Marcel Proust : Un roman parisien

Visiter le musée Carnavalet, le musée de la ville de Paris, est toujours un bonheur . Cette ancienne demeure de Madame de Sévigné, la grande épistolière du siècle de Louis XIV, ne peut, par la richesse de ses collections, que passionner les amoureux de la capitale.

A l’occasion des 150 ans de la naissance de Marcel Proust, le musée a décidé de consacrer une exposition à l’écrivain, qui, né à Paris en 1871, y a passé le plus clair de son temps, jusqu’à sa mort en 1922. Il y déménagea sept fois, toujours entre le bois de Boulogne et la place de l’Etoile, toujours dans les 16ème et 8ème arrondissements, les quartiers à la mode de l’époque, ceux de l’aristocratie et de la grande bourgeoisie, ceux des salons littéraires et artistiques où il fut introduit par ses amis de collège, et plus tard, par le personnage ambigu qu’était Robert de Montesquiou, modèle  du baron de Charlus dans son œuvre.

L’exposition riche de près de 300 documents, de portraits, de tableaux, de photos, de dessins, d’affiches publicitaires, d’extraits d’interviews, de films inspirés par son œuvre, d’objets usuels, de mobilier et d’accessoires de mode de cette époque, nous plonge dans ce Paris qui va du début du second Empire aux prémices de l’Art déco, célèbre par ses grandes dames, ses courtisanes, ses dandys, sa vie mondaine et culturelle dont le rayonnement était universel. On y retrouve aussi bien la comtesse Greffulhe, modèle de la duchesse de Guermantes, qu’Anatole France, les frères Daudet, et plus tard Colette et Jean Cocteau, qui, malgré de fréquentes brouilles avec l’auteur, lui fait connaître l’avant-garde du 20ème siècle, les Ballets russes et Picasso. Proust admirait le peintre tout en avouant ne pas le comprendre. Par contre, il aimait les ballets, les spectacles, les opérettes, le music-hall et fréquentait les cafés célèbres et les restaurants à la mode comme le Weber et le Ritz ; il y rencontrait des comédiennes adulées comme Réjane et Sarah Bernhardt ou Yvette Guilbert la muse de Montmartre. Il écrit ponctuellement pour le Figaro des chroniques sur les soirées élégantes auxquelles il assiste et organise,  dans le luxueux appartement de ses parents, au 45 rue de Courcelles, des dîners où se mêlent artistes et aristocrates. C’est avec acuité qu’il exerce son sens de l’observation au contact du monde où il est reçu, monde qui nourrira  l’essentiel de «A La recherche du temps perdu ».

Le sommet de l’exposition et sa partie la plus émouvante, en est bien sûr la reconstitution de la chambre des dernières années de l’écrivain au 44 rue de l’Amiral Hamelin, toujours dans le 16ème arrondissement de la capitale. A partir de 1908, peu à peu, Marcel Proust, de plus en plus sujet à des crises d’asthme, ne quitte plus de la journée sa chambre capitonnée de liège qui l’isole des bruits extérieurs et lui permet de travailler à ses romans. On y voit son lit, sa chaise longue, sa pelisse et sa canne. Dans une vitrine voisinent son encrier, son plumier, son carnet de notes et sa montre, dans une autre ses manuscrits maintes fois remaniés avec l’aide de sa gouvernante dévouée, Céleste Albaret, qui vécut jusqu’à 92 ans et voua un culte à l’écrivain. On la voit dans une vidéo où elle raconte qu’un matin de 1922, au réveil, Proust lui déclara : «  c’est une grande nouvelle, cette nuit, j’ai mis le mot « fin », maintenant je peux mourir ». Il mourut en effet très peu de temps après, heureux d’avoir terminé son œuvre maîtresse .

L’exposition se termine avec  l’évocation de la guerre de 14-18 qui apparaît dans le dernier volume de la Recherche où il décrit un peuple d’embusqués resté à l’écart du conflit, lui qui avait fait son service militaire mais était réformé à cause de sa santé chancelante, n’a jamais voulu quitter Paris bombardée.

Est suggérée aussi, en tout dernier lieu, l’ambition de Proust de traiter de l’homosexualité, Proust qualifiant lui-même ses œuvres « d’impudiques ». Le personnage du baron de Charlus et celui d’Albertine offrent à l’écrivain l’occasion d’explorer ce thème auquel il donne une dimension dramatique. Il souligne le double interdit qui frappe l’homosexualité dans la société parisienne de son temps, double interdit  de classe sociale et d’orientation sexuelle.

Mêlant les époques, brouillant les lieux, superposant au plan de la ville en mutation, une topographie réelle ou imaginaire, Paris dans l’œuvre de Marcel Proust, constitue un véritable épicentre géographique, culturel et mental, un lieu par excellence que l’on retrouve dans chacun de ses romans et qui justifie tout à fait le titre de l’exposition : Marcel Proust , un Roman parisien.

Gilberte Coirre Morell

Depuis Paris

Musée Carnavalet, jusqu’au 10 avril

 

Partager sur