La Colonia San José

Poursuivant ses recherches de descendants d’immigrés français débarqués en Argentine dans la deuxième moitié du XIXème siècle, l’équipe de Trait-d’Union s’est rendue à San José, dans la province d’Entre Rios.

Là-bas, nous avons pris contact avec plusieurs personnes qui ont bien voulu nous dévoiler l’histoire de leur famille.

Avant de publier ces différents témoignages, il nous a semblé intéressant de conter brièvement l’histoire de cette immigration collective.

Un peu d’histoire

C’est entre 1850 et 1860, date du traité de Turin, de la réunification de l’Italie et de la cession du duché de Savoie et du comté de Nice à la France que par un plébiscite les savoyards se prononcent en faveur de l’annexion, la région devient alors la Haute-Savoie, avec Annecy comme capitale.

Les rudes conditions de vie, la pression démographique, la crise économique du phylloxera et les ajustements politiques, forcent les populations à chercher un avenir plus clément en émigrant.

Plus de 4000 Savoyards rejoignent l’Argentine, attirés par des agences d’émigration et tout un réseau de rabatteurs qui leur font miroiter des conditions matérielles extraordinaires, avançant même, pour les plus démunis, le coût du voyage. L’Argentine recrute alors des agriculteurs pour peupler et exploiter ses immenses territoires. L’objectif est de créer des colonies rurales pour travailler la terre. Plusieurs colonies se créent dans la province d’Entre Rios, la plus ancienne est celle de San José.

Au terme d’un voyage en bateau long, fatiguant, non dépourvu de danger, les immigrants   se voient attribuer de petites parcelles de terre de 27 ha avec facilités de paiement, du bétail des graines de semences, dans les parages de ce qui est aujourd’hui San José. L’arbitrage du président de la confédération argentine Justo José de Urquiza dut être requis car le premier emplacement proposé aux nouveaux arrivants, dans les marécages d’Ibicuy, ne correspondait en rien à ce qui leur avait été vanté et était inapproprié aux travaux ruraux.

La colonia San José, se peuple majoritairement de Savoyards, de Valaisans et de Piémontais. Certains travaillent la terre, les autres se tournent vers l’élevage. Sous l’impulsion de Alejo Peyret (1826-1902), nommé administrateur et directeur de la Colonie par Urquiza, San José connaît un essor ordonné et remarquable. En trente ans, ce Béarnais originaire de Serres-Castet, une bourgade des Pyrénées Atlantiques, immigré en Argentine après la prise de pouvoir de Napoléon III en 1852, occupe toutes les fonctions de direction.  Peyret est également journaliste, écrivain, professeur universitaire…

Les cultures se diversifient, cacahuètes, pommes de terre, oignons, betteraves sucrières, maïs et tabac voient le jour, les outils et les machines agricoles se modernisent. Si les autorités locales distribuent les semences, le développement de l’aviculture est le mérite des colons qui ont amené avec eux des volailles d’Europe. La production d’œufs devient un complément important dans le budget familial et avec le temps une spécialité commerciale locale. La production viticole prend également essor en dépit des difficultés rencontrées : coût élevé dû à la difficile adaptation des plants de vigne au terroir, rendement initial faible. Finalement l’implantation de ceps originaires d’Amérique du Nord engendre l’extension de la culture. Le vin est conservé dans la “cave familiale”. La vigne et son produit vont jouer un rôle important non seulement chez les Savoyards, viticulteurs experts, mais aussi chez les Valaisans et les Piémontais. La concurrence entre producteurs engendre une production de qualité. Des vins élaborés avec des ceps d’Entre Rios sont présents dans les expositions internationales. Les vins d’Entre Rios se voient néanmoins freinés au début du XXe siècle par ceux de Mendoza, alors que l’élevage de bétail s’intensifie grâce aux deux usines d’extraits de viande dont la célèbre fabrique Liebig, créée en 1903.

Ces contingents d’immigrés n’étaient pas seulement composés d’agriculteurs, d’artisans et de professionnels qualifiés mais également d’anciens soldats et mercenaires qui avaient acquis un bon niveau d’instruction lors de leur passage dans les armées révolutionnaires et napoléoniennes. Grâce à la pratique et la diffusion de la lecture, la brèche sociale entre les différents groupes sociaux est limitée. Comme il fallait “sauver l’histoire de la famille”, on tenait les comptes dans des livres, les biens étaient enregistrés, le patrimoine familial conservé.

On peut observer au musée de San José de nombreux livres religieux, Histoire de la Sainte Bible, des livres de pratique professionnelle spécifique de médecine ou de pharmacie, d’autres encore comme Des Fondeurs en métaux de facture nettement artisanale, enfin des livres de littérature gréco-latine, de pensée moderne … Un exemplaire de Le Code Napoléon a même servi de guide juridique aux premières générations de colons.

L’école publique : l’éducation gratuite, obligatoire et laïque n’a pas toujours coïncidé avec les intérêts provinciaux ni ceux des colons plutôt favorables à une éducation religieuse non mixte comme l’École de “las hermanas del Niño Jésus” (1891) mais “Savoir lire et compter” est considéré comme fondamental et même les mères de famille deviennent enseignantes !

Les différents groupes de la première génération d’immigrants ne se mélangent pas ; chacun parle sa langue (patois français, et italien). Mais le désir d’intégration pousse les parents à exiger que les enfants parlent espagnol ; l’apprentissage d’une langue commune entraîne alors à la deuxième génération le mélange des ressortissants d’origines différentes, les barrières tombent entre Savoyards, Valaisans ou Piémontais.

Vie privée et vie sociale sont étroitement liées, les uns et les autres s’entraident, néanmoins quelques traditions persistent telle la fabrication et la cuisson du pain et autres spécialités culinaires.
Le rôle des femmes est considérable, elles participent aux travaux des champs, s’occupent de l’économie familiale et surtout elles transmettent de génération en génération les travaux d’aiguille propres aux régions montagneuses car elles savent filer, broder, elles sont la mémoire des traditions.

San José aujourd’hui est une agréable petite ville à quelques dizaines de cuadras de Colón, la ville portuaire créée en 1873, à l’initiative de Urquiza, pour écouler la production agricole de la colonia.

Contrairement au calme que pourrait supposer ses larges artères, ses jolies maisons basses, une magnifique et immense place centrale, son très beau musée “Histórico Regional” -remarquable centre de mise en valeur de ses collections historiques-, San José, apparaît comme une ville active et même bruyante, de plus en plus tournée vers une nouvelle manne économique : l’industrie touristique.

Elisabeth Devriendt

 

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