Aimé Bonpland, cet illustre inconnu

Comparée à ses confrères scientifiques de la même époque, la vie du botaniste et explorateur français Aimé Jacques Alexandre Goujaud dit Aimé Bonpland (La Rochelle 1773 – Paso de los Libres, Argentine 1858), possède des facettes nettement atypiques.

Malgré le fait qu’il fût reconnu par ses pairs comme un homme de sciences de premier ordre, il restera largement dans l’ombre d’autres grands explorateurs tels que Magellan, Drake, Darwin, Humboldt ou encore Bougainville pour n’en citer que quelques-uns. A cet homme, qui dédia une grande partie de sa vie à l’étude du sous-continent américain, il ne reste qu’un souvenir très lointain. Son nom n’apparaît que dans les rues de quelques villes sud-américaines (Buenos Aires, Rosario, Bahia Blanca, Montevideo, Caracas), une petite rivière en Patagonie, un sommet dans les Andes vénézuéliennes (qu’il n’a jamais explorées), un cratère de la lune ou un astéroïde quelconque (le 9587 pour être plus précis). Voilà pour le souvenir. Seules les provinces de Corrientes et de Misiones, où il vécut de nombreuses années, honorent régulièrement le parcours accidenté de cet homme. Une des réponses possibles à cette énigme réside peut-être dans la personnalité de cet infatigable voyageur qui, bien que pratiquant son art avec passion, le fit sans y rechercher une reconnaissance de sa personne. Un égo effacé, à la vie caractérisée par une grande simplicité loin des centres décisionnaires pouvant doper sa célébrité ; des recherches et des découvertes lesquelles, bien que de premier ordre, ne serviront pas à construire une renommée digne de son œuvre. Même si, malgré tout, et par de nombreuses fois, il emprunta ou croisa les chemins de la grande histoire.

« Aimé Jacques Alexandre Goujaud est né le 29 août 1773 à La Rochelle, une ville française située sur la côte atlantique en France » nous dit Aurora Arbelo de Mazzaro, professeure en biologie, licenciée de zoologie. Admiratrice de l’explorateur français, elle connaît sa vie sur le bout des doigts. Actuelle présidente de l’“Asociación Cultural Bonpland” en Argentine, Aurora est également membre d’honneur de l’Association Aimé Bonpland à Paris.
Première confusion, Aimé ne se fit pas appeler par son vrai nom : « Il provient, explique Aurora, des mots « Bon-Plant », que lui attribua son père, ou son grand-père selon les versions, en le voyant souvent s’occuper des plantes de son jardin. C’est ainsi qu’Aimé adopta définitivement ce surnom. »

A l’âge de 17 ans, il quitte sa ville natale pour aller étudier à Paris. En 1791, il fréquente les cours de botanique professés par Jean-Baptiste de Lamarck et Antoine de Jussieu au Muséum national d’histoire naturelle. Il terminera ses études après son service militaire en 1797. Il fréquente assidûment les serres du Jardin des Plantes à Paris et sa réputation naissante lui permet d’être désigné comme naturaliste afin d’accompagner le célèbre explorateur Louis Antoine de Bougainville (1729-1811), le premier Français à avoir officiellement réalisé le tour du monde (1766-1769) et qui projette alors une seconde expédition.

C’est en 1798, qu’Aimé Bonpland fait la connaissance du déjà célèbre baron prussien Alexander von Humboldt (1769-1859). Cette rencontre bouleversera sa vie. Humboldt, à cette époque, possède déjà une forte réputation dans les milieux scientifiques. Les deux hommes se lient d’amitié très rapidement. « Ils formaient une association parfaite, nous dit Aurora. Humboldt avait des connaissances en astronomie, en géologie tandis que Bonpland, médecin de formation, était passionné par la botanique ».

Le projet de Bougainville ayant été abandonné, les deux scientifiques décident alors de rejoindre l’expédition de Bonaparte en Egypte. Nous sommes en 1798.
« Pour des motifs politiques et économiques, nous explique Aurora, ce voyage ne put se faire mais fut remplacé par la fameuse expédition en Amérique du sud, laquelle se déroula entre 1799 et 1804. Elle laissera des traces ineffaçables pour la connaissance scientifique. »

Après bien des vicissitudes, ils obtinrent du roi Charles IV d’Espagne le droit de se rendre dans les colonies espagnoles d’Amérique du Sud obtenant toute liberté afin de réaliser leurs recherches scientifiques. Signe de sa discrétion, et bien que, des deux hommes, c’est lui qui réalisera le plus gros travail botanique en décrivant quantité d’espèces nouvelles, Bonpland accompagne son collègue avec le titre de secrétaire. C’est ainsi que le 5 juin 1799, Humboldt et Bonpland embarquent de La Corogne à bord du Pizarro pour rejoindre l’Amérique.

