Fukushima relance le débat nucléaire français

centralenucleairedubugeyLa France est le deuxième parc nucléaire au monde, avec 58 réacteurs qui produisent les trois quarts de son électricité, mais l’accident japonais de Fukushima redonne du crédit aux thèses de sortie du nucléaire. Une chimère ?

La France regarde Fukushima avec attention, et attend le retour d’expérience. Cela avait déjà été le cas avec Three Miles Island (Etats-Unis) en 1979, seul accident de centrale, avec Fukushima et Tchernobyl, de niveau supérieur à 4 sur l’échelle INES mise en place en 1991 par l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA). L’accident avait alors permis d’acquérir de nouvelles pratiques en ce qui concerne la gestion post-accidentelle et les réexamens constants de la sûreté des installations. C’est une des conclusions d’un dossier publié par l’IRSN (http://minu.me/4454), l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire, établissement public d’expertise et d’information au public travaillant en collaboration avec l’ASN, l´Autorité de Sûreté Nucléaire, autorité administrative de contrôle de l’industrie nucléaire.

Indépendance énergétique et dépendance au nucléaire

C’est que la France s’est dotée, en dernière date avec la loi dite TSN de 2006, d’un important arsenal de contrôle et d’information du public. 60 ans auparavant, le général de Gaulle créait, moins de trois mois après Hiroshima, le Commissariat à l’Énergie Atomique, le CEA, actuel actionnaire majeur d’Areva, fleuron français de la technologie nucléaire. L’attribution de la recherche nucléaire militaire et civile à un même organisme est à l’origine de l’aura de secret défense qui entourera dès lors la filière civile. Et lorsque le Premier ministre Pierre Messmer donne en 1973 son accord pour la construction de treize centrales, il le fait sans passer par un vote parlementaire ; en catimini, diront les antinucléaires.

C’est au nom de l’indépendance énergétique que s’est prise la décision d'”entrer” dans le nucléaire, alors que le premier choc pétrolier posait la question de la double soumission au cours du baril et à l’importation de ressources qui iraient s’amenuisant. Entre 1980 et 2009, la part de notre consommation énergétique provenant de l’électricité primaire (énergies non fossiles) a été multipliée par quatre, laissant au gaz, charbon, et pétrole la moitié seulement de notre approvisionnement. L’électricité issue du nucléaire est produite en France, tandis que nous importons plus de 90% de nos combustibles énergétiques fossiles. En 2009 comme depuis 1990, notre production d’électricité stricto sensu est aux trois quarts issue du nucléaire, cas unique au monde. Le reste se partage équitablement entre l’hydraulique, l’éolien et le photovoltaïque d’une part, et les énergies renouvelables thermiques (bois et déchets, biomasse) d’autre part, les énergies fossiles étant réduites à la portion congrue.

Sortir du nucléaire ?

Poser la question de la sortie du nucléaire s’inscrit donc dans un cadre particulier, la France s’étant rendue dépendante de sa filière nucléaire, et EDF étant le premier électricien nucléaire mondial. La décision allemande d’un moratoire sur le prolongement de vie des réacteurs n’est que peu réalisable en France, où la grande audience des antinucléaires se fait surtout au moment des accidents. Selon l’Eurobaromètre, l’opinion publique française souhaitait ainsi “bannir le nucléaireà 55% en 1986, juste après Tchernobyl, mais plus qu’à 34% à peine 5 ans plus tard.

Un référendum est demandé par de nombreuses personnalités, arguant que le peuple français n’a jamais manifesté son désir de vivre à moins de 300 km d’une centrale. Deux limites poignent : d’une part, c’est le Parlement qui a fixé en 2005 les orientations de la politique énergétique française, qui soutient l’industrie nucléaire et même la mise au point et l’implémentation de réacteurs de troisième génération (EPR, mais aussi ATMEA). Par ailleurs, la sortie du nucléaire pose la question de ses alternatives : il y a consensus pour éviter un retour aux énergies fossiles, et les énergies renouvelables ne pourraient qu’à un horizon de plusieurs décennies supplanter une industrie pour laquelle le savoir-faire français est unanimement reconnu comme de haut niveau technologique.

Rassurer … et débattre

Reste à savoir, à l’heure où Areva entre en Bourse et augmente son capital, où se situe le cap, et les prochains mois vont être déterminants : le basculement à moyen terme vers les énergies renouvelables, s’il signifie une volte-face spectaculaire, n’est pas irréalisable. La bataille de la communication s’engage. Anne Lauvergeon, ferme présidente du directoire d’Areva, répète à l’envi son credo “transparence, sûreté, sécurité“. Le président de l’ASN, s’il ne nie pas le risque zéro, connaît sa mission : “essayer de réduire la probabilité qu'[un accident] arrive, ainsi que les conséquences, si cela arrive“. Dans le contexte post-Fukushima, François Fillon a annoncé un audit général des centrales françaises tandis que l’UE a prévu des “stress-tests” qui s’ajouteront aux contrôles habituels. L’orientation de nos choix énergétiques dépendra de la capacité des “nucléaristes” à entrer de manière approfondie dans plusieurs débats. Celui, le plus vif, de l’enfouissement des déchets à très long terme, alors qu’un projet de directive européenne contraignante, jugé insuffisant par les écologistes, a été mis sur la table en décembre dernier. Mais, également, celui du financement et de la faisabilité des démantèlements de réacteurs en fin de vie, question notamment posée par les difficultés de l’arrêt du site nucléaire de Brennilis, initié en 1985. Pour le moment, les antinucléaires s’arrachent les cheveux sur les risques inutiles qui ont engagé la France sur une voie dont on peut difficilement se dérober. Ils rappellent aussi que les inondations de 2000 avaient mis en lumière une imperfection de la conception de la centrale du Blayais ou que la vieillissante Fessenheim est menacée par un risque sismique sous-évalué…

Pierre Guyot

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