Échange épistolaire entre Marcel Proust et Max Daireaux… un Argentin sur le chemin de l’écrivain français

A l’occasion de la grande exposition Un roman parisien proposée par le Musée Carnavalet – Histoire de Paris, en commémoration du 150e anniversaire de la naissance de Marcel Proust (1871-1922), je vous propose…

A l’occasion de la grande exposition Un roman parisien proposée par le Musée Carnavalet – Histoire de Paris, en commémoration du 150e anniversaire de la naissance de Marcel Proust (1871-1922), je vous propose un bref voyage, à travers l’amitié, forgée sur la base d’un échange épistolaire extraordinaire, de deux intellectuels, l’un Français, l’autre Argentin, qui réussirent à amalgamer l’histoire récente des lettres latino-américaines et françaises.

Paris a une dimension décisive dans l’éveil de la vocation littéraire de Marcel Proust, depuis ses premiers textes à la fin des années 1890 avec ses condisciples du Lycée Condorcet, jusqu’à ses débuts dans la haute société parisienne et la rencontre de personnalités déterminantes. Dans ce nouveau cercle d’aristocrates et d’intellectuels, Marcel Proust rencontre un Franco-Argentin, Max Daireaux. Fils d’Emil Daireaux et neveu de Geoffroy Daireaux, fondateur de la ville de Daireaux dans la province de Buenos Aires (voir l’article de Trait-d’Union sur la présentation du livre “Godofredo Daireaux : Aproximación a un retrato”) . Max Daireaux, homme de lettres né à Buenos Aires en 1883, écrit son œuvre en français et collabore avec La Nacion. Il rencontre le romancier d’ A la recherche du temps perdu  à Cabourg en 1908. Les deux hommes se lient d’amitié et entretiennent une correspondance chaleureuse. 

Parmi les Argentins qui ont connu le grand romancier français, Gabriel Iturri et Lucio V. Mansilla sont les plus nommés. Cependant, personne n’a prêté attention à Max Daireaux. Des biographes récents le mentionnent comme un ami de Proust et citent quelques-unes des treize lettres que Proust lui a écrites. D’après le prologue de son livre El gaucho, roman paru en feuilleton dans La Nacion (1924-1925), Max Daireaux (1883-1954) est né à Buenos Aires et a fait ses études primaires et secondaires en Argentine. Plus tard, en 1902, il intègre, à Paris, l’École supérieure des mines. Puis il décide d’être écrivain et publie, en français, de nombreux romans et plusieurs études sur les littératures française et latino-americaine. Son livre Villiers de l’Isle-Adam (1936) reste encore apprécié aujourd’hui des spécialistes de l’auteur des Contes cruels. Selon l’écrivaine et essayiste argentine, Sylvia Molloy, le Panorama de la littérature hispano-américaine (1930), de Max Daireaux, est la premiere étude écrite en français sur la littérature sud-américaine. Comme le souligne également Molloy, dans La diffusion de la littérature hispano-américaine au XXe siècle, Daireaux a traduit en français de nombreux et importants textes hispano-américains. 

En honneur à leur amitié, Marcel offrit à Max une curieuse dédicace de son premier livre, Les Plaisirs et les Jours, dans laquelle il fait la satire d’autres vacanciers. Ce texte se trouve dans la Correspondance de Marcel Proust, tome VIII. L’autre douzaine de lettres que Proust a écrites à Daireaux et l’une de ses dernières se retrouvent également dans l’ouvrage monumental -vingt et un volumes- qu’a édité Philip Kolb, l’un des plus grands spécialistes de l’œuvre proustienne.  

Dans ces différentes missives, on peut suivre l’amitié entre Proust et Daireaux, qui reposait surtout sur la vocation littéraire des deux hommes. Marcel Proust et Max Daireaux ont écrit des textes littéraires qu’ils ont essayé de publier dans des magazines ou des journaux. Marcel était l’aîné de treize ans et avait commencé cette activité bien plus tôt que Max, le cadet, qui toutefois semblerait, pendant un certain temps, avoir eu plus de succès. Lorsque Daireaux envoie à Proust son troisième roman, Le plaisir d’aimer, paru chez Calmann-Lévy en 1913, la même maison d’édition que celle de Les Plaisirs et les jours, Marcel lui pose quatre questions sur des expressions « scientifiques » qu’il voulait utiliser dans son travail. Les passages en question n’apparaîtront pas dans Du côté de chez Swann, dont Marcel corrigeait alors les premières épreuves, mais dans des volumes ultérieurs. Néanmoins, Proust était reconnaissant des réponses de Daireaux, et dans la lettre suivante l’appelera « Homo triplex » et louera la diversité de ses talents.

