« Comme neige au soleil – le festival mondial du théâtre » Nancy 1963 – 1983

Ce livre, rédigé par Lew Bogdan et Pétra Wauters est sorti ces jours-ci en France. Nous nous réjouissons de présenter l’ouvrage, à plus d’un titre. Nous connaissons bien l’un des deux auteurs.

Pétra Wauters a travaillé avec nous pendant près de trois ans, à peu près autant de temps que la durée de son séjour en Argentine. Elle a poursuivi quelques années sa collaboration à notre journal depuis la France. Nous comptons souvent dans notre équipe des personnes qui, au cours de leur séjour dans le pays, viennent pour un temps prêter leur concours ; nous n’avions toutefois jusqu’à présent jamais eu de collaboratrice aussi dévouée et constante qu’elle. Elle s’intéresse à une infinité de sujets auxquels elle donne vie par son écriture d’une façon intelligente, vivante, et spontanée.

Homme de théâtre accompli Lew Bodgan  dirigea des structures et festivals emblématiques en France et en Allemagne. Il est très actif dans le domaine de l’enseignement de l’art de l’acteur et se consacre à divers projets internationaux de théâtre.

L’équipe du Trait d’Union a rencontré Pétra Wauters. Elle nous parle du Festival de Nancy créé par Jack Lang en 63,  du livre co-écrit avec Lew Bogdan et fait le lien avec l’Argentine.

TdU – « Comme neige au soleil, le festival mondial du théâtre de Nancy ». D’où vient « la neige au soleil » dans le titre du livre ?

P.W. – Stanislavski disait : « Le théâtre est comme la neige qui fond au soleil, ne laisse pratiquement aucune trace visible et pourtant imprègne le sol qu’elle féconde pour le renouveau ». C’est une jolie définition qui apporte un peu de poésie au titre ; il faut préciser encore que Lew Bogdan est spécialiste du parcours et de l’œuvre de Constantin Stanislavski. Il a mis en lumière l’influence de ce professeur d’art dramatique russe qui a bouleversé la vie théâtrale en Europe et aux Etats-Unis dans un livre publié en 1999, « Stanislavski – roman théâtral –  le roman théâtral du siècle »

TdU – Qu’est ce qui t’a motivée dans ce projet de livre sur le Festival ?

P.W. – Déjà, le moteur, c’est Lew Bogdan. Directeur du Festival entre 1972 et 1980.  Il avait rejoint l’équipe du festival en 1970.  En 2004, j’ai rencontré Lew à Valenciennes où mon mari était muté. Lew était à cette époque-là directeur du Phénix, scène nationale de cette ville. Je rédigeais pour « l’Observateur du valenciennois ». J’ai parlé de sa programmation du Phénix et je l’ai quelquefois interviewé. Il m’a demandé de partager l’écriture de ce livre en 2007. J’ai un peu hésité car je ne connaissais le Festival que de réputation

TdU – Pourquoi t’avoir demandé de co-écrire cette histoire, si tu ne connaissais pas le festival ?

P.W. – Il souhaitait justement un regard neuf sur l’événement. Bien sûr, je suis venue avec toutes mes questions et mes interrogations de novice curieuse ! J’ai réalisé à quel point ce festival  a chamboulé le paysage théâtral du monde entier et je me suis passionnée pour le projet.

TdU – Quelle aventure, 500 pages, il faut les concocter et puis… les écrire ! comment avez-vous procédé ?

P.W. – En effet, cela nous a pris quelques années ! Nous avons quitté Valenciennes, nos routes se sont séparées, aussi nous avons échangé beaucoup de mails ! On rédigeait chacun de son côté et on se renvoyait nos feuillets qu’on relisait, commentait, bref, un travail de rédaction « normal » ! Lew a une facilité d’écriture incroyable. Il a parlé de son expérience, de ses rencontres, des troupes, des programmations, on suit avec lui le festival, on est dans le cœur même du festival. Pour ma part, j’ai mis en lumière ces fragments d’histoire à partir d’un travail minutieux de retranscriptions, de mise en forme d’interviews car nous disposions d’une vingtaine de DVD et d’entretiens audio. J ‘ai aussi collecté des informations annexes aux témoignages. Tout cela permettait d’éclairer davantage encore cette aventure exceptionnelle.

