«La France veut aider l’Argentine à revenir sur la scène mondiale»

14Francis Lott est arrivé fin juin à Buenos Aires. Aimable, ouvert, direct et communicatif, il a très cordialement reçu Le Trait d’Union, dans le salon de la Chancellerie, pour un entretien dont nous publions ci-dessous l’essentiel…

TdU : Vous nous avez signalé quelques oublis dans le résumé de carrière que nous avons présenté à nos lecteurs lors de votre arrivée (cf. Trait-d’Union nº 65 du mois de juillet)…

Ambassadeur : En effet. Entre 1969 et 1971 –ce n’est pas tout jeune !- j’ai été l’homme qui votait au nom de la France le budget des Nations Unies à New York, à l’Assemblée Générale. Et puis, entre 1982 et 1985, j’ai participé activement à la privatisation du Groupe Havas en tant que bras droit d’André Rousselet, Président du Groupe. Par ailleurs, vers la fin des années 70, j’ai été chargé de négocier avec le gouvernement argentin le maintien de la France dans l’édifice où nous nous trouvons actuellement. A l’époque, en effet, pour terminer le tracé de l’avenue 9 de Julio jusqu’à l’avenue Libertador, il était question de démolir le bâtiment de l’Ambassade et deux petits hôtels, tous trois heureusement épargnés par les bulldozers. Lorsque j’ai montré au Vice-ministre argentin les photos que j’avais prises des immeubles de substitution que le Gouvernement argentin nous proposait pour l’hébergement de notre Chancellerie –en lui précisant que ces images seraient présentées à Paris– il s’est écrié : « Non, surtout pas, ne montrez pas ça ». Et l’affaire était réglée. Je suis content d’avoir ainsi pu préserver l’immeuble de Cerrito dont l’architecture est en totale harmonie avec l’image de notre pays. Et pour en finir avec ce qui manquait dans votre article : je suis Officier de la Légion d’honneur.

TdU : Le Gouvernement français souhaite réduire les dépenses de l’Etat pour réduire notre déficit budgétaire tant critiqué par la Commission européenne. Vous a-t-on demandé à Paris de réduire les dépenses de la France en Argentine ?

A : Notre Gouvernement nous a en effet demandé de réaliser des économies. Nous avons soumis à Paris un projet de regroupement géographique et de restructuration des différents services de l’Ambassade –Consulat inclus– avec un seul service administratif commun, une seule comptabilité, un seul service juridique…, dans la tour de l’avenue Libertador où se trouve actuellement le Service commercial. Nous examinons aussi la possibilité de vendre des immeubles dont la France est propriétaire dans le pays mais, rassurez-vous, nous ne vendrons ni le bâtiment de la Chancellerie, ni la résidence de Martinez.

TDU : Pouvez-vous nous expliquer ce que sont les grandes lignes de votre mission en Argentine ?

A : Ma mission consiste avant tout à maintenir la présence de la France dans le pays, mais aussi d’aider l’Argentine à reprendre sa place dans le concert international. Mise à l’écart par la crise institutionnelle et économique qu’elle vient de traverser, elle doit revenir sur la scène mondiale où elle a un rôle important à jouer au sein des pays de l’Amérique latine. La France préconise en effet un monde multipolaire basé sur plusieurs grands pôles d’équilibre, tels que l’Europe, l’Amérique du Nord, l’Asie et l’Amérique du Sud, dans laquelle l’Argentine se doit d’être très active. Le président Kirchner a été reçu très cordialement à Paris et, dans la foulée, le Ministre Francis Mer est venu à Buenos Aires. La France a recommandé à l’Argentine de négocier au plus vite et au mieux avec le FMI, ce qui est chose faite. Elle a également recommandé que le pays élabore rapidement un schéma de règlement de ses dettes publique et privée, ce qui est en cours. Nos messages ont été entendus. La présence du président Kirchner aux Nations Unies et le langage éloquent, dynamique et libre qu’il y a tenu vont dans le bon sens. La situation s’améliore. Il est indispensable, maintenant, que la confiance revienne.
Les entreprises le disent sans équivoque : il ne peut y avoir d’investissement si les règles de jeu ne sont pas claires et connues à l’avance.

TdU : Et au niveau des provinces ?

A : Nous y sommes aussi très écoutés. J’ai l’impression qu’il y a une attente de la France qui ne se limite pas à des appuis d’ordre économique : il y a une volonté de dialogue et une ddemande demaande pour une aide à la réflexion. A Jujuy, où j’étais le seul ambassadeur présent aux cérémonies d’intronisation de la Quebrada de Humahuaca comme Patrimoine de l’humanité, on a sollicité notre savoir-faire pour la préparation et le développement du tourisme dans la région. A Misiones, où j’ai été invité par le Gouverneur et où a été signé un protocole de coopération dans le domaine touristique, j’ai également ressenti une très grande attente de la part de mes interlocuteurs.

