Immigration française en Argentine

Poursuivant son projet de recherche sur l’immigation française en Argentine, Trait-d’Union a rencontré pour cette deuxième entrevue Marta Pulenta de Dantur…

Poursuivant son projet de recherche sur l’immigation française en Argentine, Trait-d’Union a rencontré pour cette deuxième entrevue Marta Pulenta de Dantur, descendante, du côté maternel, d’immigrants français arrivés en Argentine en 1890 et d’italiens immigrés, eux, en 1902.

 


Une famille avec des origines française et italienne 

Acte de naissance – Anne Trébier

Côté français

Les arrière-grands-parents de Marta, Pierre Trébier et Marie Delbourg venaient d’Archignac, une bourgade de la Dordogne, située à une trentaine de kilomètres au nord de Sarlat-la-Canéda, la cité phare du Périgord noir, la patrie de tant d’hommes de lettres cèlèbres, Montaigne, La Boétie, Fénelon….

L’arrière grand-père Trébier, avec un contrat de travail en poche pour travailler dans la vigne à San Juan, s’embarque avec sa femme et ses trois plus jeunes enfants Pauline, Anne et le petit Edouard sur le “Santa Fe” à Bordeaux *. Les deux aînés restent en France, l’un travaillant déjà comme maréchal-ferrant.

A son arrivée, l’ouvrier agricole reçoit de son employeur une maisonnette, et quelques volailles. Toutefois Pierre a du mal à s’adapter à sa nouvelle vie et trois ans à peine après son arrivée, meurt victime d’une attaque d’apoplexie, on dirait aujourd’hui d’un accident cérébral vasculaire.

Marie Delbourg Trébier

Marie restée seule, entre comme petite main chez la couturière française Julie Lebecq très appréciée des dames de la société bourgeoise “Sanjuanina”. Anne racontait que cette amie, qui avait été une providence pour sa mère, redoutait toutefois qu’elle ne lui fasse concurrence. Pour préserver les secrets de sa confection, Madame Lebecq prenait soin de cacher ses patrons et ne coupait les futurs modèles de ses clientes que la nuit, loin des regards indiscrets.   

Anne Trébier 

Les filles se marient : Anne, à 17 ans, avec Juan Rigazzio, (ou Rigasio, son patronyme a été mal enregistré à son entrée en Argentine et ne sera jamais corrigé), un immigrant piémontais. Ils auront 9 enfants : 3 filles et 6 garçons.

La plus jeune des filles, Argentina, ainsi nommée par reconnaissance envers le pays qui a bien accueilli les familles des deux conjoints, est la maman de Marta, notre interviewée.

 

Côté italien 

En 1926, Argentina se marie à son tour avec Quinto Pulenta (son nom de famille, original, Polenta, a également été estropié à son arrivée), immigrant italien, de la région d’Ancône. Le père de Quinto, Angelo, avait émigré en Argentine, lui aussi avec un contrat, pour travailler dans les vignobles à Mendoza. La famille déménage ensuite à San Juan. En 1914, Angelo achète, avec ses petites économies et au comptant, une dizaine d’hectares, qu’il exploite ; les pieds de vigne locaux, sont des cépages, paraît-il répandus à l’époque, moscatel ou pedro ximenez. Les père et mère de Quinto meurent à peu de temps d’intervalle. C’est Quinto de 20 ans et sa sœur de 18 qui élèveront leurs 7 frères et sœurs, sous la vigilance d’une grand-mère italienne, acariâtre et illettrée.  

 

Quinto est un visionnaire et se transforme rapidement en un entrepreneur dynamique : il fait rapidement prospérer la petite cave familiale. Au tournant des années trente, Quinto et Argentina s’installent à Buenos Aires; leurs deux filles Marta et Olga sont « porteñas » de naissance. 

En 1938, Quinto achète dans une vente aux enchères la marque Peñaflor et transforme, sous cette marque, la cave familiale qui deviendra la grande cave argentine, distributrice de vin de table dans tout le pays. Dans les années 1950 et 1960, le vin rouge de “tous les jours”, accompagné du traditionnel siphon de soda, ne manquait ni sur les tables familiales, ni pour arroser l’ « asado » que les ouvriers cuisinaient à midi dans tous les chantiers de Buenos Aires. Marta, évoque la publicité du vin Bordolino qui conte l’histoire romancée de sa famille sous forme de petits films publicitaires pour la télévision des années 70’***.