TdU – Des interviews réalisées en amont du livre ?

P.W. – Au départ, non. Les interviews étaient réalisées dans le but de préparer un film reportage. En févier 2000, la chaîne ARTE le diffusait mais le format du film (75 minutes) ne permettait pas de tout montrer. Quelques années plus tard, d’autres entretiens sont encore venus enrichir les interviews réalisées entre 1998 et 1999. Nous pensions qu’il était important de les transcrire fidèlement pour parler de ces décennies qui ont bouleversé le paysage du théâtre. Car il s’agit de l’une des aventures culturelles les plus importantes et remarquables du XXéme siècle.

TdU – Justement, qu’est-ce qu’on y découvrait ?

P.W. – Tout ! Le festival a fait découvrir au public des pratiques théâtrales inconnues, mis en avant des esthétiques nouvelles, on découvre  notamment que l’espace scénographique pouvait être différent avec le théâtre de rue,  théâtre dans des usines, théâtre en appartement … je ne vais pas réécrire l’histoire là, mais on y a découvert et surtout révélé Grotowski, le Bread and Puppet, Robert Wilson, le Teatro Campesino, Tadeusz Kantor,  Pina Bausch, Terayama, KazuoŌno, la Cuadra de Séville, le Teatro Comuna de Lisbonne, le Brésilien Augusto Boal et j’en passe. Le public était subjugué mais aussi déstabilisé car la vision que chacun a du théâtre n’a plus jamais été la même.

TdU – Et l’Argentine y était représentée ?

P.W. – Oui, bien sûr ! Toute l’Amérique latine était au rendez vous de Nancy.

L’Amérique Latine était venue au Festival 1971 notamment, avec certains des grands metteurs en scène qui allaient marquer leur époque, mais aussi les décennies qui suivaient. Ils portaient avec eux le vent de la rébellion, du courage et des transgressions esthétiques. On parle du Théâtre Expérimental de Buenos Aires et de “La légende de Pedro” (un voyage initiatique d’après Peer Gynt), dirigé par Augusto Fernandes. La véritable révolution, dans le domaine des théâtres politiques, nous venait de pays où régnaient les dictatures dures : l’Amérique Latine, avec le Brésil, l’Uruguay, l’Argentine, la Colombie ; l’Europe, avec l’Espagne de Franco et le Portugal de Salazar. On retrouve encore le Centro Dramático de Buenos Aires. On l’évoque largement dans le livre. Pour parler encore des moments forts, on n’oublie pas “El Señor Galindez” par le Teatro Payro, mis en scène par Jaime Kogan… Jaime Kogan affirmait très clairement son objectif de créer «un théâtre argentin». Il a créé un théâtre école à Buenos Aires. Il est mort des suites d’une longue maladie en 1996.

Les festivaliers se souviennent encore d’ “Al fin del Camino” (Le Bout du chemin), l’histoire des paysans producteurs de canne à sucre dans la province de Tucumán par le «Libre Teatro Libre». Ou encore «Le jardin des Délices”  de Carlos Mathus, en hommage à André Breton qui a vécu à Buenos Aires. Dans le livre, nous donnons encore la parole aux « prospecteurs » du festival, de véritables aventuriers qui partaient en Amérique latine à la découverte de théâtres nouveaux, des troupes programmées ensuite à Nancy. Jean-François Labouverie, comédien qui faisait partie de la troupe du Théâtre du Soleil, un des plus fidèles collaborateurs du Festival, a fait un travail formidable dans toute l’Amérique latine et ce n’était pas facile d’autant plus que les distances à parcourir sur ce continent sont colossales !

TdU – Pourquoi le festival n’existe plus ?

P.W. – Il est peut être mort de sa belle mort ! Ce festival a duré deux décennies.  Personne ne pensait, au départ, qu’il vivrait aussi longtemps. Maintenant, je n’ai vraiment pas d’explications. Il a vécu. Ainsi va la vie. Aurait-il pu continuer ? C’est la question que l’on peut se poser.

Le Trait d’Union

« Comme neige au soleil – le festival mondial du théâtre » Nancy 1963 – 1983

519 p. Ed. l’Entretemps (30 euros)

OUVRAGE PUBLIÉ AVEC LE CONCOURS DU CENTRE NATIONAL DU LIVRE

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