Érudition et désinvolture

Conférence de Jean-Paul Enthoven : « Marcel Proust, los celos y el amor »

Dans le cadre de la semaine autour de Marcel Proust, Jean-Paul Enthoven a présenté, lundi 14 novembre, le volume de la prestigieuse collection intitulé : Le Dictionnaire amoureux de Marcel Proust, dans l’auditorium de l’Alliance française.

Cet ouvrage, écrit à quatre mains avec son fils Raphaël, fourmille d’anecdotes que Proustiens de cœur et Proustologues de tête apprécieront. Pour chaque entrée, les auteurs ont pris le parti de ne pas revenir sur l’aspect classique de l’œuvre mais de pointer avec facétie des bizarreries inédites, le but de cette encyclopédie fragmentaire étant d’inviter le lecteur à lire ou à relire l’œuvre du grand écrivain, A la recherche du temps perdu.

Jean-Paul Enthoven déplore que l’œuvre ne soit au programme d’aucun concours. Certes, Anatole France disait La vie est trop courte, et Proust est trop long ! Il n’en demeure pas moins que Proust est témoin des transformations sociétales de l’époque charnière entre le XIXème et XXème siècle, à la manière de Saint-Simon ou de Balzac avec La Comédie humaine. Gide avoua d’ailleurs qu’avoir refusé A la recherche resterait la plus grave erreur de la NRF ; et d’ajouter : j’ai honte d’en être beaucoup responsable, c’est l’un des regrets, des remords les plus cuisants de ma vie. Jean-Paul Enthoven raconte que le secrétaire de Proust, ancien marin, avait attaché le manuscrit avec un de ses nœuds de base, si bien que le texte lui revint sans avoir été ouvert. Gide, qui rencontrait parfois l’auteur dans les établissements masculins, ne désirait pas le croiser dans les couloirs de Gallimard ! Aujourd’hui, une trentaine des carnets de Proust sont conservés comme un trésor à la Bibliothèque nationale de Paris.

Il y a deux traditions dans la littérature française : les auteurs qui s’enferment dans leur tour d’ivoire, tels Flaubert et Mallarmé, ou ceux qui, comme Malraux, ont besoin de se nourrir de l’agitation de la vie. Proust a vécu les deux. Jusqu’en 1905, date de la mort de sa mère, il a fréquenté assidûment les salons parisiens : il a eu la sagesse un peu frivole de s’accorder du temps perdu avant de retrouver ce temps qui est un maître sans pitié. En 1908, commence l’aventure romanesque. Sa mère Jeanne Veil –un patronyme opportun pour un fils insomniaque ! – est morte depuis 3 ans et, décidant de ne pas se suicider et ainsi tuer sa mère une seconde fois, Proust s’enferme et, sous l’œil bienveillant de Céleste Alberet, commence l’écriture forcenée de A la recherche, à peine entrecoupée des allers-retours au Ritz pour boire une bière bien glacée.

Ce petit snob, petit Proust, que Paul Morand comparait à un oignon, et Cocteau, à une lampe allumée en plein jour éternellement, embaumé dans ses gilets, a finalement gagné la bataille littéraire et a écrit une œuvre que Cocteau a qualifié des Mille et une nuits (de Shéhérazade) écrites depuis la loge d’un concierge. Cet auteur asthmatique avait besoin d’allonger ses phrases pour aller jusqu’au bout de sa respiration : Proust étire indéfiniment la phrase comme un nageur qui tenterait d’atteindre l’autre rive, il a peur de mourir si la phrase se termine trop vite et que le plus important soit ailleurs.

Comme un peintre, Proust imprime sa marque à son œuvre en écrivant Petite Madeleine en majuscules (comme ses initiales P.M.). Dans A la recherche, la jalousie et le manque font naître l’amour ; c’est un amour fait de soupçons, de mensonges, et pourtant c’est le mot le plus présent dans l’œuvre. Françoise Sagan ne recommandait-elle pas d’ailleurs de lire Albertine disparue lorsqu’on souffrait d’un chagrin d’amour.

Proust s’éteindra à 51 ans comme Molière et Balzac. Il adressera son dernier mot à son frère Robert, le grand absent de A la recherche :  je t’ai donné beaucoup de chagrin et de peine mon petit Robertun dernier souffle d’air/R pour l’asthmatique qui meurt d’étouffement.

Lisons donc A la recherche avec nos yeux d’aujourd’hui, qui ne sont pas ceux des contemporains de Marcel Proust et qui ne sont pas, non plus, ceux que nous avions hier.

 

Elisabeth Devriendt

 


 

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