rentre passer tous les étés en France, d’avril à octobre ; c’est au cours d’un séjour à l’hôtel Royal (aujourd’hui disparu) de Pau qu’il décède en 1932, à l’âge de 76 ans.

Du côté paternel, une rapide assimilation

Acte de naissance de Jacques Cazalé

Jacques Cazalé, fils d’agriculteurs, né en 1865 dans un petit village pyrénéen, est le dernier enfant d’une fratrie de six.  Son père, Antoine, né en 1802, est le « témoin » du village ; à l’époque le « témoin » était la personne qui avait la responsabilité de signer les actes du registre civil. A 20 ans Jacques, le benjamin, s’embarque pour l’Argentine. Son commerce rencontrant quelques difficultés économiques, c’est l’ami béarnais Luciano (Brice) Lourtet, connu sur le bateau, qui lui vient en aide. En 1885, il épouse une jeune immigrée basque française de Saint-Jean-Pied-de-Port, Marie Inchauspe.  Le ménage a deux enfants María et Antonio. L’amitié entre les familles Lourtet et Cazalé se conforte : Antonio épouse l’une des filles Lourtet, Amelia. Ce sont les grands-parents paternels de María. Le grand-père Antonio travaille dans la banque Nación. Il mourra en 1942. Son fils, nommé Carlos Alberto, est le père de María, il se marie avec une fille de famille italienne –Lidia Fittipaldi- et travaille comme son père dans le « Banco Nación ».

La famiille de María, vit en banlieue, à Banfield, avant de venir s’installer au centre de Buenos Aires. La sœur aînée d’Amelia, Emilia Lourtet, célibataire, habite avec les Cazalé. Les deux sœurs Amelìa et Emilia parlent français entre elles, leurs autres frères et sœurs Lourtet aussi. Tandis que la maman de María, elle-même et ses propres soeurs comprennent la langue mais ne la parlent pas. Au foyer Cazalé on conserve grâce à la présence de la grand-mère et de la grand-tante quelques habitudes typiquement françaises : la cuisine comme la succulente soupe béarnaise la « garbure * », les pratiques religieuses  (la tante Emilia était très pieuse) on priait en français, on chantait toutes les comptines enfantines, on comptait également en français…La grand-tante Emilia, la « narratrice », bien que n’étant jamais allée en France, racontait aux petites filles les anecdotes de sa famille française.

María souligne la riche vie familiale qu’elle a vécue chez ses parents : une maison toujours ouverte, de nombreuses réunions avec oncles, tantes et cousins, des grandes tablées…  Fidèle à ses origines María est restée proche de la France de la langue et de la culture françaises ; elle s’intéresse, aujourd’hui aux origines de sa famille et fait du théâtre, par zoom !

Propos recueillis par Elisabeth Devriendt et Marie-Françoise Mounier-Arana

* La garbure

La garbure, soupe paysanne basco béarnaise, se mérite : 4 heures de cuisson ! Un talon de jambon de Bayonne, des haricots tarbais, un chou, carottes et navets et du confit de canard sans oublier les herbes aromatiques et le piment d’Espelette. Lorsque le jambon « bloblote », rajouter les légumes qu’on a fait suer dans la graisse des confits puis le chou coupé en lanières enfin les pommes de terre. C’est le moment de rajouter le confit, poursuivre la cuisson encore 2 heures.
Si la cuiller tient debout dans l’assiette, c’est parfait !
Chaque année à la mi-septembre à Oloron- Sainte-Marie (Béarn) se déroule un championnat du monde de garbure !

La poule au pot

A l’origine, une légende

On dit que le roi de France, Henri IV, établit et démocratisa la poule au pot au XVIIe siècle en réponse aux famines issues des longues guerres de religions opposant protestants et catholiques. Il imposa alors la poule au pot comme le « plat national français »… Ce bon roi Henri qui pour monter sur le trône de France, n’hésita pas à renier sa foi protestante pour se convertir au catholicisme…on se souvient « Paris, vaut bien une messe ! »

Une poule ! Pas facile à trouver, prendre un poulet fermier, carottes, poireaux, navets, oignons, herbes aromatiques et le tour est joué. Remplir d’eau une cocotte en fonte, plonger le poulet, sans peau ; une fois le bouillon arrivé à ébullition, ajouter les légumes et laisser « blobloter » pendant 2 heures. Servir avec des pommes de terre et une sauce moutarde.

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