Immigration française en Argentine

Cette fois-ci l’histoire de l’immigration que nous vous présentons est particulière, faite d’allées et venues, elle semble marquée d’une prédestination qui était insoupçonnée au départ.

Comparée aux histoires qui narrent habituellement les migrations de familles françaises en Argentine, celle de la famille de Claudine Vandewiele sort de l’ordinaire. Etalée sur plusieurs générations, elle est faite de va et vient où sont posés, au fil du temps, des jalons susceptibles de servir de repères, pour les années futures. Lorsqu’on étudie le parcours de Claudine, installée avec sa famille à Viedma, la capitale du Rio Negro, on constate que cette destination finale est le fruit de plusieurs approches qui s’étalent sur plus d’un siècle. La famille Vandewiele ne fait pas partie de ces familles composant un groupe communautaire homogène partant tenter l’aventure en Amérique du Sud dans l’espoir de jours meilleurs. Il s’agit plutôt d’un projet individuel basé sur des opérations commerciales ; celui de la laine dans le cas présent. La famille de Claudine originaire du nord de la France, était impliquée dans le négoce de la laine, dans une région où l’industrie textile y fleurissait à l’époque. Les plaines immenses de l’Argentine laissaient présager un essor important de l’élevage du mouton avec, en corollaire, l’exploitation lainière, ce qui ne pouvait qu’attirer les investisseurs et parmi eux un certain nombre de français. Cette migration du nord de la France est passée assez inaperçue dans les récits de mouvements migratoires régionaux plus importants d’autres régions françaises. On pense tout de suite à l’immigration des Aveyronnais à Pigüé, ou, nous l’avons vu dans cette série d’articles proposés par le Trait d’union, à celle des Savoyards de la colonie San José.

A cette approche originale, on s’aperçoit également que la famille de Claudine, grâce à l’étude des nombreuses archives familiales a parfois rendez-vous avec l’histoire. C’est, en effet, à la branche familiale de son arrière-grand-mère, Hélène Leleux, qu’appartient le général Charles Delestraint (1879-1945), lequel eut sous ses ordres un ‘ certain colonel De Gaulle’. Delestraint refusa l’armistice de juin 1940. Entré dans la Résistance, c’est lui qui organisa et commanda la fameuse Armée secrète. Arrêté en 1943, il mourut à Dachau. Plus près de nous, une des cousines de Claudine, Marie-Christine Devidal, fut une des deux juges chargés d’enquêter sur la mort de Lady Diana.

L’histoire de la famille de Claudine avec l’Argentine commence avec son arrière-grand-père, Alfred Alexandre Dufossez (1852-1931). Habitant Roubaix, il travaillait dans le négoce de la laine. Il s’agissait probablement d’une entreprise florissante car il possédait des bureaux à Londres. Par contre, on ne sait pas grand-chose de son séjour en Argentine. Il semblerait, selon les archives retrouvées par Claudine, qu’il y résida, avec son épouse Hélène Marie Leleux, entre 1896 et 1908.

Après cette première approche, ce fut au tour de son père, Albert Vandewiele, de connaître les terres australes. Il était tout juste âgé de 24 ans lorsqu’en 1937, il entreprit un voyage planétaire à bord du Massilia, le fameux paquebot français, afin de mieux connaître les différentes techniques du travail de la laine dans le monde. Bien évidemment, l’Argentine faisait partie du périple. Albert fera une longue halte à Buenos Aires.

Ce n’est qu’après la guerre, en 1947, qu’Albert décide de tenter sa chance hors de France. Il vient tout juste de se marier avec Renée Louchet. La situation politique de l’Europe à l’époque, avec le risque d’une nouvelle guerre n’est peut-être pas non plus étrangère à cette décision. L’installation définitive en Argentine n’aura lieu qu’en 1958. Dans ce laps de temps de onze années, la famille Vandewiele vécut dans trois pays différents avec pour fil rouge, encore et toujours, le commerce de la laine. La ville de Port Elizabeth en Afrique du Sud d’abord : Albert travaille dans une entreprise anglaise. C’est dans cette ville que naît Claudine en 1948, et trois ans plus tard sa sœur, Martine.

