Immigration française en Argentine

Pour connaître « de l’intérieur » l’histoire de l’émigration française en Argentine et ne pas se contenter d’allonger des chiffres froids, des statistiques sans âme,…

Pour connaître « de l’intérieur » l’histoire de l’émigration française en Argentine et ne pas se contenter d’allonger des chiffres froids, des statistiques sans âme, Trait-d’Union s’est proposé d’aller à la rencontre de descendants de familles arrivées dans le pays au plus fort de la vague d’immigration européenne et française entre 1840 et 1914.

Le but de cette approche est d’essayer de cerner le côté humain de ces démarches radicales : quitter son pays pour aller s’installer ailleurs, dans un pays inconnu, à la recherche d’un avenir plus prometteur. Il est aussi intéressant de se pencher sur ce que peuvent aujourd’hui exprimer et sentir les descendants de ces pionniers.

La première personne rencontrée est María Teresa Constantin.

María Teresa Constantin, est la petite-fille du côté paternel d’un couple de basques français, arrivé séparément en Argentine au tournant des années 1880.

Notre interviewée est née à Las Flores, petite ville du centre de la province de Bs As en bordure de la Ruta Nacional 3, épine dorsale du côté est du pays. Arrivée très jeune à Bs As pour poursuivre des études universitaires à une période politiquement compliquée -première moitié des années 1970- notre jeune provinciale très engagée politiquement se voit forcée de partir pour l’exil. Après quelques mois à Genève, elle s’installe à Paris, suit les cours de l’école du Louvre, se marie avec un historien argentin, lui aussi exilé, élève puis professeur invité à l’école devenue aujourd’hui l’EHESS, (L’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales). Au retour de la démocratie, le ménage rentre au pays, Le couple trouve chacun dans son domaine un emploi. María Teresa, a été conservatrice dans différents musées en France, en Espagne et en Argentine, de 2008 et jusqu’en 2019 elle assure la direction artistique de l’Espace d’Art de la Fondation OSDE. Elle est désormais commissaire indépendante et prépare de nouveaux projets sur l’art contemporain.
María Teresa est « chevalier des Arts et des Lettres », décoration qu’elle a reçue des mains du précédent ambassadeur de France en Argentine, Pierre Henri Guignard.

Les racines, l’histoire 

Le fondateur de la famille, coté argentin, est Jean Constantin, originaire, et ce malgré son patronyme de réminiscence bordelaise, de Sainte-Engrâce, Urdatx-Santa Grazi en euskara : un petit village de la vallée du fleuve Uhaitza, en pays basque français, aujourd’hui transformé en station de sports d’hiver. On ignore la date à laquelle Jean arrive, seul, en Argentine.

Peu de temps après avoir foulé le sol argentin, en 1881, il a 31 ans, il se marie avec une « payse » Marie Algory de 24 ans ; elle aussi née en pays basque français. On ne connaît pas la date d’arrivée en terre australe de Marie.  D’après une légende familiale, elle aurait fui un mariage orchestré par ses parents et serait venue rejoindre son frère déjà installé en Argentine. C’est ce dernier qui lui aurait présenté son futur mari, Jean Constantin.

Le couple aura 6 enfants, 4 garçons et deux filles, dont l’aîné Marcelino sera le père de María Teresa. La famille s’établit à Las Flores où Jean loue les terres d’un certain Estanislao Rosas, un membre de la famille de Juan Manuel de Rosas. Quelque temps après, Jean achète le « campo ». Ses affaires agricoles prospèrent et en 1897 il fait construire ce qui deviendra le « casco » de l’estancia « La Loma Negra ».


En 1912, Jean et toute la famille effectuent un long voyage en France. De retour au pays natal, il organisera un grand « asado » auquel il conviera tous les habitants de Sainte-Engràce et ceux d’un village voisin dont Marie était originaire.
De nombreuses années plus tard María Teresa, elle aussi en visite au pays de ses aïeux, aura l’agréable surprise de retrouver plusieurs des personnes qui avaient été invitées à l’asado de l’ « abuelito ».

 

Marcelino

Jean meurt à l’âge de 63 ans, peu après son retour de voyage.
C’est Marcelino, qui, laissant de côté sa vocation musicale, assurera l’exploitation de la partie de campo qui lui échoit en héritage ainsi que celle de sa mère Marie. Cette dernière vivra avec son fils, même après le mariage de ce dernier, survenu sur le tard. María Teresa a vécu ses toutes premières années avec sa grand-mère, mais n’a guère de souvenirs de l’ « abuelita » française.

 


Le campo continuera à prospérer : belles voitures, vacances à Mar del Plata, et jusqu’à l’acquisition d’une maison à Buenos Aires. Marcelino meurt en 1961. María Teresa, fille unique, obligée par la situation politique de partir en France, vendra la propriété en 1976. Fin du chapitre « campo » pour la branche María Teresa de la famille Constantin.

 

L’intégration

Les Constantin, étaient bien intégrés dans la société « française » de Las Flores, le lieu de rencontre sociale de ces émigrés était le Club Francés de la ville. La petite communauté française se rencontrait, se « recevait » et perpétuait certaines coutumes typiques. A la maison, Marcelino parlait en français avec sa mère Marie. María Teresa a toute sa vie été immergée dans une double culture : enfant elle était pour tout le monde la « francesita », puis en France elle sera « l’argentine ». Petite fille, elle comprenait la langue française, mais ne la parlait pas ; c’est en France qu’elle acquerra une bonne connaissance de la langue de Molière.

Aujourd’hui…

Ce n’est pas sans une émotion contenue et une nostalgie bien palpable que notre interviewée parle de sa famille, de ses grands-parents français, l’un qu’elle n’a pas connu et l’autre avec qui elle a passé les premières années de sa vie. Elle décrit la maison « del campo » construite par son grand-père Jean, évoque l’autre maison de Buenos Aires, rue Lima. Elle commente les photos, quelques précieux vieux documents officiels et essaie de décrire ce dont elle se souvient…  

« Je me souviens d’un rêve récurrent, plutôt d’un cauchemar : J’étais assaillie par une foule d’ennemis, je ne pouvais me sauver qu’en arrivant sur la terrasse de la maison del campo. Là-haut, je pouvais être libre et aucun danger ne pouvait m’atteindre. Sans doute la maison de mes aïeux, la maison de mes parents était pour moi la solide présence rassurante de mes racines »

 

Propos recueillis par Marie-Françoise Mounier-Arana et Patricia Pellegrini

 

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