Plusieurs années après le décès de Quinto, survenu en 1976, la cave Peñaflor sera vendue à la famille Bemberg, propriétaire de la grande brasserie Quilmes  

L’empreinte française

Alberto, l’un des oncles de Marta rentre en France, après la guerre 14/18, poussé par ses parents, opposés à la liaison amoureuse de leur fils avec une jeune fille « sanjuanina ». Il s’installera à Montignac dans le voisinage de son oncle, le maréchal ferrant, travaillera dans une usine et se mariera avec une jeune fille de Farges – un village voisin-, dont la maison ancestrale est toujours là et que Marta connaît bien.

Alberto revient plusieurs fois rendre visite à sa famille à San Juan, avant et après la seconde guerre mondiale. De même que Marta, sa mère Argentina et sa grand-mère Anne voyageront souvent pour rendre visite à « l’oncle » (frère et fils) Alberto et à sa famille. 

Lors des rencontres des frère et sœur, de l’un ou l’autre côté de l’Atlantique, la langue parlée entre eux est l’argentin. Argentina ne parle pas français. 

Quant au ménage d’immigrés, Pierre et Marie, ils parlaient entre eux indistinctement en français ou en patois périgourdin, les deux avaient été scolarisés et savaient lire et écrire ; en arrivant en Argentine, ils apprirent rapidement l’espagnol.

Argentina, Marta et Anne Trébier Rigasio

Marta se souvient que sa grand-mère Anne, en bonne périgourdine, conservait les pommes de terre dans la graisse d’oie, qu’elle aimait chasser et qu’elle cuisinait de succulents plats avec les perdrix et les lièvres qu’elle ramenait de ses sorties de chasse. Elle gardait son fusil au chevet de son lit et le prêtait à l’un de ses petits-fils avec la recommandation de « rapporter la quantité  de pièces de gibier correspondant au nombre de balles » remises, à raison de un ou deux projectiles par pièce de gibier, selon la difficulté de la cible à abattre. 

L’empreinte s’estompe…

Toutefois l’influence française s’atténue assez rapidement : la grand-mère de Marta,  Anne, semble s’être facilement intégrée dans son nouveau pays. Sa fille Argentina, bien qu’elle suive la tradition culinaire périgourdine, va à l’école publique argentine et ne parle pas français.
Marta, elle-même n’apprendra la langue de Molière que comme langue étrangère au cours de sa scolarité dans un établissement à filière anglaise. Toutefois, par la suite elle suivra les cours de l’Alliance française. Le mari de Marta, par contre, un ingénieur de descendance libanaise, fera toute sa scolarité au collège Français, le collège Crespin. 

Les femmes qui au long des générations n’ont jamais, dans la famille de Marta, eu d’ingérence dans les affaires économiques familiales, ont souvent voyagé et sont toujours revenues au berceau familial d’Archignac. Marta, elle, a régulièrement fait des séjours en France, où elle conserve de nombreuses connaissances. Elle n’a par contre plus qu’une seule cousine, au Périgord. 

Pour l’heure, notre interlocutrice attend avec impatience de pouvoir renouer avec son goût des voyages…

 

Propos recueillis par Marie-Françoise Mounier-Arana et Patricia Pellegrini

* Source « Centro de inmigrantes « : https://cemla.com 

https://www.youtube.com/watch?v=XpQBvLpO7rw

** À San Juan, les pieds de vigne proviennent probablement du Chili. Les cépages  : Criolla Chica, Criolla Grande, Moscatel, Pedro Gimenez n’étaient pas aptes pour faire du bon vin. La coutume de cueillir le raisin tard donnait des vins très alcooliques, souvent mélangés avec de l’eau à Buenos Aires.

Source : Dialnet-DesarrolloYConsolidacionDeLaVitiviniculturaSanjuan-5537590.pdf

*** Spots publicitaires pour le vin Bordolino 

1/ https://youtu.be/qW5gkLyP1jk

2/ https://youtu.be/i7yi1sgzMLA

 

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