TdU : Projetez-vous de travailler plus spécialement sur une région particulière ?

A : Je continuerai l’excellent travail réalisé par Paul Dijoud, mon prédécesseur, sans toutefois me polariser sur aucune zone en particulier. Au contraire, je pense que nous devons être présents partout où l’on a besoin de nous.

TdU : Où en sont les entreprises françaises et que pensez-vous du départ de France de Telecom ?

A : La sortie de France Telecom du capital de Telecom Argentina répond à un jeu tout à fait normal de stratégie d’entreprise. France Telecom a décidé, au niveau de son siège en France, de concentrer ses activités internationales sur l’Europe. Il est donc normal que, en Argentine comme au Salvador, elle ait saisi l’offre de reprise de son actionnariat qui lui a permis de se désengager. J’attache beaucoup d’importance au dossier de Aguas Argentinas. Ma première activité officielle, le jour même de mon arrivée en Argentine, a été une visite a cette entreprise qui fêtait ses 10 années de présence dans le pays. Je suis régulièrement en rapport avec le Ministre argentin de la planification, Monsieur de Vido ainsi qu’avec Monsieur Lemire, le Directeur général d’Aguas. Cette entreprise, comme Edenor et d’autres, est sans aucun doute actuellement dans une situation difficile, prise en étau entre des tarifs inchangés en pesos dévalués, auxquels viennent s’ajouter les réclamations des autorités argentines quant à l’exécution des termes du contrat et ses obligations de remboursements d’emprunts contractés en dollars. Toutes les entreprises françaises en Argentine, grandes et petites, savent que nous sommes à leur disposition.

TdU : Y a-t-il à l’horizon l’espoir d’autres investissements français ?

A : Oui. Total, par exemple, attend impatiemment pour investir dans l’exploitation de nouvelles ressources. Les recherches ont été faites, les gisements identifiés, tout est prêt. Mais elle ne se décidera pas tant que les conditions économiques et financières ne seront pas claires et bien définies. Dans le domaine du gaz on court vers une situation grotesque : dans peu de temps l’Argentine va manquer de gaz, mais les entreprises restent dans l’expectative et ne se décident pas à investir. Le président Kirchner le sait.

TdU : Y-a-t-il d’autres investissements en vue?

A : Oui, mais il est encore trop tôt pour en parler.

TdU : Le problème Alfredo Astiz revient ces jours-ci sur « le devant de la scène »

A : En effet, nous sommes convaincus d’être dans le bon droit en demandant son extradition,. Il a été condamné en France par contumace. Nous ne relâcherons pas la pression. Notre position est claire : « les demandes d’extraditions doivent être concédées » et les Argentins le savent. Notre devoir est d’être à côté des familles des disparus et de manifester sans équivoque l’importance que la France attache à cette question.

TdU : Avez-vous déjà des projets dans le domaine de la coopération culturelle et technique avec l’Argentine ?

A : Je ne pourrai répondre à cette question que dans quelque temps. En effet, le Conseiller de coopération culturelle et technique vient de changer et mon nouveau collaborateur, Alain Fohr, n’est ici que depuis le 1er septembre. C’est ensemble que nous devons tracer le profil de ce que sera notre politique de coopération pour les années 2004-2007. Dans le domaine culturel, je peux toutefois vous annoncer, pour l’année prochaine, deux événements phares définis lors de la visite à Buenos Aires d’Olivier Poivre d’Arvor, directeur de l’Association Française d’Action Artistique (AFAA). D’abord un événement musical majeur : l’ensemble des « Arts Florissants » et ses 90 musiciens, dirigés par son fondateur Willie Christie, se produira au Colón. Ensuite, un grand festival de théâtre sera organisé au Teatro San Martín au Colón et dans beaucoup d’autres théâtres de Buenos Aires, avec des pièces françaises traduites en espagnol, sous la direction et avec la participation de metteurs en scène et de comédiens venus de toute l’Amérique latine.

TdU : On vous dit passionné de rugby…

A : J’aime en effet le rugby depuis mes années de lycée à Louis le Grand où mon « prof de gym » n’était autre que Gérard Dufau, capitaine de l’équipe française de Rugby de l’époque. J’ai pratiqué le rugby et je connais bien le monde de ce sport. Et je suis admiratif des performances des Pumas argentins.

Francis Lott est marié et père de 6 enfants. Son épouse, Louise, vient d’arriver à Buenos Aires, avec une de leurs filles.

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