Après un séjour de cinq années, la famille Vandewiele s’installe en Egypte. Là, Claudine supporte mal le climat de la région et attrape de nombreuses maladies (paludisme, scarlatine, toux convulsive). En raison de sa santé fragile, elle sera envoyée un temps en France à La Baule chez ses grands-parents.  En Egypte, Claudine se souvient des parties de pêche au bord de la mer Rouge où il était interdit de se baigner à cause des requins. Une photo d’elle sur la plage en train de donner à manger à un corbeau fit même la couverture d’une revue égyptienne ! A l’école, en plus du français, elle apprit l’anglais et l’arabe. « A la maison, je répondais au téléphone en arabe », écrit-elle. Le séjour en Egypte, long de quatre années, fut écourté par la crise du canal de Suez. Les autorités égyptiennes intimèrent les Vandewiele de quitter le pays dans les 48 heures. Après un bref retour en France, l’attrait du large ne faiblit pas chez Albert. Il obtient un poste de directeur textile dans une entreprise à Montevideo en Uruguay. La famille y débarque en 1957 pour un nouveau défi. « Dorénavant, il faut oublier l’arabe et recommencer depuis zéro avec l’espagnol, les amitiés et les coutumes », raconte Claudine dans ses souvenirs. Très vite, la situation dans l’entreprise où travaille Albert se détériore. Au bout de six mois, il n’est plus payé. Il faut se résigner à un nouveau départ. Buenos Aires, qu’Albert connaît déjà, est toute proche. Les perspectives de développement sont alléchantes.

Il réussit à trouver un emploi dans l’entreprise de Textiles San Andrés. « Il faut toujours recommencer, c’est fatigant » soupire Claudine qui, à onze ans déjà, en est à découvrir son cinquième pays. La famille s’installe dans le quartier de Belgrano dans une belle maison de la rue 3 de Febrero. C’est à pied qu’elle parcourt les cinq cuadras pour se rendre au fameux Collège français –le collège Crespin- de la rue Pampa. Là aussi, l’acclimatation au nouveau climat portègne est difficile : « Ici, il pleut beaucoup. (…) Nous attrapions souvent des angines et des bronchites..». L’installation semble néanmoins plus durable.

Pourtant, en 1964, Albert, qui décidément ne tient pas en place, envisage de quitter l’Argentine pour se rendre en Australie. Mais, à la même époque, il obtient le poste de directeur d’une usine textile, toute nouvellement créée, à près de mille kilomètres au sud de la capitale argentine, à Viedma. Cette nouvelle destination, bien que dans le même pays, est un nouveau chambardement dans la vie de la famille. Quels points communs y a-t-il entre la brillante et tentaculaire capitale argentine et une petite ville de province, balayée par le vent, perdue aux confins du sud du pays ?  « Où est-ce, écrit Claudine, et mes amis ? Encore un autre déménagement ! ». Et cette fois, enfin, l’installation des Vandewiele à Viedma sera l’étape définitive.

L’inauguration de l’usine, en juillet 1964, fut imposante : « Une grande fête fut organisée, la moitié des habitants de Viedma fut invitée, asado. Horacio Guaraní est venu chanter. » Le projet auquel participe Albert était ambitieux. Une voie de chemin de fer, qui permettait de rejoindre la ligne reliant Buenos Aires à Bariloche, permettait le transport des marchandises. Albert reçut même la visite de Juan Carlos Onganía, militaire, président de fait de l’Argentine entre 1966 et 1970. Malgré des débuts prometteurs, l’usine fera faillite en 1972. Nullement découragé par cet échec et à la veille de la retraite, Albert tentera encore une fois de rebondir en créant un élevage de poulets. Le couple achètera un immense terrain et y fera construire une maison sur les bords du Rio. Albert mourut en 1997. Il avait 84 ans. Renée, la mère de Claudine, le rejoindra huit ans plus tard.

Mariée et mère de quatre enfants, Claudine, après une enfance faite de déplacements incessants, a choisi de rester à Viedma. Elle habite une belle maison à la sortie de la ville pas très loin de l’édifice dans lequel travailla son père. Sa sœur Martine est aussi restée à Viedma, dernière étape d’une migration familiale au parcours atypique et turbulent.

 

 

Propos recueillis par Jérôme Guillot

 

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