Lecteurs et plumitifs : “Le Nouveau Magasin d’écriture”

“En vérité, le rire a beau être le propre de l’homme, il n’y a de durable humour que noir”

Et quand on lui demande ce qui justifie ce pessimisme derrière le rire, il évoque bien sûr la disparition et la mort certaine pour tous, et pour toutes choses. Et pour nous consoler il ajoute que dans ce grand flot qui nous emporte de la naissance à la mort, ce maelström vital qui s’enfle, gonfle, se courbe, s’incline et retombe comme une grande vague qui viendrait au final se fracasser brutalement au pied des falaises, ou s’éteindre doucement sur le sable lisse d’une plage, ce que chaque homme crée, par les moyens qui lui sont particuliers, est comme l’écume qui vient perler au sommet de la vague, cet ornement éphémère, cette parure dérisoire , cette signature unique condamnée à disparaître avec ce qui la porte, mais qui n’en aura pas moins été et qui pourra rejoindre la cohorte des émotions qui enrichissent notre humanité commune.

Cet homme rare qui dit de si jolies choses pour défendre le droit de chacun à la création, c’est Hubert Haddad, un pionnier des ateliers d’écriture en France, toujours actif dans ce domaine, et plus particulièrement dans l’univers des prisons, auteur prolifique de poésie, de romans, d’essais et de théâtre.

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Hubert Haddad

 

Dans son dernier ouvrage Le Nouveau Magasin d’écriture superbement édité par Zulma, Hubert Haddad nous donne des clefs pour écrire, pour décrypter les arcanes du discours, ses figures, ses formes. Partageant avec générosité sa culture véritablement encyclopédique de l’écrit, et ses points de vue, il nous révèle ses emballements et ses préférences, et nous entraîne à la pratique du haïku, du détournement, de la mise en abyme, et du cadavre exquis qui enchanta les surréalistes.

On se balade sans itinéraire précis dans ce gros pavé de 938 pages, pour y piocher une idée d’écriture, travailler à se sortir d’une panne sèche d’inspiration, ou pour le plaisir de croiser au gré des pages Arthur Rimbaud et sa poésie colorée, Julien Gracq et ses personnages oniriques, Henri Bergson qui parlait trop sérieusement du rire.

Le succès en librairie de ce livre atypique s’explique par la vogue de l’écriture : deux millions de français se croient des écrivains en puissance, submergent les éditeurs de manuscrits dont 80% n’ont aucune valeur littéraire. Cette frénésie parfois un peu névrotique de la découverte, de la publication et de la glorification, fait aussi, et plus modestement, le bonheur des ateliers d’écriture. Nés aux Etats-Unis vers 1935, les ateliers de creative writing croient à l’idée que l’écriture s’apprend, au rebours de la représentation très française et romantique du génie et de la vocation littéraire.

On peut débattre de l’une ou l’autre position, on peut se moquer de cette production d’écrits souvent maladroits et parfois prétentieux, on peut suspecter derrière le foisonnement des premiers romans publiés (plus 40% en deux ans) des préoccupations de starisation plus que littéraires. Il reste que la pratique de l’écriture, en atelier ou en solitaire, est pour beaucoup un plaisir immense, l’apprivoisement de l’ivresse de la page blanche, et du pouvoir des mots. Une autre face, un complément, au plaisir de la lecture.

Hubert Haddad est un écrivain prolifique ; on peut citer son premier roman Un rêve de glace que vient de rééditer Albin Michel, et un essai Julien Gracq, la forme d’une vie réédité chez Zulma en 2004.

Silvia Cauquil

A signaler dans la même veine : Tous les mots sont adultes, de François Bon, chez Fayard.

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