« Durant cette période, reprend Aurora, ils visitèrent de nombreuses contrées : les îles Canaries, le Venezuela (1800), Cuba et la Colombie (1801), l’Equateur (1802), le Pérou puis le Mexique (1803) et enfin les Etats-Unis en 1804, où ils furent reçus par le président Thomas Jefferson après un second passage à Cuba la même année. Ils firent des découvertes scientifiques qui révolutionnèrent les connaissances de l’époque. Pour donner un exemple, le 23 juin 1800, ils entreprirent, sans toutefois arriver à son sommet, l’ascension du Chimborazo, volcan sur le territoire vénézuélien qui culmine à 6310 mètres d’altitude, devenant à cette époque les hommes les plus hauts du monde. Ils y étudièrent la composition de la biodiversité, la distribution de la flore et de la faune selon le climat, l’altitude et la topographie. »

Toujours au Venezuela, ils remontent l’Orénoque en pirogue au cours d’un voyage de soixante-quinze jours ; voyage qui n’est d’ailleurs pas sans risque car, perdant une grande partie de leur matériel scientifique, ils évitent de peu la noyade dans les rapides du fleuve. De ce périple, ils arrivent à prouver l’existence d’un passage navigable reliant l’Amazone et l’Orénoque.
Après cinq années de voyage, les deux explorateurs quitteront le nouveau monde le 30 juin 1804 à bord de La Favorite pour accoster à Bordeaux le 3 août 1804.

« De leur voyage, nous explique Aurora, ils ramèneront plus de soixante mille échantillons correspondant à plus de six mille espèces de plantes qui sont autant de découvertes pour le monde végétal. »

En 1811, les deux chercheurs publieront leurs découvertes dans un Recueil d’observations de zoologie et d’anatomie comparée, faites dans l’Océan Atlantique, dans l’intérieur du Nouveau Continent et dans la Mer du Sud, pendant les années 1799, 1800, 1801, 1802 et 1803.
« Quatre ans après son retour en France, Bonpland devient l’intendant général des domaines de Malmaison, résidence de l’impératrice Joséphine (1763-1814), reprend Aurora ». Joséphine elle-même est une passionnée de botanique. Bonpland en profitera pour y publier un livre intitulé Description des plantes rares cultivées à Malmaison et à Navarre (1813).

Cette activité intense ne l’empêche pas de garder une étroite relation avec l’Amérique du Sud. « Il était littéralement tombé amoureux de la flore du sous-continent ». Il fréquente Simon Bolivar (1783-1830), Manuel Belgrano (1770-1820) ou encore Bernardino Rivadavia (1780-1845). C’est justement ce dernier qui, nous dit Aurora, « l’invite à créer le premier jardin botanique à Buenos Aires. Et, après la mort de Joséphine, il embarque en 1817 pour les Provinces unies du Rio de la Plata ; région en pleine période de convulsion politique. Confronté à de nombreuses résistances locales pour développer ses projets, Bonpland restera finalement peu de temps à Buenos Aires. »
En Argentine, Bonpland est accompagné de Pierre Benoît (1794(?)-1852) autre homme de sciences, naturaliste français mais aussi architecte (A Buenos Aires, il travaillera à la conception de la façade de la cathédrale métropolitaine et du célèbre cimetière de la Recoleta). Un personnage aux origines mystérieuses que l’on soupçonna d’être en réalité Louis XVII, le fils de Louis XVI, emprisonné dans la prison du Temple à Paris. Benoît, au même titre que Bonpland, s’installera définitivement en Argentine pour y mourir en 1852.

En 1820, Aimé se propose d’améliorer la culture du maté. Il se rend à Corrientes où le gouverneur de la province, Francisco Ramirez, enthousiaste, et voyant la possibilité d’un fort développement économique, décide de le soutenir financièrement. Après avoir visité de nombreuses localités, Bonpland s’installe dans la localité de Santa Ana.

Là, un événement va transformer la vie du scientifique français. Écoutons Aurora : « A Santa Ana, il rencontre Jose Gaspar Rodriguez de Francia (1766-1840) dont le rôle dans la construction de l’Etat paraguayen est capital. Les desseins de Bonpland avec le maté contrecarrent ceux de Rodriguez de Francia, si bien que celui-ci l’assigne à résidence forcée en territoire paraguayen à Santa Maria, malgré toutes les réclamations internationales demandant sa libération. Il y restera neuf ans. Cette détention, qui l’entrave dans ses mouvements, ne l’empêchera pas de continuer ses recherches de botaniques et ses activités multiples : il exercera sa fonction de médecin auprès des Guaranis, fondera un hôpital, créera un élevage de bovins, construira une menuiserie. Malgré tout nous savons très peu de choses sur cette période de sa vie. Libéré en 1829, Bonpland se rend au Brésil puis en 1831 il peut retourner à Santa Ana multipliant ses voyages d’études et les allers-retours entre ses résidences du Brésil et de l’Argentine qu’il continuera jusqu’à sa mort le 11 mai 1858 à Paso de los Libres. Il avait 85 ans. »

Autre particularité de ce personnage quelque peu atypique, on raconte que Bonpland est mort deux fois : lors de la veillée de sa dépouille, un paysan apparut soudain sur son cheval au galop ; sortit son couteau, poignarda le cadavre tout en l’insultant pour ensuite disparaître aussi vite qu’il était venu.

Quel souvenir garde-t-on d’Aimé Bonpland ?

Même si deux villes du nord de l’Argentine portent son nom, la postérité de Bonpland n’est pas à la mesure de son œuvre. N’est-ce pas Bolivar lui-même, parlant du Français et de son collègue, qui disait : « Humboldt et Bonpland furent les nouveaux découvreurs de l’Amérique. Ils décrivirent et classifièrent tant d’espèces inconnues, qu’après leur voyage, la vision que l’on avait de ce continent fut radicalement changée. » 

Replacer à sa juste valeur l’œuvre d’Aimé Bonpland en Argentine et en Amérique du Sud ; c’est tout le travail qu’accomplit actuellement Aurora Arbelo de Mazzaro.

Jérôme Guillot

 


 

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