Immigration française en Argentine

L’histoire d’Esteban Langlois, troisième génération de descendants d’immigrants français en Argentine, est particulièrement intéressante de par ses oscillations entre ses abandons et réappropriations d’identité culturelle et de langue françaises.

Esteban Raúl Langlois naît en 1966 à Buenos Aires d’un père franco-italien et d’une mère espagnole-italienne. Élevé dans la capitale, il étudie la médecine et obtient son diplôme en 1990 à l’UBA. Père de deux enfants issus de son premier mariage, Esteban se marie à deux reprises avec des argentines descendantes d’espagnols. À ce jour, il maîtrise le français et a récupéré depuis peu la nationalité française. Toutefois, l’histoire de la famille Langlois n’est pas linéaire et montre des passages “d’oubli” de sa partie française. Afin de comprendre son présent, Esteban nous fait voyager 136 ans en arrière, à l’époque de son arrière-grand-père. 

L’arrière grand-père Jules François Langlois

C’est en 1886 que débute officiellement l’histoire de la famille Langlois de ce côté-ci du globe, car comme le souligne Esteban, féru de généalogie, il a pu “remonter” dans son histoire familiale en France jusqu’au 16ème siècle. Jules François Langlois naît en France en 1856  dans la ville de Provins. Cadet d’une fratrie de trois, Jules suit le choix de son frère et de sa sœur et, à l’âge de 30 ans, suite aux décès de ses parents, décide de partir pour Bordeaux où l’attend “Le Sénégal”. C’est à bord de ce bateau qu’il navigue pour Buenos Aires en compagnie de son épouse et de ses quatre enfants. Avait-il connaissance de l’existence d’un marchand de vins, parent proche ou lointain installé à Mendoza en Argentine et est-ce cette lointaine relation qui le fait se décider à émigrer ? L’état actuel des recherches généalogiques d’Esteban sont encore muettes sur ce point. Car tout juste débarqué et bien que comptable de son état, Jules se lance dans le commerce de vin. En 1901, quelque temps après le décès de son épouse, le jeune père se remarie avec Andrea, une jeune française, amie de sa fille, rencontrée au sein de la communauté française de San Telmo, où vit la famille. De ce mariage, naîtront quatre autres enfants, dont le grand-père d’Esteban, Jorge Luciano Langlois (3ème enfant de la fratrie). 

Le grand-père Jorge Luciano Langlois

C’est à ce moment que la culture française s’estompe dans la famille. Afin de faciliter l’intégration dans le pays, les parents décident de déménager dans un autre quartier de Buenos Aires à Villa Urquiza, laissant leur culture de côté au profit d’une intégration complète. Le français se perd alors au profit de l’espagnol. 

Et la tendance se perpétue une génération de plus. Jorge Luciano ne parlant pas la langue, maintient un lien relatif avec la France par l’intermédiaire de son commerce. Il se dédie en effet à la vente de vêtements ainsi qu’à la mercerie, commercialisant passementerie, broderies, galons et autres, importés de France. De son mariage avec une Argentine descendante de famille italienne, Dora, naîtront deux enfants, dont le père d’Esteban, René Langlois. 

Le père René Langlois

Ce dernier, né en 1943, s’intéresse, dès son plus jeune âge, à son passé et tout particulièrement à ses ascendants directs. Découvrant ses origines françaises, René se met à l’apprentissage de la langue. Il se marie avec Mónica, argentine, descendante de famille italienne. Quelques années plus tard, le ménage se sépare, les conjoints divorcent. René, passionné d’art, s’exile en Espagne, à Barcelone. Il obtient la nationalité espagnole et fait la rencontre d’une Française, Isabelle. Comme une main tendue vers la découverte de son passé, il la suit sans hésiter jusqu’à Paris où le couple, officialisant leur relation, se marie en 1982. Après quelques années, épanoui dans sa vie professionnelle, mais sentimentalement insatisfait, René rompt à nouveau ses liens matrimoniaux, et second divorce ! Une nouvelle femme entre dans sa vie, c’est Hélène avec laquelle, enfin,  il restera jusqu’à la fin de ses jours. Il décède en 2017, après 27 ans de vie en France. 

Esteban Langlois

Esteban est le fruit de cette histoire transatlantique. Au fond de lui, il explique s’être toujours identifié à la France. Que ce soit par l’apprentissage de son histoire ou de sa langue, Esteban réaffirme, après trois générations, une partie de l’identité familiale. C’est notamment pourquoi il décide d’acquérir la nationalité. 

La prochaine génération, celle de ses enfants, âgés aujourd’hui de 20 et 22 ans. actuellement en apprentissage du français, souhaite à son tour acquérir la nationalité. française. Toutefois, la procédure étant complexe, Esteban émet des doutes quant au potentiel succès rapide de l’entreprise. L’idée est de prouver son lien ainsi que ses attaches avec la France, chose difficilement possible pour ses enfants qui n’y ont voyagé qu’une fois et dont la maîtrise de la langue est encore approximative. 

Aujourd’hui en tant que médecin, Esteban apporte son soutien à la communauté française par son expertise et ses connaissances au consulat de France, lorsque la nécessité se présente. 

Personnage charnière entre deux nationalités, Esteban représente la troisième génération de la famille Langlois ayant migré pour la première fois en Argentine à la fin du XIXème siècle. Son histoire nous permet surtout d’analyser la place de la culture française à travers le temps et  les générations, oscillant entre disparition et réappropriation. Finalement, bien que l’identité fasse partie intégrante de l’ADN de la famille, sa réaffirmation ne tient qu’à la volonté individuelle de chacun de ses membres. L’histoire de la famille Langlois en témoigne. 

 

 

Propos recueillis par Camille Debaud et Marie-Françoise Mounier-Arana

 

 

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