« Repatriados », spectacle de ballet

De jeunes danseurs argentins, disséminés de par le monde dans de grandes compagnies de ballet ont sans aucun appui officiel ou commercial, monté un magnifique spectacle de ballet au Palais Libertad (ex-CCK), plein de fraîcheur, de vitalité et d’émotivité.

Le petit groupe de jeunes danseurs s’est retrouvé ces jours-ci en Argentine : leur lointain lieu de travail étant fermé pour les vacances d’été (hémisphère nord), tous profitent de ce répit estival pour se ressourcer au pays auprès de famille et amis. L’un d’eux, Patricio Di Stabile, avec l’aide d’un collègue ami, Lucas Erni, a, avec l’accord enthousiaste des autres danseurs, eu l’initiative de monter un spectacle de danse. Un gala fait de différents tableaux, où chacun offre au public ce qu’ils/elles dansent dans les compagnies de ballets d’où ils viennent.

Tous ces jeunes, ont quitté l’Argentine pour intégrer comme boursiers, des compagnies de ballet tant aux USA qu’en Europe et ont, certains d’entre eux intégré ces compagnies. Patricio a un parcours atypique, il est arrivé à la danse en débutant dans la troupe de comédie musicale connue de Ricky Pashkus, mais a rapidement viré vers une formation de ballet classique qu’il a suivie au Teatro Colón. De là, il a continué à se former à New York et cette année a intégré une compagnie de danse contemporaine avec un ancrage théâtral à Denver, Colorado. (USA).

Lucas, le “Santafecino”, a, quant à lui, commencé très jeune à danser dans un ballet folklorique, avant d’étudier au Colón, puis est allé, grâce à l’octroi d’une bourse, consolider sa formation dans le ballet du SODRE en Uruguay, dirigé à l’époque par Julio Bocca. Il a ensuite intégré de grandes compagnies : en soliste le San Francisco Ballet et danse actuellement comme soliste dans le Ballett am Rhein Düsseldorf.

Le dynamisme et l’entregent de Patricio secondé par un Lucas plus réfléchi et posé ont eu raison des difficultés inimaginables que représentait le projet de monter un spectacle, en moins de dix jours, sans argent, sans endroit approprié, rien qu’avec l’élan d’un petit groupe de jeunes danseurs désireux de “montrer” leur art. C’est avec leur enthousiasme et leur entrain qu’ils ont conquis la directrice artistique du Palais Libertad, Valeria De Ambrosio. Elle leur a donné la possibilité de se produire dans le centre culturel le plus important d’Amérique Latine, dans la célèbre salle la “Ballena”, une scène qui jusque-là n’avait encore jamais reçu aucun danseur ni hébergé aucun spectacle de ballet. Le programme du spectacle composé des chorégraphies que chaque danseur exécute dans sa compagnie d’origine ainsi que des droits de certaines chorégraphies célèbres dont une remarquable de John Neumeier, le tout assemblé et dirigé par un Patricio, qui aspire, il l’exprime sans ambages, à devenir chorégraphe et directeur de ballet. Lucas a de son côté trouvé quelques sponsors. L’argent obtenu a été distribué aux danseurs, “même si ça ne représente qu’un argent de poche pour eux, nous avons voulu leur offrir une rémunération pour leur art”.

Il faut signaler que ce n’est pas la première réalisation originale des deux amis : durant le confinement dû à la pandémie de covid, ils avaient rassemblé virtuellement leurs collègues pour réaliser une vidéo “Aislamiento social(1) qui avait été vue par de très nombreuses personnes et redonné l’espoir aux danseurs isolés.

Parmi ceux qui sont montés sur la scène de la Ballena se trouvait le “petit danseur” Leonel Galeppi López (2) tout juste de retour de son stage de 15 jours à l’école de danse de l’Opéra de Paris. Patricio Di Stabile, en sa qualité de chorégraphe, a voulu faire participer Léon et lui a symboliquement remis, sur scène, ses propres chaussons de danse pour montrer que les générations se succèdent mais la danse, ce véritable “trésor” est toujours là. Il l’exprime en disant “J’ai toujours senti quelque chose de très beau avec la danse…Nous tous, avons vécu le déracinement et savons la souffrance que produit le fait de partir de chez soi, très jeunes, à la poursuite d’un rêve…ce que je veux, par ce geste, c’est montrer à Léon que je suis là pour l’aider et qu’il peut compter sur moi … Même si demain il voudrait devenir joueur de football, je serais là pour l´aider à réaliser son rêve.”

En fait Patricio et Lucas, sont décidés d’aller au-delà d’une réussite passagère : ils souhaitent généreusement aider leurs collègues plus jeunes. Comme le dit Patricio, “la danse n’est pas le milieu hostile que beaucoup pensent, mon expérience m’a montré le contraire, j’ai beaucoup reçu, avec beaucoup de générosité…”. Eux aussi, comme tous leurs compagnons, se sont retrouvés seuls dans des milieux inconnus, loin de chez eux, un moment difficile que l’on surmonte plus facilement si l’on trouve “une main tendue”. Ils souhaitent développer un ancrage, une structure d’entraide, un soutien auquel ceux qui sont loin et isolés pourraient recourir pour lancer leurs carrières artistiques. Ils se sont associés pour créer sincasco.com  une sorte de compagnie de production pour danseurs. Un beau projet qui leur tient à cœur mais qu’il leur faut encore définir avec précision et mettre en forme.

Quant à leur toute prochaine étape personnelle, Patricio en attendant de se spécialiser dans la chorégraphie va intégrer la compagnie Broadway Entertainment Group qui doit produire Le Petit Prince, il devra pour se faire s’initier à… l’acrobatie ! Le spectacle monté initialement à Marseille devrait tourner dans plusieurs grandes villes du monde. Il s’agit d’une adaptation de l’œuvre originale par deux Françaises, une chorégraphe Anne Tournié et une librettiste Chris Mouron.

Lucas, lui, rejoindra sa compagnie le Ballett am Rhein Düsseldorf. Il vient de changer de continent, mais il garde un beau souvenir de la jeune compagnie San Francisco Ballet, dans laquelle il a dansé plus de 7 ans, sous la direction du français Patrick Armand.

Quant au jeune espoir, Léon, il est attendu par Elisabeth Platel, la directrice de l’école de danse de l’Opéra de Paris, pour continuer sa formation. Il doit passer un examen d’admission en mai prochain pour intégrer l’école au mois de septembre 2025.

Propos recueillis par Patricia Pellegrini et Marie-Françoise Mounier-Arana


(1)
https://www.youtube.com/watch?v=94AuRyUzTpQ

(2) Voir l’article de Trait-d’Union du 9/11/2023 « De l’école de danse de Quilmes à l’Opéra de Paris… »

 


 

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