Que fait un stagiaire français à l’autre bout de la planète ?

Baluchon sur le dos et économies en poche, j’étais prêt à partir en escapade mais la province de Jujuy m’apparaissait comme un mirage, une construction Photoshop pour attirer le touriste…

Cette idée préconçue je l’ai rapidement jetée à la poubelle en m’aventurant de village en village. C’est en passant San Salvador de Jujuy que j’ai pris conscience de mon passage dans un autre monde, une autre Argentine.

Profitant des jours fériés et du week-end j’ai pris la décision de partir en exploration dans le nord-ouest du pays. Après l’arrivée à Salta, je saute dans un taxi et les kilomètres défilent rapidement. Dans le rétroviseur, San Salvador de Jujuy, comme un voile épouse la forme du corps montagneux. La capitale de la province au patrimoine colonial disparu est la porte d’entrée pour pénétrer dans la vallée. Etouffée dans la végétation abondante, elle est le dernier signe d’une flore luxuriante. Il faut ensuite prendre de la hauteur pour gagner la bourgade de Purmamarca, le Rio Grande à sec nous donne un indice sur la suite. À plus de 2300 mètres, ce village de 700 habitants semble écrasé par l’immensité de la colline des sept couleurs. Maisons en adobe, restaurants typiques, boutiques de souvenirs, ce village aux rues battues par les bourrasques de sable appartient à une autre époque. Des cris attirent l’attention « Salinas, salinas ! » : excursion vers le désert voisin. Las Salinas Grandes est une merveille qui se mérite. Embarqué dans un van qui gravit la muraille naturelle, il est conseillé de se munir d’une pastille gourmande à la feuille de coca pour pallier aux maux de tête induits par l’altitude. Après avoir franchi la borne des 4170 mètres, l’impatience s’insinue dans la tête de tous les passagers. En cherchant la bande blanche à l’horizon, mon regard se pose sur un lama, dressé en haut d’un talus toisant notre véhicule de fortune. Avant d’apprécier le spectacle du désert, nous dépassons un hameau insolite peuplé par des cactus et des ânes installés sur un terrain de football. Puis, la lumière perce les derniers remparts, les derniers virages. Du blanc partout, un paysage lunaire, grandiose et dont l’œil n’arrive à trouver le bout. Le désert de sel est accablé par un soleil de plomb et une albédo ravageuse éblouit le visiteur. Quelques petites baraques faites de pierre et de sel voient leur obscurité éliminée par cette lumière qui inonde la cuve. La visite terminée, tout retombe et l’intérêt de chacun peut se laisser hameçonner par le précédent paysage oublié dans l’excitation de l’aller. De retour en haut de la chaîne, j’admire ces colosses de roches endormis à l’ombre des nuages de la fin de journée.

Cette partie de l’Argentine est traversée par la Cordillère des Andes qui affiche une superficie de plus de 3 millions de km2, elle abrite de nombreux sommets parmi les plus haut du monde à l’image de l’Aconcagua. Cependant, proche de la frontière bolivienne, c’est la montagne des quatorze couleurs que l’on peut observer. À une heure et demie de Purmamarca, le petit village de Humahuaca brille par ses habitations colorées ou encore son église au clocher bien réglé. En quittant ce coin de tranquillité à l’atmosphère presque mexicaine on reprend rapidement de l’altitude, et même plus que pour savourer le désert de sel. C’est à bord d’un pick up, proposé à tous les coins de rue du village que l’on arpente une piste, étroite, caillouteuse et cahoteuse qui mène au mirador face à la montagne. Certains non-initiés se risquent à une ascension en voiture, bien souvent cette dernière rend l’âme sur le chemin, offrant des scènes d’entraide au bord du vide, plutôt cocasses. L’air manque lorsque l’on est à 4500 mètres, beaucoup restent les bras croisés face à la vue. Je ne me laisse pas couper le souffle et descends une pente raide pour parvenir à un second mirador plus proche de la montagne. Des stries triangulaires aux couleurs variant du rouge vif au gris verdâtre, un pan marqué par l’harmonie, par la régularité, si bien que l’on croirait l’œuvre d’un dieu. La nature livre ici une prouesse qui se passe de mots, une image que le badaud se promet de ne jamais oublier.

J’ai été transporté d’un univers à l’autre, depuis Buenos Aires à Purmamarca, depuis le rythme soutenu du travail vers la douceur de la vie là-bas. Cette province du pays est pleine de richesses mais reste humble, accessible et appelle le voyageur à une découverte plus approfondie tant il espère chaque jour admirer des merveilles semblables. La population, aux influences argentino-bolivienne accueille et choie l’aventurier de plats appétissants et de conversations agréables. Ainsi, il fait bon vivre quelque part … au milieu de nulle part.

Bernardon Thomas

 


 

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