La Nuit des Idées : Mar del Plata, Jour 4

Arriver au musée MAR un peu en avance sur l’horaire pour une banale histoire de carnet de prise de notes égaré la veille a du bon.

Tout d’abord parce qu’après presque dix-huit heures de vadrouille, le carnet est heureusement revenu entre les mains de son propriétaire, (un grand merci, au passage, aux membres de l’équipe technique de l’IFA pour avoir eu l’idée de conserver précieusement ce carnet), ensuite, lorsqu’on regarde le programme des événements de la Nuit des idées, on s’aperçoit en fait que  l’horaire est adapté aux couche-tard puisque rien ne commence avant seize heures. Mais cela c’est le côté « scène ». Il y a les coulisses, le côté « cuisine » et là, pour les techniciens de l’IFA, lorsqu’on arrive en début d’après-midi, on peut déjà les voir affairés, sur le pont. Imaginez : scènes à préparer, sons, vidéos, câbles, micros, matériel, installation et problèmes imprévus le tout multiplié par cinq alors qu’au même moment le musée continue de vivre son propre « ronron » quotidien comme si rien ne se passait. .Un véritable tour de force.

Comme c’est le dernier jour et que déjà une inévitable routine s’installe, on pourrait penser que le chronogramme ne sera pas respecté à la lettre, qu’on lâchera un peu de lest. Nous sommes en Argentine que diable ! Que nenni. A 15 heures 45, les bus, ponctuels, amènent les protagonistes principaux prêts à affronter la dernière journée d’un périple commencé aux aurores trois jours plus tôt à Buenos Aires.

Ce qui frappe, lorsqu’on déambule dans le musée, en passant à côté des différents lieux d’exposition, c’est la vivacité qui y règne. De loin, on pourrait rapprocher cela à un brouhaha provenant de multiples directions car le bruit est partout. Contrairement à Ostende où les lieux étaient bien délimités voire même parfois clos, les conférences ne se déroulent pas dans des endroits fermés ; elles se côtoient. Néanmoins, lorsqu’on s’approche de l’une d’entre elles, le son prend plus de consistance et de sens. On s’arrête, on écoute un peu puis on repart. Il faut faire des choix : impossible d’être partout à la fois.

Le public a toujours répondu présent pour ces rencontres. A Ostende, lieu resserré, à l’espace presque confiné, cinquante personnes peuvent remplir facilement une salle alors qu’au musée MAR, l’équation est un peu différente dans ce cube de verre et de béton dont les volumes nous font apparaître dans des dimensions beaucoup plus réduites. Quel que soit le lieu, le public semble concentré, à l’écoute. Certains prennent des notes, et, à la fin de la présentation, il y a toujours des questions qui ne vont pas forcément dans le sens de ce qui a été dit, obligeant le conférencier (ou la conférencière) à sortir un peu de sa zone de confort, voire même de se défendre avec vigueur. Parfois, cet ultime moment, vivant, est même plus intéressant que le discours de l’intervenant en lui-même et nous éclaire sur ce qui vient d’être dit. Il faut bien le reconnaître : pas toujours facile, en quelques trente minutes, d’exposer un concept complexe. Impossible d’entrer dans les détails. C’est un peu le cas avec Alejandro Tantanian qui expose la tentative de réécriture d’Hamlet, chef d’œuvre de Shakespeare, -faite par Heiner Mueller (1929-1995), un dramaturge allemand ayant vécu en Allemagne de l’Est-, sous le titre « Hamlet machine ». Partir d’une des idées finales proposées par l’auteur anglais pour la réinstaller dans notre époque moderne. Ou encore, reprendre un texte ancien pour le moderniser afin d’y puiser une idée, un concept. « Hamlet, c’est quelqu’un qui a tous les moyens de réaliser quelque chose mais finalement ne le fait pas » nous dit Tantanian. Mueller retranspose le texte pour évoquer la lutte des classes et l’échec de la Révolution.

Juste après lui et dans le même espace, changeons de registre. Alejandro Katz disserte sur certains aspects socio-économiques de notre monde moderne. On part de loin, le siècle des Lumières, la notion de progrès, l’homme qui peu à peu prend le contrôle de la nature (aspect très intéressant quand on se rappelle la conférence de Florent Guénard, qui nous a démontré que la nature est actuellement en train de prendre sa revanche. Pourrait-on penser alors que nous sommes en train de trop tirer sur la corde ? On pourra lire un résumé de cette conférence dans le compte rendu de la deuxième journée). Katz explique que le mariage de raison entre capitalisme et démocratie a abouti au monde que nous connaissons actuellement mais, il est indéniable que cette époque, caractérisée par de nombreux âges d’or dont la dernière correspondrait aux fameuses « Trente glorieuses »,  est en voie d’épuisement. Katz voit l’apparition d’un « capitalisme digital » symbolisé par le fameux GAFA (célèbre acronyme signifiant les quatre grandes entreprises se partageant le monde du numérique et dont nous sommes la plupart du temps des utilisateurs impénitents : Google, Apple, Facebook et Amazon). Un capitalisme digital donc, qui rebat les règles du jeu, s’affranchit de règles préétablies, s’autonomise par rapport aux Etats si bien que l’économique a tendance de plus en plus à prendre le pas sur le politique. Les conséquences de ce petit jeu sont énormes et nous n’en voyons peut-être encore que le début : modifications radicales de nos comportements, apparition de gouvernements populistes, de démocraties dites « illibérales », d’alliance surréaliste mais bien réelle pourtant de deux termes oxymores que sont le capitalisme et le communisme. Système où l’hyper connectivité du monde moderne nous rend chaque fois plus prisonniers de contraintes censées nous donner paradoxalement plus de liberté et nous rappelant, ô comment, la prémonition contenue dans le chef d’œuvre d’Orwell, «1984». Une démonstration brillante de Katz.

Toutefois, la tête nous tourne un peu et, pour nous rafraîchir les idées, nous allons déambuler devant les photos exposées au premier étage autour du thème « Le patrimoine photographique français en dialogue avec la création contemporaine » conçue par Rémi Parcollet. On parcourt en effet ce chemin iconographique en découvrant, ou redécouvrant, des clichés de personnages ( Sarah Bernardt, Picasso, Dali et d’autres…), ou des images de notre capitale sous des aspects parfois oubliés , voire même des photos très anciennes ( Niepce, par exemple). Chaque document est intéressant en soi mais, si on en conçoit l’ensemble, on se demande où veut nous mener le concepteur de l’exposition. Une exposition qui restera dans les murs du musée bien après la clôture de cette Nuit des idées.

Clôture qui approche. On essaye d’écouter Nathalie Peyrebonne qui veut nous convaincre que le roman est une arme de survie. Très probablement vrai. Malheureusement, le son de la voix de l’exposante qui rebondit sur les murs de la salle ne permet pas toujours une audition intelligible et, la fatigue intellectuelle aidant, après tant et tant de sujets débattus n’arrange pas les choses. Dommage.

On termine sur un bilan effectué par Yann Lorvo, illustré sur le moment par Rep. Savoureux. Puis, Daniela Horovitz vient nous régaler de quelques-unes de ses chansons originales voire parfois confondantes, aidée par une voix puissante qui ne peut absolument pas passer inaperçue.

La quatrième édition de la Nuit des idées vient de se terminer. Vivement l’année prochaine !

Le (presque) mot de la fin de Yann Lorvo

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Jérôme Guillot

(Envoyé spécial du Trait d’union)

 

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