Immigration française en Argentine

Les frères Bellocq sont arrivés de leur Béarn natal, au milieu du 19ème siècle, dans un pays neuf où tout était à faire. Ils venaient « faire l’Amérique » et avec courage, travail et constance, ils l’ont faite l’Amérique !

Au départ, ont-ils eu, peut-être plus de moyens économiques que la plupart des immigrants, mais, seul, l’élan, l’opiniâtreté et l’intrépidité de leur équipe leur permit en moins de vingt ans d’être à la tête d’un négoce prospère et d’une grande quantité d’hectares de terres agricoles. Mais voilà, rien n’est éternel et l’« empire Bellocq » construit avec enthousiasme et travail acharné, s’écroula sans appel lors de l’immense crise économique mondiale de 1929/1930.

La famille de Juan Manuel Bellocq est originaire de Domezain-Berraute, bourgade située dans l’actuel département des Pyrénées Atlantiques. Ses arrières-arrières-grands-parents, Jean Bellocq et Marie Rouspil (ou Urruspil), ont élevé cinq enfants. En 1854, le plus jeune, Jean, (né en 1835) décide de tenter sa chance en Amérique du Sud. Il convainc deux de ses frères Raymond et Thomas de l’accompagner et entraîne même dans cette aventure sa sœur Marie Chapar et son jeune mari. Très vite, notre héros, âgé de vingt ans, monte avec ses frères et son beau-frère Chapar, une entreprise de commercialisation de bétail, affaire probablement financée grâce au pécule apporté par ces cinq jeunes gens, peut-être prélevé sur leur héritage …

Quelques années plus tard, ces durs à la besogne réussissent d’abord à acheter des terres dans la province de Buenos Aires puis à importer une race bovine de France, une formidable productrice de viande et de lait. Ils sont quatre et fondent quatre estancias dans différents endroits de la province de Buenos Aires, province qu’íls ont parcouru pour leur négoce et qu’ils connaissent dans ses moindres recoins : Santa Maria à quarante kilomètres de Carlos Casares dans le nord-ouest de la province, El Tostado situé à trois kilomètres du lieu dit Larramendy près de Pehuajó, San Francisco  près du village du même nom San Francisco de Bellocq à une trentaine de kilomètres de la station balnéaire Claromecó, du district de Tres Arroyos et Cinco Lomas à quelques enjambées de Villa Francia, une petite bourgade des alentours d’Ayacucho.

A 35 ans Jean (désormais appelé Juan) se marie avec une “payse”, une française dont il a fait la connaissance, María Larramendy, béarnaise comme lui. La famille s’installe dans l’estancia San Francisco, douze enfants naîtront, cinq mourront en bas âge.

En 1883, la famille cède des terres pour la construction de la branche du chemin de fer “ferrocarril del Sur”, plus tard appelée Roca. A cette époque, l’Estancia San Francisco, achetée à Enrique Rodriguez Larreta s’étend sur 21000 ha, limitée à l’ouest par une rivière et au sud bordée, en partie, par la mer.

Lorsque la maladie frappe l’”estanciero”, toute la famille part pour Paris et s’ installe Avenue Kléber. En 1885, deux ans à peine après son arrivée, Juan Bellocq meurt. Il est enterré dans le caveau familial du cimetière de Passy. Six ans s’écoulent et Maria décide de rentrer avec ses enfants en Argentine pour surveiller la gestion de ses “campos”, trop longtemps laissée aux mains d’administrateurs.

Le retour

Estancia Santa María

Au retour Maria Larramendy s’installe principalement dans l’estancia Santa Maria à Carlos Casares. Fort catholique, elle enseigne le catéchisme au personnel de l’estancia.  En 1914, elle demande au Monastère Bénédictin de Silos, intégrant la Abadía castellana de Santo Domingo à Burgos, en Espagne, l’autorisation de faire venir six moines pour les installer, tous frais payés à Carlos Casares.

Elle offre de faire construire deux chapelles et une résidence pour les moines pour qu’ils se chargent d’évangéliser les habitants de toute la région (sans oublier d’offrir tous les jours des prières à la mémoire de son défunt mari).

Estancia San Francisco

La famille séjourne également souvent dans l’estancia San Francisco, au sud de la province. En 1912, est créé le bourg de Bellocq grâce aux terrains cédés par Maria Larramendy pour la construction des édifices publics. La commune ne sera, toutefois, officiellement reconnue que le 9 novembre 1920, avec une population d’environ 2000 habitants.
Aujourd’hui, San Francisco de Bellocq est un lieu-dit de 542 habitants, situé au croisement des routes 72 et 73, à 23 km de Claromecó.

L’estancia San Francisco n’existe plus comme telle, elle a été transformée en “Escuela agrícola”. Une fête organisée par la municipalité de San Francisco Bellocq aurait dû y avoir lieu, en 2020, pour fêter le centenaire de la création de la ville. Reportée à 2021, à cause de la pandémie, elle s’est déroulée en présence de descendants de la famille Bellocq. A cette occasion, trois des frères Bellocq ont offert à la commune un tableau représentant leur aïeul français Jean dit “Juan”, le premier de la lignée Bellocq arrivé en Argentine en 1854.