On retrouve dans les lettres de Proust à Daireaux la grande affection du « petit Marcel » pour Max. En octobre 1908, le vieil écrivain, déjà malade, invita le plus jeune à dîner dans sa chambre ; cette chambre qui est aujourd’hui, le cœur de l’exposition au musée Carnavalet, car elle offre une plongée immersive dans l’univers de Proust. Les éléments du mobilier et les objets qui la composent, liés à la vie intime de Marcel et de sa famille, permettent de représenter l’espace de création et rendre compte de la genèse de l’œuvre du grand écrivain. Sans doute Max ne passera-t-il jamais autant d’heures au chevet de Proust qu’une autre jeune connaissance cabourgeaise, Marcel Plantevignes, mais les lettres à Daireaux abondent en invitations. J’ajoute qu’à la fin de 1909, l’année où Marcel écrivit quatre lettres à Daireaux, il voulut que sa seule lettre de nouvel an soit pour Max.

Bien que dans sa correspondance précédente il n’ait jamais fait allusion au pays de naissance de son ami, Marcel souligne ici que Daireaux a lié l’Amérique latine et la France dans ses textes et loue le succès bien mérité de son cadet.

Cependant, en 1919, lorsque Marcel Proust reçoit le prix Goncourt pour son œuvre À l’ombre des jeunes filles en fleurs, Max ne publie rien à ce sujet. Le motif possible ne semblerait pas être une question de jalousie, mais plutôt le fait que Daireaux se serait reconnu dans certains détails des personnages du roman. Il ne  publiera rien non plus sur la mort de Proust en novembre 1922, pas même sur ses expériences à Cabourg avec le célèbre romancier. Ceci ne signifie pas l’oubli de l’ami qui a eu beaucoup plus de succès que lui-même. Dans son étude de Villiers de l’Isle-Adam , il a évoqué la dédicace que Proust lui avait écrite.

Enfin, je voudrais retracer un fait assez accidentel mais significatif. Dans son Panorama de la littérature hispano-américaine, l’ami de Proust, né à Buenos Aires, reproche à certains écrivains argentins leur goût pour la langue française. Victoria Ocampo s’en offensa, mais répondit d’une façon très proustienne. Ainsi, dans son essai Paroles françaises (1931), la fondatrice de Sur fait appel à Marcel Proust pour corroborer ses dires. Si elle écrivait en français et faisait traduire certains de ses textes en espagnol, c’est parce que, comme Proust, qui considérait les lectures d’enfance essentielles, Ocampo avait appris à lire en français. Je ne sais pas si c’était le cas de Max, mais, comme son ami Marcel, il a désiré être un écrivain français. 

Heureusement, Daireaux n’a jamais oublié son continent natal et a essayé de relier l’Amérique latine à la France, ainsi que servir de lien entre le nouveau monde hispanophone et le romancier français Marcel Proust.

Patricia Tobaldo

Max Daireaux, fils d’Emil Daireaux, est un Franco-Argentin. Il naît à Buenos Aires, mais passe une grande partie de sa vie en France. Jeune étudiant ingénieur à Paris, sa passion pour la littérature le pousse vers l’écriture en français : à 23 ans il publie son premier livre de poèmes “Les pénitents noirs”. Ecrivain, critique littéraire, traducteur, Max jouera un role essentiel  dans la diffusion en France de la littérature latino-américaine. C’est lui qui fera découvrir les nouveaux talents comme Jorge Luis Borges, Miguel Angel Asturias, Silvina Ocampo dont il traduira de nombreuses œuvres. Parmi ses propres écrits  – nouvelles surtout et pièces de théâtre- la plupart avec l’Amérique latine comme toile de fond, deux retiendront l’intérêt des critiques de l’époque “A la recherche de Stendhal et Villiers de L’Isle Adam” (1936). L’académie française récompense son livre Le Plaisir d’aimer et il reçoit en 1931 le Prix de la Latinidad de l’Union Latina de Paris. L’homme de lettres appartient à de nombreux cercles littéraires français et est ami des frères Daudet, de Georges Duhamel, d’Anne de Noailles et de Jules Supervielle, entre autres.

 

Photo : 101noticias

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