Immigration française en Argentine

Un nouveau récit : cette fois c’est la descendante d’immigrés français en Argentine, elle-même, qui prend la plume pour conter l’arrivée et la vie de ses arrière-grands-parents et grands-parents sous nos latitudes.

Vilma Bertoni, car c’est d’elle qu’il s’agit, est enseignante de vocation ; elle a tout à tour appris le français à des générations de jeunes dans des Alliances Françaises, au Collège Français de Buenos Aires -le collège Crespin- et pendant plus de trente ans au lycée Franco-Argentin « Jean Mermoz », où elle a été aimée par ses élèves et très appréciée par ses collègues. En 2006, au terme de sa carrière, Vilma s’est vue, avec surprise et une immense fierté, décerner la prestigieuse décoration des palmes académiques.

De l’Aude au Chaco

Nous sommes en 1888 à Thézan des Corbières, un petit village de l’Aude niché dans le massif des Corbières. Depuis cinq ans, la crise du phylloxéra fait rage. Les vignes de Julien et Eulalie Malet n’échappent pas au parasite les laissant sans ressources. Ayant appris que l’Etat argentin avait proposé d’assigner des terres fertiles à ceux et celles qui accepteraient d’aider à peupler les zones du pays quasiment inhabitées, Eulalie encourage son mari à partir à la recherche d’un avenir prometteur. C’est ainsi que le couple, accompagné d’autres Audois dont parmi eux un maître d’école et un boulanger, décide de quitter la France. Ils embarquent sur le Córdoba à Bordeaux en mai avec trois de leurs quatre enfants –Denis, Jean et Justin– laissant Marie, un bébé de deux mois, à la charge d’une sœur d’Eulalie qui ne peut pas avoir d’enfants.

Le Córdoba, le bateau sur lequel la famille Malet traversa
l’Atlantique pour l’Argentine

Le contingent français arrive à Buenos Aires en juin. Mais, comme le gouvernement du président argentin Miguel Juárez Celman (1844-1909) ne se soucie guère du devenir de ces immigrants, nos Français décident, dès le mois de novembre 1888, de se rendre dans le Chaco, une des régions les plus inhospitalières du pays situé au nord de l’Argentine.

Bien que surnommée la cuna del escudo chaqueño (Le berceau du blason du Chaco), le village où la famille Malet s’installe en janvier 1889, Colonia General Vedia, n’est qu’une minuscule bourgade, protégée par une garnison militaire, isolée de tout, à 86 km de Resistencia, la capitale de la province. Il faut bien imaginer qu’à cette époque cette distance requerrait des heures de voyages sur des chemins de terre à peine carrossables. Là, nos Audois n’y trouvent que faim, chaleur (40º C à l’ombre), une nature hostile peuplée de moustiques et d’animaux inconnus. Les guaicurues, habitants originaires de ces régions et que les Blancs nomment Indiens, sont les seuls à leur offrir de l’aide pour supporter tant de difficultés. La première maison des Malet est une tente édifiée par Julien et ses fils avec les draps qu’Eulalie avait brodés pour son trousseau…  Malgré tout, on s’installe, on travaille, on vit. En longeant les rives du Bermejo, le fleuve qui sépare les provinces du Chaco et de Formosa, les Malet se rendent chaque mois à Puerto Bermejo pour faire leurs provisions —pain, huile, sucre, de la farine— et retrouver un semblant de contact avec le monde qu’ils ont quitté. Eulalie accouchera d’un garçon, Julien, puis d’une fille, Eugénie, ma merveilleuse grand-mère. C’est dans la forêt chaqueña que les petits Julien et Eugénie apprendront à lire et à écrire en Français, avec le maître d’école qui avait aussi émigré en 1888. Denis avait eu l’ingénieuse idée de confectionner un dictionnaire où il annotait des mots en français à côté desquels se trouvaient leur traduction en espagnol et dans la langue parlée par les autochtones de la région. Ce dictionnaire a malheureusement été perdu.

Mais les malheurs ne les épargnent pas. Denis supportait mal le climat de la région. Il fut décidé de le faire revenir en France afin de soigner sa santé fragile. Lors du voyage, Denis mourut tragiquement : chutant de la charrette sur laquelle il se trouvait, il se fit écraser par une des roues du véhicule. Peu de temps après, Julien, le mari d’Eulalie, mourut en raison d’une maladie et des blessures de guerre, séquelles du conflit de 1870 contre les Prussiens.

De gauche à droite debout, Jean, Justin et Eugénie.
Assis : Eulalie Julien (le fils) et Julien (le père)

Eulalie survivra à ces malheurs sans jamais se plaindre.