Claromecó

Les terres de l’immense estancia San Francisco sont bordées par l’océan, la famille y fait construire en 1905 un chalet d’été, ce sera la première maison d’un village de bord de mer qui au cours des ans se transformera en une station balnéaire très prisée par les habitants de cette région du sud de la province de Buenos Aires : Claromecó.
La plage de Claromecó, grâce à sa situation géographique, voit le soleil se lever et se coucher en se reflétant tout au long de la journée dans ses eaux.

Maria Larramendy, femme d’affaires dynamique, généreuse et visionnaire ne s’en tient pas là : elle donnera également le terrain -4 ha- les briques nécessaires et une importante somme d’argent -dix mille pesos de l’époque- pour la construction du phare de Claromecó qui avec le temps deviendra l’attraction touristique de la station balnéaire. Le phare de Claromecó est inauguré le 20 octobre 1922.  Sa tour qui mesure 54 mètres, et ses 268 marches, en font le plus haut phare d’Argentine et le deuxième en Amérique du Sud.

La crise de 1929-1930

Les années 30 sont funestes pour les descendants de Maria qui vont essuyer de sérieuses difficultés. D’abord des décès : leur mère et un frère puis la perte de leur fortune. La crise économique et boursière de 1929 et une interminable sécheresse met fin à leur prospérité, ainsi, un “campo” de 80 000 ha situé dans la province de San Luis devra finalement être vendu.
Parmi les fils de Juan et María, certains n’ont pas eu de descendance, d’autres se sont distingués dans des activités tout à fait étrangères “al campo” : c’est le cas de Teodoro, ingénieur, membre éminent de l’”Union internationale de radioamateurs“ et fondateur de deux postes de correspondants de radio-télégraphie établis l’un au 3600 du Boulevard Callao, l’autre dans la résidence “Valparaiso” à San Isidro ; un autre  frère, Toribio, inventa une ingénieuse bombe à eau qui n’eut malheureusement pas de suite car à peu près à la même époque voyait le jour la pompe à eau submersible. Quant à Eduardo, il choisit le droit et exerça comme avocat, comme le fit après lui un de ses fils, appelé également Eduardo.

Notre interviewé Juan M. Bellocq est vétérinaire à Venado Tuerto. Juan ne parle pas français, il s’est toutefois rendu dans le village de ses aïeux, à Domezain-Berraute, et s’est aussi intéressé à ses origines. Il a pu rassembler de nombreux documents et a su patiemment reconstituer son arbre généalogique. Si Eduardo ne parle pas la langue de Molière, son plus jeune fils Matías, est lui par contre de retour vers ses origines linguistiques et culturelles : il a intégré, grâce à une bourse, l’Ecole des arts et métiers de Paris et y suit ses études pour devenir ingénieur.

Propos recueillis par Elisabeth Devriendt et Marie-Françoise Mounier-Arana

Le Monastère des Bénédictins

L’Abbaye Santo Domingo de Silos a été fondée en 1914, avec l’arrivée des premiers moines bénédictins de Buenos Aires à Carlos Casarès.
La congrégation Bénédictine de la Sainte Croix du Cône Sur, réunit des moines provenant d’Argentine, du Chili, du Paraguay et de l’Uruguay. Les moines respectent la règle écrite par Saint Benoît, guide spirituel des communautés monastiques pendant plus de 1500 ans qui se caractérise par l’obéissance, l’humilité et l’esprit de silence.
Rappelons que María Larramendy de Bellocq fut, avec l’aide d’un intermédiaire, Fermin Melchor, l’instigatrice de l’arrivée des moines bénédictins en Argentine.

Après deux ans d’un immense labeur, les moines Bénédictins quittent Carlos Casarès épuisés par les dures conditions de vie, la solitude, la lutte contre les indiens… En juillet 1916, ils s’installent à Buenos Aires. Parmi eux, le frère Andrés Azcárete va être ordonné prêtre, il sera le « bâtisseur », celui qui suivant la règle de Saint Benoît, sait “se faire aimer plus que craindre”. La communauté semble s’être installée au numéro 2342 de la rue Olleros, propriété de la famille Tornquist, dans la chapelle Notre-Dame du perpétuel secours, dirigée par le père Azcárete.
Grâce au père Azcárete et à la générosité des familles, des terres sont achetées, d’abord la quinta de Anchorena puis tout l’îlot sur la rue Maure.

Le 5 octobre 1920 est fondée l’église Santo Cristo. Sous sa direction, le Monastère de San Benito va se transformer en abbaye.
Le dynamique et infatigable père Azcárete formera de nombreuses institutions comme l’Académie Bénédictine d’Institutrices, le Collège Esquiú, l’Action Catholique, la Ligue des mères et pères de famille, des foyers et de nombreux “comedores obreros”.
Après quarante-sept ans de séjour, le père Azcárete rentrera en Espagne, sans pour cela oublier ses frères bénédictins d’Argentine.

 

 

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