Environnement : “Il faut, il va y avoir un changement de paradigme”

Constanza Schriefer, professeur de management environnemental en université, évoque pour le Trait-d´Union la conciliation possible entre croissance et stratégies écologiques, nécessaire pour dessiner le paradigme vert de demain. Dès aujourd´hui ?

écologieLe Trait-d’Union : Comment devient-on professeur de management environnemental ?
Constanza Schriefer : Pour ma part, une fois ma carrière de consultante lancée, j’ai décidé de suivre un programme universitaire de gestion environnementale pour acquérir des compétences techniques, chose qui me paraissait être une priorité pour me tourner vers ce domaine.

TDU : D’où est né le désir de prendre le virage qu’a pris votre carrière ?
CS : Il est né de mon intérêt pour les tendances du futur, pour ce qui nous attend. Je lisais sur le sujet, j’en entendais parler à la télévision, je me suis de plus en plus informé. Je crois fermement que les ressources s’épuisent : le sujet ne se discute pas, il est mathématique. Certains pensent que la technologie va tout résoudre, ou que c’est trop complexe, ou que d’autres le feront. Mais un jour, il n’y aura plus de pétrole.

TDU : Le management environnemental est-il une matière très enseignée en Argentine ?
CS : Pas réellement. Il y a de plus en plus d’enseignements ayant trait à la “sustainability” (Note du TDU : développement durable), mais d’un point de vue social et de la stratégie d’entreprise, moins d’un point de vue environnemental.

TDU : Qu’enseignez-vous à vos élèves ?
CS : Après une introduction sur le réchauffement climatique dans une vision globale, je me penche sur des cas d’entreprises, comme Xerox, Toyota, qui ont développé avec un succès et une efficacité indéniables une politique d’entreprise éco-responsable. L’idée est de montrer des exemples concrets de stratégies d’entreprise qui ont concilié leurs objectifs de croissance avec une politique verte. On étudie aussi de grands modèles théoriques, comme le capitalisme naturel, le “cradle to cradle” (Note du TDU : littéralement “du berceau au berceau”. Principe d’exigence écologique – bilan carbone à zéro et recyclage total – à prendre en compte à l’échelle d’un cycle de production), etc.

TDU : Que voulez-vous qu’on retienne de vos cours ?
CS : Le besoin d’innovation verte, et le fait que ces stratégies paient. Xerox en 1998 qui décide d’investir dans des équipements visant à démanteler les imprimantes en fin de vie et en produire d’autres en grande partie grâce au recyclage. Payant. Toyota, qui se remet en question et rationalise et “écologise” son mode de production. Résultat ? On mettait 18 mois pour assembler une voiture, on en met plus que 4 ou 5…

TDU : Comment intégrer ce facteur environnemental dans une stratégie d’entreprise ?
CS : En fait, c’est une question de sustainability pour la stratégie de l’entreprise. Comment faire pour boucler la boucle ? Au niveau des ressources utilisées, et donc des coûts et de l’efficacité, vaut-il mieux que chacun ait chez soi sa machine à laver, où qu’une enseigne dispose d’un système où les machines seraient au même endroit et reliées ? Pour que cela soit faisable, cela nécessite des mutations, de l’innovation, et un changement de concept.

TDU : Comment peut s’opérer ce changement de concept ?
CS : Le processus est très lent. Il faut, il va y avoir un changement de paradigme, par l’initiative, surtout individuelle et entrepreneuriale, en fait. Il faut des idées. L’idée d’exploiter le “car-sharing” (Note du TDU : le covoiturage, idée reprise et structurée par de nombreuses sociétés sur Internet), quelqu’un l´a bien trouvée… Il faut que le management, par exemple, inclue ces nouvelles données. Tout passe par l’innovation.

TDU : Si l’on considère que c’est une question de responsabilité, dans quelle mesure l’État est-il appelé à jouer un rôle ?
CS : L’éducation environnementale existe déjà pour les plus jeunes en Argentine, c’est une bonne chose. En ce qui concerne les acteurs économiques, il y a des règles, des études d’impact environnemental, un cadre législatif en vigueur, mais il faut des stratégies, pas uniquement de l’opérationnel. Le développement économique est la priorité de l’agenda politique ; l’environnement, non… Et entre les municipalités, les provinces, le gouvernement fédéral, il y a en plus des vides juridiques, des contradictions, et les intérêts particuliers qui prédominent souvent. En réalité, tout le monde est responsable, c’est un sujet éthique. Mais on a quand même besoin de personnes pour mener et incarner le changement. Les initiatives à Londres, par exemple (note du TDU : réseau de chemins pour piétons et cyclistes, passage des taxis à l’hydrogène, taxe sur le trafic à l’entrée de la ville, mise en valeur des espaces verts, etc.), c’est une bonne chose. Et même le maire roule en vélo !

TDU : Le processus est-il en marche ?
CS : C’est un sentiment, mais je constate de plus en plus d’initiatives de ce style. La ville de Philadelphie, en s’associant au projet recyclebank.com, a lancé une initiative lui permettant de réduire ses coûts de traitement des déchets, tout en payant ses habitants qui choisissent de trier sélectivement les ordures qu’ils souhaitent voir recyclées. Le tout grâce à la technologie : les camions collectant les ordures sont dotés de lecteurs optiques qui pèsent les déchets. Tout le monde gagne.

TDU : Où en est Buenos Aires ?
CS : Une étude IBM de 2010 sur la pénibilité des trajets quotidiens rapporte que Buenos Aires est la cinquième ville où l’on circule le plus mal, sur des critères comme la durée du trajet ou le temps d´immobilisation. Une autre étude dit que Buenos Aires est la quatrième ville la plus bruyante du monde. Je ne parle pas du Riachuelo, une honte nationale. On arrive à saturation au niveau des déchets, et le tri est quasiment inexistant. Quant à la loi Basura Cero (Note du TDU : en vigueur depuis 2005, censée notamment responsabiliser les citoyens sur l’usage de leurs déchets – www.basuracero.org.ar), la ville est loin de tenir ses engagements et de respecter la loi.

TDU : À l´échelle nationale, comment évolue la mise au vert ?
CS : II y a des entreprises pour stimuler le processus. L’Argentine suit, ne serait-ce qu’appartenant à un monde globalisé et accueillant des filiales de multinationales intégrant de plus en plus le facteur environnemental quand elles se posent la question de rendre durable leur activité. Et l’information circule, les initiatives arrivent : http://sustentator.com, par exemple, se propose de participer à la prise de conscience environnementale, et s’accompagne d’un magasin de produits “eco-friendly”. Le problème est souvent que ce genre de produit coûte plus cher, et c’est là un des objectifs que doit se donner l’innovation : fabriquer ce type de produits au même coût de production qu’un produit classique.

Propos recueillis par Pierre Guyot

Pour aller plus loin : voir la vidéo de l´intervention How big brands can help save biodiversity (comment les grandes marques peuvent aider à sauver la biodiversité), de Jason Clay, vice-président de la WWF, lors d’une conférence TED, ces “marchés d´idées” ayant lieu depuis une vingtaine d´année en Californie mais aussi en France, durant lesquels les intervenants ont quinze minutes pour exprimer librement leur(s) idée(s) : http://minu.me/4n1r

Partager sur