Mon arrière-grand-mère entreprit un voyage vers la France avec sa fille âgée alors de dix-huit ans. Eulalie voulait retrouver Marie, le bébé qu’elle avait confié à sa sœur. C’est ainsi que les deux sœurs firent connaissance et, pendant des années, elles s’écrivirent de longues lettres, échangeant des photos de leurs petits-enfants : français d’un côté, argentins de l’autre…

Que devinrent les Malet durant le XXème siècle ?

L’aîné de la fratrie, Jean resta à General Vedia où il épousa une belle paraguayenne qui lui donna quatorze enfants : sept garçons et sept filles. Il réussit à monter une petite ferme sur les quelques hectares de terre que le gouvernement argentin lui avait prêtés. Là, Il cultiva du coton, de la canne à sucre, ainsi que des légumes et des fruits pour nourrir sa nombreuse famille. Ce n’est que vers les années soixante que les droits de propriété promis par le gouvernement argentin aux immigrants furent remis à ses descendants.

Ses frères, Justin et Julien, parvinrent à acheter et à exploiter quelques petits champs à Quitilipi, un village situé à l’intérieur du Chaco.

Eulalie et Eugénie s’installèrent à Resistencia pour ouvrir un lavoir. Malgré les difficultés, les Malet finirent par s’adapter et aimer ce pays si inhospitalier sans toutefois oublier leur patrie d’origine. C’est sans doute pour cette raison que Julien, bien que né au Chaco, partit en 1914 pour la France afin de combattre les Allemands. Il participera notamment à la fameuse campagne des Dardanelles (1915-1916). Etrangement, Julien n’obtint jamais de la part de l’Etat Français la pension de guerre concédée aux anciens combattants.

Mais ces liens étroits avec la France pouvaient aussi disparaître pour des raisons surprenantes.

C’est ainsi qu’un jour, Aline Astengo, une française proche semble-t-il de la famille Mitre, et qui s’occupait beaucoup de ces Français émigrants lorsqu’ils arrivaient à Buenos Aires, fit un commentaire désagréable sur l’origine paraguayenne de la femme de Jean. Ce dernier, offusqué, décida alors de ne plus parler en français jusqu’à la fin de ses jours. Et il tint parole à ma grande déception car, lorsque je le voyais lors de ses rares visites dans la famille à Resistencia, avec lui, on ne parlait jamais en français.

Lorsque ma grand-mère Eugénie fondit sa famille, Eulalie alla vivre auprès de ses fils à Quitilipi où elle mourut en 1937, laissant à ses descendants l’exemple d’une femme exceptionnelle : courageuse, généreuse, gentille, affectueuse, fidèle à son terroir et à son patois mais aussi reconnaissante à ce Chaco qu’elle avait su apprivoiser.


Mon unique fille s’appelle María Eulalia…

Vilma Borrás Malet de Bertoni

 

L’Aude région vinicole

La viticulture, première économie de la région, est très ancienne : ce seraient les marchands grecs qui auraient implanté le vignoble dans ces terres méditerranéennes au pied des Pyrénées. Ce n’est toutefois qu’au XIXème siècle que le vin, devenant un produit de consommation courante, se développe dans l’Aude et s‘étend au reste du Languedoc et du Roussillon. Le phylloxéra fait son apparition en 1870 réduisant le vignoble implanté de plus de moitié conduisant de très nombreux vignerons à la ruine. Le vin de table, produit dans la région est de qualité médiocre jusqu’au milieu du XXème siècle. C’est à cette époque qu’un courant se généralise parmi les vignerons et les négociants les poussant à délaisser les grands volumes pour s’orienter vers des produits de qualité. Parmi les vins connus de la région, le Corbieres, a escaladé les degrés sur l’échelle des vins de qualité et est passé de vin ordinaire à vin de qualité supérieure pour s’aligner aujourd’hui parmi les exclusifs -AOC- (appellation d’origine contrôlée).

L’Aude « pays Cathare »

La colombe, emblème des Cathares

Au XIIIe siècle le nom Albigeois * désignait ceux qui refusaient de reconnaître l’autorité du pape. Face à l’échec de la prédication, l’Église choisit la répression, les Albigeois furent déclarés « hérétiques ». Vaincus par Simon de Montfort, plus de deux cents « Bon homme » ou « Bonne Femme », comme on les nommait, furent brûlés vif, le 16 mars 1244.
Au XIXe siècle naquit la légende des Cathares d’où le nom de “Aude, Pays Cathare”. Cathares d’après le mot grec “Katharos” signifie « pur ».

Le 23 septembre 2016, la communauté catholique de l’Ariège entame une démarche de pardon pour le massacre des cathares survenu au XIIIe siècle, au château de Montségur, dans le cadre du jubilé de l’année de la miséricorde lancé par le pape François. 

*Habitants de la ville d’Albi, où aurait commencé cette insubordination qui s’étendit à toute la région.

 

 

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