#Je reste à la maison

JOUR 17 (première partie). Etape 1 : Réveil. J’ouvre un oeil. Puis le deuxième…

Etape 1

Réveil. J’ouvre un œil. Puis le deuxième.

Au début, la première pensée était de consulter l’état de mon corps : mal de tête ? toux ? gorge douloureuse ? nez pris ? Oreilles bouchées ? Je couve quelque chose ? La constatation de l’état grippal n’est pas toujours immédiate. Cela peut apparaître lors de la mise en verticale, ou bien lors du petit trajet qui nous mène à la salle de bain ou bien encore après le premier café. Si, à ce stade, on se sent patraque alors on sait à quoi s’en tenir.

Mais non. Tous les pôles d’alerte savamment répertoriés et cochés depuis deux semaines sont au vert. Les symptômes ne seront pas encore pour aujourd’hui. Une couche de peur vient de quitter mon esprit. Elle reviendra demain matin ; peut-être moins présente au fil du temps. Chaque jour qui passe est un jour de plus, un jour de gagné. Et puis, on finit par s’habituer. On se persuade qu’on ne pourra pas être touché. Jamais.

Etape 2

Pendant que je prépare le café, je branche la radio pour prendre le pouls de l’autre monde, celui de l’extérieur ; un peu plus grand que mon univers actuel. Dernièrement, les nouvelles ne prêtent guère à la réjouissance et, matinée après matinée, la tendance est à la répétition. Puis, après l’écoute, on passe à la lecture, en France, en Argentine et partout ailleurs. Sur dix articles, neuf et demi traitent de l’épidémie. Si je compare mon espoir de voir les choses s’améliorer à une ligne de flottaison, alors celui-ci se place au niveau de l’étiage. Une fois avalée la première tasse, je fais une seconde vérification symptomatique en suivant les consignes entendues ou lues ici et là ; une deuxième lecture en quelque sorte car je n’oublie pas que, juste avant le confinement, j’avais passé la soirée chez une amie qui revenait de Barcelone : je gonfle d’air mes poumons et retiens ma respiration pendant quelques secondes. Si ça ne brûle pas, si je ne tousse pas, une toux sèche, paraît-il, si j’arrive à tenir quelques secondes sans problème, si je, si je et si je… c’est que ça va.

Et ça va.

Etape 3

D’un pas traînant, parce que mon pied n’est pas encore tout à fait remis des excès de course à pied, je me dirige vers mon ordinateur afin de voir ma boîte aux lettres 2.0.

La journée se met en place, je peux passer à l’étape 4, la toilette.

J’ai décidé de ne plus me raser tout le temps que dure le confinement. Une gaminerie, diront certains, mais comme cela, ma barbe sera la preuve du temps qui passe sur moi.

Etape 5.

Début des « activités » de la journée.

Pas question de s’abandonner à une certaine langueur où les heures s’étirent interminablement nous laissant quelque peu hébété, amorphe. Non. Bouge-toi, profite de ton appart pour explorer tous ses moindres recoins. Je prends peu à peu conscience que nous vivons, qu’on le veuille ou non, un moment exceptionnel, historique et ce n’est pas le moment de flancher. On essaie de varier chaque jour, on envoie quelques courriels, on répond aux messages sur le téléphone, on contacte les proches, les gens que l’on a décidé d’aider.

Avec le temps, j’ai appris que, même dans des circonstances difficiles, on peut toujours extraire du positif de n’importe quelle situation et d’ailleurs, suis-je à plaindre ? Je pense aux médecins, aux infirmières, aux brancardiers à tous ceux qui mettent leur vie en péril pour en sauver d’autres. Des héros.

Etape 5b

S’il fait beau, je profite du soleil qui inonde mon balcon pendant quelques petites 45 minutes par jour, en tout et pour tout et à mon grand dam. Ce qui est extraordinaire c’est que le confinement me met chaque fois plus en phase avec les mouvements de la Terre et de ses saisons. Chaque jour, je dois changer mes habitudes. Les moments de sortie se déroulent chaque fois plus tôt et, imperceptiblement, jour après jour, je perçois sans trop de peine que le soleil ne monte plus si haut dans le ciel et n’est plus aussi chaud. Exposé aux rayons, je vois la ligne d’ombre, telle une horloge solaire, qui avance peu à peu vers moi pour me signifier la fin du bronzage quotidien et de ce moment de liberté hors les murs. D’ailleurs, depuis deux jours, qui parle de bronzage ? Il y a deux semaines, je sortais torse nu, tâchant de profiter au maximum des bienfaits de Râ, mon nouveau dieu païen. Maintenant, il fait plus frais, comme la sortie est chaque fois plus matinale, la chaleur de ses rayons n’est plus si forte. Je n’avais jamais perçu avec autant d’acuité ces imperceptibles modifications quotidiennes de la nature.

(A suivre)

Pierre Leheul

Photo : Susana Bravo

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